Entretien

Érotisme, féminisme, photographie… Les autrices de Hold-Up 21 reviennent sur le projet

06 octobre 2023
Par Lisa Muratore
Couverture de “Hold-Up 21”  à paraître ce 6 octobre.
Couverture de “Hold-Up 21” à paraître ce 6 octobre. ©Anne Carrière

[Rentrée littéraire 2023] Ce 6 octobre paraît Hold-Up 21. Dans ce roman-photo, 20 autrices donnent libre cours à leurs fantasmes érotiques, capturés par l’objectif d’Abigaïl Auperin. L’Éclaireur a rencontré la photographe, tête pensante du projet, ainsi que trois écrivaines qui font partie de l’album.

1 Abigaïl Auperin

Pourquoi est-il important de donner un nouveau souffle à la littérature érotique en 2023 ? 

Il y a toujours eu un “enfer” miniature dans ma bibliothèque. Adolescente, les chefs-d’œuvre de l’irrévérence – de La Fontaine et Diderot à Sade et Bataille, en passant par Pauline Réage – ont participé à mon amour des belles lettres. Étant donné l’importance que j’accorde aux jeux de l’esprit et à la virtuosité, ce pari littéraire ne pouvait que m’intéresser – d’autant qu’il était doublé d’un pari photographique.

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J’ai voulu proposer un contrepoint aux nouvelles et non une illustration, ce qui m’a demandé d’affirmer fortement une esthétique d’ensemble, tout en respectant la singularité de chaque univers. La thématique de l’érotisme a été une forme de “contrainte productive” : pas question d’être moins audacieuse que les nouvelles, pas question non plus d’être littérale. J’ai dû développer mes propres figures de style, mettre du glacé là où c’était brûlant, explorer une zone grise, que j’affectionne particulièrement. Un travail sur le fil, donc.

Dans votre préface, vous évoquez l’aspect politique de la littérature érotique, quels sont ces enjeux ? 

Ces enjeux sont évidents dès lors qu’on se met en tête, après #MeToo, d’écrire ou de lire de la littérature érotique. L’attention enfin portée à la question du consentement change notre rapport à l’érotisme et à sa représentation. Pour autant, la littérature érotique ne saurait être réduite au seul sujet du consentement. Elle traite du plaisir, qu’elle représente et qu’elle suscite. Il faut construire aujourd’hui une politique du désir et, pour cela, commencer par écouter ce qu’ont à nous en dire celles qui l’écrivent.

« Pour Hold-Up 21, il fallait que les textes soient excitants et littéraires, imprimés sur du beau papier, avec de belles images et une belle mise en page. Le désir féminin, au lieu d’être juste commercialisé, allait se retrouver célébré. »

Maïa Mazaurette

La mise en image que j’ai opérée va dans ce sens, d’abord avec une éthique de travail. Ensuite, dans la façon de penser les photographies, de présenter un contenu plastique éloigné de ce que l’on attend d’un objet dit érotique. Le choix de “re-présenter”, m’a semblé crucial pour accompagner le propos de cet ouvrage.

En quoi érotisme rime avec féminisme dans Hold-Up 21  ?

L’érotisme ne rime pas toujours avec féminisme. La question est de savoir qui parle et à qui, quel désir est interpellé et comment. C’est pour cela que cet ouvrage est vivant : il fait place à des paroles nouvelles, travaillant les sensibilités de notre époque et ses fantasmes. En photographie, j’aime recréer l’instant suspendu, celui qui précède directement l’action ou lui succède. Cet espace d’incertitude peut correspondre à la complexité des questions que l’érotisme a toujours posées, et que le féminisme pose à l’érotisme aujourd’hui.

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2 Maïa Mazaurette

Pourquoi avez-vous choisi de participer à ce projet si unique ?

La question de “ce que veulent les femmes” turlupine l’imaginaire masculin depuis une éternité… mais la demande est rarement réaliste. Typiquement, en tant que sexperte, on va me demander des recettes magiques qui permettraient de séduire et de satisfaire toutes les femmes. Spoiler : ça ne va pas être possible. Le livre part d’un postulat simple et pourtant rarement pris en compte : il n’y a pas UNE femme, mais DES femmes.

Leurs désirs sont très différents et parfois contradictoires. En tant qu’autrice, j’ai besoin qu’on reconnaisse mon individualité. Du coup, savoir qu’on serait 21 autrices, c’était un excellent signal. La personne de l’éditeur aussi était importante : l’érotisme féminin n’a pas besoin d’un énième opportuniste attiré par la promesse de faire un “coup” éditorial – et Stephen Carriere démontre depuis des années son engagement auprès de la cause des femmes.

