Né en 1973, le guide du Routard fête ses 50 ans d’existence. Au compteur : 55 millions d’exemplaires vendus, et plus de trois générations de lecteurs. Un anniversaire en forme de symbole, qu’un livre (Les 50 voyages à faire dans sa vie) est venu incarner en librairie. L’occasion de partir à la rencontre de son fondateur, Philippe Gloaguen, à l’occasion d’une séance dédicaces à la Fnac Saint-Lazare de Paris.
Qui n’a jamais entendu parler du Guide du Routard ? Dès sa création, il s’est imposé comme une référence parmi les guides de voyage. Mais quelle était l’ambition du Routard au départ ? Et comment a-t-il évolué ? Entretien au long cours avec celui qui est derrière l’histoire du guide aux 2 millions et demi d’exemplaires vendus chaque année : Philippe Gloaguen.
“Informer sans trop se prendre au sérieux” : pourrait-on résumer l’ADN du Routard de cette façon ?
Oui, c’est un élément fondamental. Mais ça n’est pas le seul. En premier lieu, le grand principe du guide du Routard, c’est le voyage en liberté. Deuxièmement, c’est le meilleur rapport qualité-prix. Que vous soyez petit budget, moyen, ou plus chic, vous avez, à chaque fois, des adresses qui correspondent. Troisièmement, on veut apprendre aux gens des choses, mais d’une façon un peu décalée, amusante, précisément parce qu’ils sont en vacances. C’est le contraire du cours universitaire.
L’idée d’une proximité avec le lecteur n’est jamais loin…
Je suis fils d’instituteur, j’adore transmettre, mais mon père n’a jamais été universitaire. Le Routard prend les gens où ils sont, et on essaie de leur expliquer.
C’est aussi cette accessibilité qui a permis de vous démarquer de vos concurrents, non ?
Oui, je pense que, très vite, on a été très soutenu par la presse, parce que les journalistes se sont dit : “ils sont un peu déconnants, mais ils sont beaucoup plus sérieux qu’ils le laissent croire”.
« Le Routard prend les gens où ils sont, et on essaie de leur expliquer. »
Philippe GloaguenFondateur du Guide du Routard
Tout ceci est porté par une équipe aux compétences très diverses…
Mes rédacteurs sont spécialisés : un spécialiste du vin, un spécialiste du vélo, etc. Personnellement, je suis passionné du néolithique, d’art médiéval, je connais toutes les cathédrales françaises, etc. Par exemple, je me rends à Lascaux à peu près une fois par an. Les fresques sont très jolies, mais sur place, vous comprenez l’origine des religions. Dans le Routard, il y a plusieurs strates de lecture. Vous n’êtes évidemment pas obligé de tout lire. Typiquement, à Lascaux, il y a un homme en érection qui est représenté. C’est une chose amusante, et mystérieuse, car il est tout de même tout seul. C’est le premier niveau de lecture.
De plus, cet homme est un peu bizarre, car il a un masque avec une sorte de bec d’oiseau : est-ce un masque ? Est-ce un chaman ? C’est le deuxième niveau de lecture.
Au troisième niveau, le Routard vous explique qu’à mieux y regarder, les animaux représentés sont des bêtes féroces. Pourquoi ? Parce que la religion est basée sur la peur, et l’Homme honore ce qu’il craint. C’est le fondement de la religion, et à Lascaux, vous le voyez. Derrière, il y a deux chercheurs-archéologues, qui m’ont donné des renseignements très précis. Pour nous, ça, c’est passionnant : prendre les gens à leur niveau, et, un peu en rigolant, les amener à apprendre.
Votre première destination, en 1973, était la route des Indes. Pour quelle raison avoir choisi cet endroit ?
C’était très à la mode. Tout le monde voulait aller en Inde. Les charters n’étaient pas encore tout à fait arrivés. On y allait par la route, on faisait de l’auto-stop jusqu’à Istanbul. À Istanbul, on prenait le train, le bus pour traverser l’Iran, le camion pour l’Afghanistan, puis le train pour le Pakistan et l’Inde.
