Après avoir conquis le public avec son spectacle, Les Mots s’improsent, Félix Radu est de retour au Festival d’Avignon afin de présenter sa première pièce, Rose et Massimo. À l’occasion de l’ouverture de la manifestation la plus incontournable du théâtre, ce 5 juillet, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec l’étoile montante des planches. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans l’écriture, la maîtrise des mots, et la scène ?
D’une certaine manière, c’est la nécessité de faire exister l’idéal. Je pense que la plupart des artistes sont des grands rêveurs et qu’il y a une forme de déception face au monde et à la réalité qui est assez brutale avec des gens sensibles. On vit quand même sur un caillou perdu dans la galaxie [rires].
« Toutes les planètes se sont alignées pour sortir les mots que je gardais dans la tête depuis des années. »
Félix Radu
Il y a quelque chose de vide à combler. Ce qui me plaît tant avec ces trois arts, c’est que la plupart des artistes font du bien au cœur des autres. C’est ce que j’écris dans Rose et Massimo : “Ils semblent consolés d’être inconsolable.” Il y a un peu de cela dans l’art ; c’est ce qui me plaît le plus. Avec de l’encre et du papier, on peut faire surgir des couleurs qui n’existent finalement que dans le cœur des hommes. C’est ce que j’essaie de faire. C’est ce qui me plaît le plus, c’est d’avoir des bouts de paradis dans les mains, qui ne viennent de rien.
Vous évoquez Rose et Massimo. comment est né ce projet ?
Je suis comédien de formation. J’étais passionné par les grands dramaturges, donc j’avais le fantasme absolu de pouvoir écrire un jour une pièce qui puisse titiller Victor Hugo et Alfred de Musset. En grandissant, je me suis installé à Paris et je suis tombé amoureux d’une comédienne. C’était ma première histoire d’amour ; je n’étais jamais tombé amoureux avant. On a vécu une très belle histoire, mais, comme le note Saint-Exupéry, “J’étais trop jeune pour savoir l’aimer”. Cette phrase n’a jamais été aussi vraie.
Un jour, elle est arrivée à la maison, trempée par la pluie. Elle pleurait, car elle avait peur que personne ne l’embauche en sortant de l’école de théâtre, ce à quoi j’ai répondu : “Si le monde est suffisamment idiot pour ne jamais te donner de travail, moi je t’en donnerai. S’il faut qu’il y ait un rôle à la hauteur, je vais te l’écrire.” Elle est repartie, puis j’ai gratté pendant deux semaines Rose et Massimo, sans arrêt.
Toutes les planètes se sont alignées pour sortir les mots que je gardais dans la tête depuis des années. Quand j’ai fini la pièce, je lui ai apportée à son école avec une rose et un post-it sur lequel était marqué : “Cette pièce t’appartient, puisque c’est dans tes yeux que je l’ai trouvée.”
Puis, la vie a fait son chemin, on s’est séparés. Elle est devenue quelqu’un d’autre, je suis devenu quelqu’un d’autre. On se voit de temps en temps, mais, quand la pièce s’est enfin montée, sept ans après, je lui proposé de reprendre le rôle qui lui été destiné. Elle m’a dit qu’elle avait refait sa vie avec un autre garçon et qu’elle avait d’autres projets. Son rôle, désormais, c’est d’être spectatrice de cette pièce.
Vous présentez Rose et Massimo au Festival d’Avignon. Qu’est-ce que cela vous fait de la montrer dans l’un des temples du théâtre ?
En réalité, j’ai déjà fait trois ou quatre fois le Festival d’Avignon avec un seul en scène, Les Mots s’improsent, que j’ai écrit quand j’avais 15-16 ans. C’est là que tout a commencé, parce qu’effectivement, c’est un incontournable du théâtre. Sauf que ça coûte une fortune d’aller au Festival d’Avignon ! Heureusement, ma famille m’a beaucoup aidé et a tout mis en œuvre pour me permettre de m’y rendre. On vient de la campagne, mes parents n’étaient pas spécialement riches. Ils ont carrément dû hypothéquer la maison pour que je puisse me produire là-bas.