Je pense aussi à l’ambition de Hold-Up 21. Il fallait que les textes soient excitants et littéraires, imprimés sur du beau papier, avec de belles images et une belle mise en page. Le désir féminin, au lieu d’être juste commercialisé, allait se retrouver célébré. C’est suffisamment rare pour attirer mon attention et susciter mon adhésion sans failles. 

Le livre évolue autour d’utopies. Pourquoi est-il important de raconter des utopies ? En quoi cela participe-t-il à faire entendre son histoire ? 

L’utopie est une arme politique indispensable : si on ne sait pas dans quelle(s) direction(s) on veut aller, on est sûre de faire du surplace. Ce besoin d’idéal peut paraître évident, mais, en sexe, franchement, les évidences sont parfois plus faciles à annoncer qu’à réaliser. En l’occurrence, je constate que les femmes ont souvent du mal à affirmer leur désir, parce que le monde de l’érotisme est saturé de codes masculins.

Oser l’utopie, c’est oser se mettre au centre en travaillant dans deux directions : se débarrasser des choses qui ne nous plaisent pas, et trouver ce qui nous plaît. Ce travail demande du temps et de l’énergie, mais les réponses sont enthousiasmantes. Armée de mon utopie personnelle, je me sens bien plus solide qu’avant. 

Maia Mauzaurette dans le livre Hold-Up 21. ©Hold Up 21/ Anne Carrière/ Abigail Auperin

Quelle sensation est-ce de voir sa fiction transposée en image ? Qu’avez-vous ressenti en tant qu’artiste, femme et féministe ? 

Je précise que la fiction est adaptée plutôt que transposée : Abigaïl a fait un véritable travail de créatrice, qui ajoute une dimension supplémentaire à nos textes. Ensuite, comme pas mal d’autrices, je suis plus à l’aise planquée derrière mon ordinateur que devant l’objectif : ce n’est pas évident de se dévoiler – surtout aux côtés de jeunes hommes absolument charmants.

« J’ai la conviction profonde que l’avenir sera collectif ou ne sera pas. L’union fait la force et permet d’accomplir la vision. »

Anne Vassivière

Cela dit, j’ai tout de suite été séduite par l’ambiance “film noir” qui se dégage des images. J’ai aussi eu l’impression de découvrir les secrets de fabrication du glamour : alors qu’on a pris les photos dans des bureaux assez sordides, le travail d’éclairage a permis de les rendre à la fois élégants et intrigants. Finalement, la photographie, c’est comme l’érotisme : un peu de magie et tout est sublimé !

3 Anne Vassivière

Pourquoi avez-vous choisi de participer à ce projet si unique ?

Ce qui m’a convaincue, c’est l’enthousiasme de l’éditeur, Stephen Carrière. J’ai senti une force fédératrice capable de déplacer des montagnes. L’intime est un sujet passionnant sur lequel j’aime écrire, mais il s’agit d’un domaine délicat, à la fois fort et fragile. Ce qu’évoquait Stephen mariait volonté et subtilité, j’y ai reconnu l’élan qui porte mes écrits.

Anne Vassivière dans Hold-Up 21. ©Hold Up 21/ Anne Carrière/ Abigail Auperin

Ce projet est unique par la conscience qu’il porte : un collectif résolument varié d’intervenantes, des voix multiples qui disent le désir et le plaisir féminin, sans oublier que corps et sexualité sont politiques. 

Outre la vision du projet, c’est la joie du collectif qui m’a enthousiasmée. Hold Up 21, c’est un état d’esprit de partage et de sororité, 21 frangines qui ne se tirent pas les cheveux comme dans les familles de sang. Vingt autrices qui viennent d’horizons divers. Vingt histoires qui sont autant d’univers à découvrir et dans lesquelles se rêver ou se reconnaître. Parfois se réparer. Vingt portes et une fenêtre ouverte en grand par la photographe Abigaïl Auperin. J’ai la conviction profonde que l’avenir sera collectif ou ne sera pas. L’union fait la force et permet d’accomplir la vision.

Le livre évolue autour d’utopies. Pourquoi est-il important de raconter des utopies ? En quoi cela participe-t-il à faire entendre son histoire ?