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Ce premier voyage n’était pas un voyage personnel…
Non, je voulais être journaliste. Pour ce voyage, je travaillais pour Actuel [magazine disparu en 1994, ndlr]. Personne ne me connaissait, mais ils m’ont pris parce que j’étais le moins cher de tous. J’avais dit à Jean- François Bizot [le directeur de la publication] que je lui coûterais 1500 francs de frais, autrement dit, rien du tout pour deux mois et demi de voyage. Et il a accepté.
Le tout premier guide a failli s’appeler le guide “Ganesh”…
Vous avez travaillé. Absolument, en Inde, Ganesh est le dieu éléphant le dieu de la débrouillardise, un peu de la combine, de la démerde. Et j’ai trouvé ça bien. Mais personne ne connaissait Ganesh, l’éditeur m’a demandé de changer. Et comme Jean-François Bizot ne connaissait jamais mon nom, il m’appelait “le Routard”. Le nom est né !
Qu’est-ce qui, depuis la création du premier Guide du Routard, a changé dans nos manières de voyager ?
Il y a plein de choses. En 1973, c’était : autostop, camping, auberge de jeunesse. Dans les années 1960, partir à New York coûtait le prix d’une petite voiture neuve. C’était donc réservé à une élite. Moi, je suis parti en 1974 aux États-Unis en travaillant un mois dans un restaurant (pour l’équivalent d’un SMIC). Je suis resté un mois et demi dans des conditions “Routard”. Mais avec l’avion compris, sur place, j’ai voyagé et découvert le pays.
En 50 ans, il y a notamment eu un grand changement, ce sont les charters…
Oui, quand ces derniers arrivent, ils viennent de Belgique. En 1967, il y avait une coopérative belge, la Sytour, qui vendait des places d’avion au départ de Bruxelles à de nombreuses agences de voyage françaises (Nouvelles Frontières, Tour 33, Jeunes sans frontières, etc.). Quand le Routard a commencé, ils démarraient. Puis, les charters ont fait faillite.
Et il y a eu l’arrivée des compagnies low cost…
À la différence des charters, qui sont des vols à la demande, les low cost sont des compagnies régulières bon marché. Les low cost arrivent dans les années 1995 avec Laker Airways à Londres, puis l’irlandais Ryanair, suivi de Transavia, etc. Il y a eu des évolutions, et le Routard s’adapte à tout ça.
Aujourd’hui, le public cherche-t-il plus de confort lorsqu’il voyage ?
Depuis longtemps oui, et même sur les nouvelles générations. On a remarqué que les jeunes de 20 ans voyagent un peu moins que nous à l’époque, afin de voyager plus confortablement. De notre côté, nous partions pour chaque vacances, mais dans des conditions rustiques, car on avait moins d’argent.
« Il y a eu des évolutions, et le Routard s’adapte à tout ça. »
Philippe GloaguenFondateur du Guide du Routard
Quel est l’impact de l’actualité internationale sur le Routard ?
Sur 193 pays à l’ONU, le Routard doit en faire environ 120. Je ne fais pas les pays interdits. Pour la Corée du nord, cela impliquerait 15 jours de voyage pour deux mois de prison : ça n’est pas pour nous ! Pour l’Arabie Saoudite : quel est l’intérêt ? Et puis vous avez des problèmes de sécurité. Nous n’avons jamais traité toute l’Afrique noire. De l’autre côté, on avait un guide pour l’Afrique noire francophone (Niger, Burkina Faso, Mali, etc.). Mais le djihadisme est arrivé, on a commencé à supprimer le Niger, la Côte d’Ivoire, le Mali, etc. Le seul qu’il reste, désormais, c’est le Sénégal.
En quoi le guide du Routard a-t-il réussi à épouser les réflexions qui sont liées aux Droits de l’Homme ?
Les grandes valeurs que le guide défend, on les avait un peu avant tout le monde. Typiquement, le Routard a un chapitre “Droits de l’Homme”. Ça n’est pas que l’on soit plus fort, c’est que nous avions une culture américaine. Pour les luttes interraciales, j’étais aux États-Unis pendant la guerre du Vietnam. J’y étais, je l’ai vu. En rentrant chez soi, on se dit : “il y a un problème”. Concernant les droits des femmes, les grands mouvements féministes étaient évidemment américains, on était donc très sensibilisé, car on avait cette culture un peu mondiale. La culture beatnik nous plaisait, et les personnes qui nous intéressaient n’étaient pas loin de ces combats. Du fait de cette culture américaine, nous avions cinq, dix ans d’avance sur tout le monde.