On a mis toutes nos économies familiales et on est partis au Festival d’Avignon tous ensemble ; mes parents, mon grand-père, même mon avocat [rires]. Et on a fait complet tous les jours. C’est aussi là-bas que j’ai rencontré mes producteurs. Mon début de carrière, je le dois au Festival d’Avignon. Avec Rose et Massimo, c’est la première fois que je viens avec une pièce. Je ne suis pas le seul à devoir gérer le bateau. Et puis, c’est un nouveau projet, un nouveau texte. Je ne sais pas comment ça va être reçu par le public, donc j’ai une vraie appréhension, mais je me dis que l’on rentre dans les choses sérieuses [rires].
Rose et Massimo a-t-il été compliqué à monter à et produire ?
Je ne vous cache pas que ça reste toujours un peu de la débrouillardise, le théâtre. J’ai voulu professionnaliser toute la production au maximum, mais ça a été la croix et la bannière. Ça a été un parcours du combattant de réussir à convaincre des gens de la monter, parce que les producteurs et les éditeurs sont toujours un peu frileux.
J’ai fait le pari d’embaucher les gens au talent et pas à la réputation. Je suis aussi très fier de moi, car j’ai réussi à faire en sorte qu’on ait le budget pour payer toutes les répétitions et toutes les représentations. Je suis très heureux que ce soit un projet qui, malgré la difficulté, ait pu promettre le confort d’un lit et d’un salaire tous les jours.
C’est une pièce qui parle d’amour. Pourquoi cette thématique vous fascine-t-elle autant ?
Je pense que c’est la grande question existentielle de ma vie. Chacun a une chose qui le bouscule, moi c’est ce qui m’empêche de dormir et ce qui me fait lever le matin. Pour moi, l’amour, c’est un peu ce qu’il y a en toile de fond de tous les parcours quotidiens.
« L’amour, c’est l’apothéose des relations humaines ; quand quelqu’un devient un petit peu ton bonheur. »
Félix Radu
Si on se lève le matin pour faire des choses, c’est peut-être parce qu’on a très envie d’être aimé ou d’aimer en retour. C’est passionnant, l’amour. Il y a, certes, les comédies romantiques cheesy de Netflix, mais quand tu regardes l’amour, le vrai amour de la littérature qui est défendu dans Belle du Seigneur, chez Musset, ou dans Dostoïevski, c’est vraiment complexe. Encore aujourd’hui, on ne sait pas comment faire durer une histoire d’amour, comment la réussir, comment se placer face à l’autre qui nous dévore. Je trouve ça passionnant, parce que c’est l’apothéose des relations humaines ; d’avoir quelqu’un qui devient un petit peu ton bonheur. Ça me terrorise et ça me passionne et c’est ce que j’ai envie de raconter.
Finalement, quand je parle d’autre chose, je ne fais que parler d’amour. Dans Rose et Massimo, il y a d’autres thématiques – le pouvoir, la fraternité –, mais en fait ça ne fait que parler d’amour. Arrêtons de penser que si on parle d’amour, on est forcément ridicule.
Quelle est la différence entre l’écriture et la production d’un seul en scène et d’une pièce ?
Ce n’est pas le même travail. En tant qu’interprète sur le seul en scène, notre partenaire de jeu, c’est le public, donc on est toujours connecté à la salle. L’humour a quelque chose de plus décontracté, et de plus populaire. Pareil dans l’écriture. Dans un seul en scène, on peut se permettre de tester, de changer, de modifier, de faire grandir avec le public, alors qu’avec une pièce de théâtre il faut que ce soit carré et bien travaillé.
Dans le théâtre, on a aussi des partenaires de jeu à qui on confie une partition ; chacun a sa sensibilité, son ego, sa personnalité. Il y a aussi les coups de fatigue à gérer. Ça, j’ai dû l’apprendre sur le tas. C’est un jeu familial qui a ses hauts et ses bas.
Vous avez créé un univers unique dans l’humour grâce à votre seul en scène. Comment le définiriez-vous ?
Raymond Devos a écrit : “L’humour est une chose sérieuse avec laquelle on ne rigole pas.” Je trouve ça très amusant. Il y a aussi ce proverbe : “On ne va jamais aussi loin que quand on ne sait pas où on va.” Je trouve cela assez véridique avec le seul en scène, c’est-à-dire que je pense que je voulais écrire une pièce, déjà quand j’étais gamin, mais je n’avais pas du tout le bagage nécessaire à l’époque.
J’ai écrit ce seul en scène comme une première étape, d’ailleurs la plupart des textes des Mots s’improsent sont des poèmes que j’ai écrits, que j’ai réadaptés en sketch, pour faire rire mes camarades de classe.