Les dystopies ont échoué à nous mettre en garde, elles ne nous ont préservées d’aucun écueil, il est temps de donner leur chance aux utopies. C’est le pari qu’ose l’aventure Hold Up 21, ainsi que l’histoire que je propose. Cet ouvrage, les photographies qui le nourrissent, les expositions, tables rondes, adaptations théâtrales et tous les projets à venir sont porteurs de modèles lumineux. Il ne s’agit pas de nier nos difficultés, nos souffrances, nos questions lancinantes, au contraire. Hold-Up 21, c’est un espace de liberté qui montre les possibles en construction. L’utopie est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Dans Hold-Up 21, l’utopie est choisie comme contraire absolu de la déshumanisation et de l’uniformité. Ce n’est ni une illusion ni une chimère, puisque ce collectif de 21 femmes résolument incarnées et engagées montre que tout grand changement passe par le corps. L’amélioration des rapports entre êtres humains appelle une révolution du rapport au plaisir charnel. Donnons-nous une chance de progresser en tant que société : rêvons, agissons, partageons, aimons ! Hold-Up 21 montre que sororité et égalité sont garantes de liberté.

Quelle sensation est-ce de voir sa fiction transposée en image ? Qu’avez-vous ressenti en tant qu’artiste, femme et féministe ?

C’est un immense cadeau ! Troublant pour l’artiste, valorisant pour la femme qui doute et encourageant pour la féministe en quête de sororité. La fiction proposée se voit ainsi décuplée. Les mots, même écrits, restent volatiles, et les images permettent de fixer les sensations. Mais souvent, elles les réduisent, les simplifient beaucoup trop. Or, le talent d’Abigaïl Auperin se déploie pleinement sur ce point précis : décupler l’imaginaire sans l’enfermer. Là est sa force : chaque portrait ouvre une multitude de ressentis qui enrichit la nouvelle proposée.

C’est parce l’attention à l’autre est essentielle dans Hold Up 21 que nous avons pu accoucher d’histoires et de photos puissantes. Les nouvelles sont d’autant plus habitées que les propositions photographiques le sont. Abigaïl Auperin nous entraîne dans un récit visuel situé entre l’univers étrange de David Lynch et la théâtralité provocante de Guy Bourdin. De ses compositions soignées, de son esthétique parfaite ne se dégage pourtant rien de confortable. C’est le talent singulier d’Abigaïl ! J’en suis comblée, car cette particularité correspond à merveille à l’évènement surnaturel qui se produit dans ma nouvelle, La Perle rare.

La générosité de l’œil de la photographe dépasse la simple sensualité, elle révèle la beauté puissante de ses modèles pour faire de ce recueil une célébration du désir et du plaisir féminin dans leur variété. Hold-Up 21 a cherché la diversité des voix pour en accueillir la complexité. Parce que chacune des participantes se sent renforcée par Hold-Up 21, je suis certaine que les lectrices le seront aussi. Nous avons collectivisé un élan et cela donne du courage à la femme que je suis. 

4 Aïna Rahery

Pourquoi avez-vous choisi de participer à ce projet si unique ?

Sans m’en rendre compte, j’ai appris à lire avec des ouvrages qui parlaient d’érotisme. Comme beaucoup d’enfants je lisais la Comtesse de Ségur ou les Fantômette, mais je piochais aussi dans la bibliothèque de mes parents et ça ne choquait personne de me voir, à 8 ans, plongée dans Les Yeux plus grands que le ventre de Cavanna ou Tendre et Violente Élisabeth de Troyat.

Ensuite, j’ai découvert Colette et Nabokov à 16 ans et je les ai aimés d’amour fou. L’Ingénue libertine de Colette, c’est quand même l’histoire d’une femme qui met en l’air tous les tabous pour trouver le plaisir et la liberté qui lui sont dus. Et les propositions de Nabokov dans Ada ou l’ardeur, comme le rapprochement entre plaisir charnel et plaisir du langage, en font encore l’un de mes livres préférés. Peut-être aussi qu’à l’époque, ça me faisait du bien de constater que certaines choses très dures que je vivais, avec suffisamment de travail et de courage, pouvaient devenir un matériau littéraire.

Aïna Rahery dans Hold-Up 21. ©Hold Up 21/ Anne Carrière/ Abigail Auperin

Commencer par une nouvelle érotique, c’était entrer dans l’écriture par la grande porte, et j’ai immédiatement dit oui quand Abigaïl Auperin m’a proposé de participer. Ce projet est arrivé comme une coïncidence inouïe, un cadeau, et j’en suis encore stupéfaite un an et demi après. Aussi, j’étais terrifiée. C’est surtout pour ça que j’ai accepté. Je savais que c’était le moment, il fallait y aller. Aller chercher ma voix. Et, comme dirait Estelle Meyer, “niquer la fatalité”.