Comment est pensée l’actualisation des guides pour chaque destination ?
Les Guides du Routard sont annuels, sauf quelques titres qui fonctionnent moins bien. En bref, sur 160 titres environ, 140 sont annuels. C’est la force du Routard. Être les premiers de la classe est aussi dû au fait que l’on sort plus vite que les autres. On a actuellement deux à trois réimpressions par semaine. Quand on réimprime, on modifie des choses, il y a un nettoyage toute l’année d’un titre. Par exemple, si vous achetez la Grèce en septembre, ce sera peut-être la troisième édition de l’année.
Quelles sont les plus grosses ventes du Routard ?
Le premier, depuis douze ans (sauf en 2020), c’est la Corse. Puis, on retrouve la Bretagne, et la Côte d’Azur.
C’est très français !
Ah oui ! Il y a plus de gens qui vont en Bretagne, ou en Corse qu’à New York. En nombre de Français, c’est évident. En revanche, dans les dix premiers, il y a New York et Londres. Deux villes qui sont très chères.
Mais le Routard sait s’adapter à ça, n’est-ce pas ?
Nous, on vous trouve des hôtels trois étoiles à 150 dollars aux États-Unis. Vous gagnez 100 dollars par jour, uniquement sur le logement. Il y a un phénomène très intéressant : les classes qui ont des moyens savent que le Routard propose le meilleur rapport qualité-prix. Par exemple, on fait un carton sur la Californie. Car trouver des hôtels à Los Angeles à 150 dollars, c’est possible, mais il peut y avoir un problème de sécurité. Quand vous êtes en famille, c’est tout de même gênant.
Pour fêter les cinquante ans du Routard, vous avez sorti un livre en grand format : Les 50 voyages à faire dans sa vie. À quelle démarche ce livre répondait-il ?
Ce grand format est le résultat d’un vote de toute l’équipe du Routard [une cinquantaine de rédacteurs]. On a demandé à chacun ses cinq plus belles destinations. On a fait les additions, et ce livre en est le fruit.
Vous avez une destination préférée parmi les cinquante ?
J’adore la Cappadoce, en Turquie. Ce ne sont pas les montgolfières qui m’intéressent, ce sont d’abord les petites randonnées, les églises rupestres. L’art religieux me passionne. Mais ça n’est pas tellement la destination qui compte, ce sont les personnes que vous rencontrez. Partez avec la personne que vous aimez : ce sera un voyage absolument fabuleux. Il y a quelques années, j’étais avec ma femme en Roumanie. J’ai vu des choses formidables, mais les conditions de voyage étaient bordéliques. Ça nous faisait marrer. Tant qu’on n’a pas de punaises de lit, ça va ! Et ce sont toujours des bons souvenirs.
Vous avez également lancé le Routard Magazine. Pourquoi ce format ?
Ça n’est pas du tout mon idée. Claire Léost, la patronne de CMI, m’a contacté pour faire le magazine. De notre côté, c’était en plein Covid, ça tombait très bien. Comme j’ai payé toute l’équipe durant cette période, je me suis dit : “c’est génial, on va faire travailler tous les pigistes”. Désormais, le magazine marche bien, on est content. C’est très différent, c’est lourd, plus compliqué qu’un guide, mais c’est extrêmement harmonieux. On a des relations formidables avec Hachette et avec nos éditrices.
Pour finir, un petit conseil culture pour nous donner envie de voyager ?
Les Trois Mousquetaires, D’Artagnan ! Le film sort cette semaine, et je vais aller le voir en famille. Je suis très amoureux du Gers, et ça m’intrigue beaucoup. J’ai écrit un Guide du Routard sur la Gascogne, donc j’ai une culture de cette région. Il paraît que le film est exceptionnel.
Les 50 voyages à faire dans sa vie, collection Le Routard, Hachette Tourisme, 360 pages, 39,95 €.