J’ai écrit un spectacle tel que j’ai pu le faire avec mes petits bras et mon imaginaire. J’ai créé le spectacle tout seul dans ma petite chambre en me disant que ça me faisait rire, et quand j’ai commencé à le jouer, les gens m’ont dit que ça ne ressemblait à rien d’autre. C’est un objet extraterrestre dont je suis très fier, parce qu’il représente vraiment l’enfant seul que j’étais, dans toute sa bizarrerie et dans toute sa sensibilité à la littérature.
Pourquoi la poésie est-elle si importante ?
Je pense que l’école nous donne une image biaisée et poussiéreuse de la poésie. Elle a une description bien plus vaste, car, pour moi, c’est une réponse à la peur de mourir, à la peur de vieillir, à la peur de ne pas être aimé. C’est ce qui est beau, utile, mais pas nécessaire. C’est tout ce qu’on fait de plus, qu’on aurait pu ne pas faire, mais qu’on a quand même fait et qui est beau. En ce sens, la poésie ne peut pas être désuète et démodée, puisqu’elle est intrinsèque à l’être humain. Elle est à tous les coins de rue, finalement.
Mon combat, c’est de rappeler aux gens d’arrêter d’être orgueilleux en disant “J’ai lu Proust, c’est formidable”, alors que la poésie se trouve aussi sur TikTok. Il faut arrêter de hiérarchiser la poésie. Les rappeurs sont des poètes incroyables aussi. Ils n’ont rien à envier à Musset ou à Hugo. La poésie est partout et il faut arrêter de lui faire procès. Faisons plutôt un procès au temps qui passe et qui fait qu’un certain format devient plus compliqué. C’est Alfred de Musset qui disait : “Est-ce vieux que d’être immortels ?” Je pense que la poésie, quelque part, est immortelle.
Qu’est-ce qui est le plus compliqué : jouer ou écrire ?
Ce n’est pas le même travail, donc il y a des difficultés et des avantages dans les deux camps. L’écriture, c’est comme l’amour : quand tu es d’accord, c’est génial, quand tu n’es pas d’accord, c’est horrible.
Le problème, parfois, avec l’écriture, ce sont les commandes qui impliquent une obligation d’écriture et un timing à gérer. C’est un enfer et ça me semble anxiogène, parce que j’ai une relation avec l’écriture qui est nécessaire et qui va jaillir d’un coup. Alors que dans le jeu, pour le coup, c’est peut-être plus facile pour moi de répondre à des commandes. Ce n’est pas du tout la même relation.
Alexis Michalik a salué votre génie et votre manière de disséquer l’amour. Fait-il partie de vos modèles ? Qui sont vos incontournables du théâtre ?
Pour moi, il y a forcément Rostand, Musset, Hugo, Shakespeare, Molière, Yourcenar, Kundera… Il y aussi Saint-Exupéry, mais Alexis Michalik, comme nous sommes contemporains, j’ai plutôt cette vision du grand frère. C’est un modèle, mais un modèle à taille humaine.
Je ne sais pas s’il me donnera l’autorisation d’être considéré comme son petit frère, mais je le regarde faire et je me dis qu’il a à chaque fois une idée géniale, qu’il l’amène jusqu’au bout et qu’il en fait un carton. Je le regarde et j’ai presque envie de le copier [rires]. J’admire beaucoup sa manière de bosser. Il casse la baraque à chaque fois !
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Quelles œuvres attendez-vous durant le festival d’Avignon ?
Cette année à Avignon, il y a la pièce de théâtre Le Marchand d’étoiles, mise en scène par Julien Alluguette. C’est une écriture contemporaine. Ça parle du marchand de tissu qui a cousu les étoiles juives durant la Seconde Guerre mondiale. C’est une écriture, si j’ose dire, légère et drôle. C’est sur un thème très triste en toile de fond, mais l’histoire qui se déroule est à la fois drôle et tendre. Et c’est comique, ça joue bien. Pour moi, ce serait la recommandation à Avignon, cette année.
Je pense aussi à la pièce Oublie-moi qui était passée l’année dernière et qui a connu un succès monstre. Je l’ai vu deux fois tellement j’ai été bouleversé. Il faut absolument aller la voir, sensations fortes garanties !
Rose et Massimo, de Félix Radu, la billetterie est par ici.