Le journaliste et militant Cy Lecerf Maulpoix nous embarque dans sa quête de réconciliation entre ses identités de militant écologiste et de personne queer (LGBT), mêlant écriture intime et politique.
Écologies déviantes : voyage en terres queer est un livre intrigant – ne serait-ce que par sa couverture aux accents radioactifs. Que peuvent bien avoir en commun les identités queer et la question écologique ? Tout, nous répond Cy Lecerf Maulpoix, rappelant dès les premières pages que l’accusation d’aller à l’encontre de supposées « lois naturelles » a été et est encore utilisée pour nier les droits des minorités sexuelles et de genre.
Faire entendre la voix de l’écologie queer
S’inscrivant dans les pas des théoriciens et théoriciennes de l’écologie queer, Lecerf Maulpoix nous conduit à questionner le désastre environnemental depuis les marges, c’est-à-dire depuis les vies queer, les vies « déviantes ». Il montre ainsi ce que ces deux mouvements ont de commun, leurs « racines puisant dans le même terreau de lutte contre l’exploitation et la destruction du vivant ». Ni tout à fait journalistique, ni complètement sociologique, ni vraiment récit de voyage… Écologies déviantes est tout cela à la fois. Lecerf Maulpoix mêle habilement théorie queer, anecdotes personnelles, extraits d’entretien et travail d’archive. Il « bricole » avec sensibilité un récit résolument militant, ponctué de photos de ses voyages et d’illustrations de plantes. On y plonge avec bonheur.
« Rendre visibles des histoires oubliées »
Avec l’auteur, on traverse la Manche et l’Atlantique, on suit les traces de celles et ceux qui ont expérimenté d’autres rapports au vivant, à rebours de la vision dominante hétérocentrée et utilitariste de la nature : le socialiste et maraîcher Edward Carpenter, l’écrivaine et horticultrice Vita Sackville-West. Tourner les pages d’Écologies déviantes, c’est bel et bien partir en voyage. Un voyage mélancolique et émotionnel, tant il peut être touchant de redécouvrir ces vies que l’histoire dominante a pris grand soin d’oublier. On ressent les mêmes émotions qu’en faisant défiler les photos en noir et blanc de couples LGBT du compte Instagram Queer Love in History dont le but est tout simplement de montrer que l’amour queer a toujours existé. Dans Écologies déviantes, Lecerf Maulpoix pose ainsi la question essentielle des archives et de la mémoire des minorités ; selon le sociologue et historien Antoine Idier, « archiver, c’est refuser d’être dépossédé de sa mémoire ».
« Et maintenant ? »
Après cette plongée dans le passé, une dernière partie intitulée « Et maintenant ? » nous amène à envisager les manifestations très concrètes d’une articulation entre luttes écologistes et luttes LGBT. Le journaliste et militant clôt sa réflexion en nous fournissant une liste de ressources pour aller plus loin, qui tombe à point nommé pour celles et ceux que cette première approche de l’écologie queer aurait mis en appétit. « Ce livre est une invitation à quitter, au moins momentanément, des rivages connus, à dériver ensemble, au gré des histoires de celleux qui ont tenté de construire, hors des chemins et des natures conquises, d’autres formes de vie, je ne peux qu’espérer qu’il proposera des pistes enthousiasmantes, et qui sait, peut-être inspirera-t-il de nouvelles sorties de route pour les temps à venir. » Un pari réussi.
Écologies déviantes – Voyage en terres queers de Cy Lecerf Maulpoix aux Éditions Cambourakis, 272 p., 22 €.