Le livre évolue autour d’utopies. Pourquoi est-il important de raconter des utopies ? En quoi cela participe-t-il à faire entendre son histoire ?

Pour répondre à cette question, il me semble d’abord nécessaire de parler du rapport entre fiction et réalité. On oppose ces deux termes, alors qu’à mon avis ils se complètent. Ce monde qu’on veut changer, on commence par l’imaginer tel qu’on le voudrait. Cet espace de projection, c’est de la fiction.

« Écrire une utopie, c’est faire participer la lectrice ou le lecteur à l’excitation d’un réel désirable. »

Aïna Rahery

À l’heure actuelle, d’ailleurs, on remarque que la réalité reproduit les fictions les plus effrayantes qu’on ait pu imaginer. C’est peut-être le signe que nos fictions ont une efficacité pratique dans le réel, mais aussi que les fictions les plus répandues proposent des visions d’horreur, des dystopies. Il est important, et même fondamental, de construire des utopies, d’offrir à l’imaginaire collectif de travailler sur des possibilités heureuses, épanouissantes.

L’outil de la fiction permet d’instaurer avec la lectrice ou le lecteur un rapport ludique, sans culpabilité, et de garder de la pudeur. La fiction rend participant·e et permet l’empathie. Écrire une utopie, c’est faire participer la lectrice ou le lecteur à l’excitation d’un réel désirable.

« Abigaïl construit des images qui empruntent beaucoup aux héroïnes à la fois abstraites et hypersexualisées des années 1980 ; mais elle neutralise, elle dévitalise même, tout. »

Aïna Rahery

En miroir, l’écriture de fiction a des effets concrets sur l’intime de la personne qui écrit. Et le processus peut se révéler difficile ; dans certains cas, le chemin intuitif est celui de la dystopie. En ce qui me concerne, il a fallu que je travaille beaucoup et que je lutte, millimètre par millimètre, contre l’invasion des souvenirs et des émotions négatives. Et je n’aurais jamais imaginé l’action puissante de ma propre utopie sur ma vie. Je la constate maintenant et me dis que c’est peut-être ça, être une victime : avoir subi des actes criminels, violents, inacceptables, et que leur conséquence soit d’être privée de sa capacité à désirer, donc à agir.

Quelle sensation est-ce de voir sa fiction transposée en image ? Qu’avez-vous ressenti en tant qu’artiste, femme, et féministe ?

L’écriture a été un accouchement douloureux, long, complexe. J’ai puisé le courage dont j’avais besoin auprès de mon éditeur, Stephen Carrière, qui a accompli un travail remarquable, mais aussi dans les photographies qu’Abigaïl Auperin a réalisées à partir des points de repère que je lui avais donnés. Il se trouve que mon shooting a été le premier de toute la série, à un moment où ma nouvelle était encore en genèse. Ce qui était très clair, c’était le canevas narratif, les étapes et les décors clés, et le fait de vouloir parler d’une transformation, d’une libération. En revanche, il y avait beaucoup de choses que je n’osais pas m’avouer et les photos ont été un moteur d’écriture. Il y a eu un dialogue magique, réellement, entre ces images et moi, elles m’ont alimentée.

Pour moi, elles représentent crûment la part d’utopie que je porte et à partir de laquelle j’ai inventé ce personnage de Sahondra. À partir du moment où je l’ai vue “en chair et en os”, je ne pouvais pas la laisser tomber, il fallait que j’écrive son histoire en allant au-delà de ma peur. Mon rapport particulier avec les photographies d’Abigaïl vient aussi du fait que je m’intéresse à son travail depuis le début. Pour Hold Up 21, elle m’a demandé d’être sa curatrice et m’a ouvert son atelier au fur et à mesure du travail.

Abigaïl construit des images qui empruntent beaucoup aux héroïnes à la fois abstraites et hypersexualisées des années 1980 ; mais elle neutralise, elle dévitalise même, tout. Elle instaure visuellement une suspension du jugement qui autorise tous les scénarios, toutes les interprétations de la regardeuse ou du regardeur. Pour moi, c’est une très belle manière de rendre justice à la diversité de nos points de vue d’autrices. 

Ce vendredi 6 octobre 2023, une rencontre avec Abigaïl Auperin, Alexandra Cismondi, Maïmouna Coulibaly, Axelle de Sade, Maïa Mazaurette et Aïna Rahery est organisée à la Fnac Montparnasse dans le cadre de la sortie de Hold-Up 21.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste