Décryptage

Donjons & Dragons à Hollywood : la fin de la malédiction ?

22 mars 2023
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Donjons & Dragons à Hollywood : la fin de la malédiction ?
©Paramount

Il aura fallu un demi-siècle d’existence à Donjons & Dragons pour qu’Hollywood prenne au sérieux cette icône de la culture populaire. À l’aube de la sortie au cinéma de Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs, retour sur une série de rendez-vous manqués entre l’industrie du show business et le plus célèbre jeu de rôle du monde.

Au début des années 1980, un peu moins de dix ans après la création du jeu de rôle, une vague d’heroic fantasy déferle sur Hollywood : Conan le barbare (John Milius, 1982), l’adaptation du Seigneur des Anneaux en film d’animation (Ralph Bakshi, 1978), Le Choc des Titans (Desmond Davis, 1981), Excalibur (John Boorman, 1981), L’Histoire sans fin (Wolfgang Petersen, 1984)… Souhaitant profiter de la vague, le cocréateur de D&D (Donjons & Dragons), Gary Gygax part en mission à Los Angeles dans l’idée de faire adapter son univers, déjà très populaire chez les joueurs américains, au cinéma. Un scénario est écrit, mais jamais tourné. Et le chemin sera très long avant que Donjons & Dragons intéresse vraiment Hollywood.

Tom Hanks dans l’œil des puritains

En 1982, la relation entre le jeu de rôle et le show business démarre très mal. Bien avant les jeux vidéos, Donjons & Dragons était la cible facile afin d’expliquer les déviances de certains adolescents. Accusé d’activités satanistes par les puritains, D&D voit au cours de l’année 1981 son image très écornée par la disparition d’un étudiant de 16 ans dans le Michigan. Le jeune garçon, qui jouait au jeu de rôle certaines nuits dans des tunnels désaffectés de la région, aurait pris son activité ludique trop au sérieux et se serait perdu.

Ce qui n’était finalement que la fugue d’un étudiant mal dans ses baskets (on retrouvera le jeune en Louisiane un mois plus tard) sera une plaie pour la réputation de D&D. Et, bien entendu, Hollywood ne se prive pas d’en faire un téléfilm, Les Monstres du labyrinthe, avec Tom Hanks dans le rôle principal. Le téléfilm est diffusé sur la grande chaîne CBS. Même si le nom de Donjons & Dragons n’est jamais cité dans le scénario, la mauvaise publicité autour de cette affaire oblige le jeu de rôle à s’autocensurer lors de la publication de ses livres, supprimant par exemple toute trace de démonologie.

Dorothée & Dragons

Pas revancharde, l’équipe de Gary Gygax propose à cette même chaîne une série animée. Le projet à un objectif double : séduire la jeune génération afin qu’elle adhère à l’univers (et devienne un puits de futurs acheteurs du jeu), mais également gommer l’image sectaire et sataniste qui entoure de plus en plus la pratique du jeu de rôle. Pour se faire, le concept de la série se base sur un groupe d’adolescents américains des années 1980 propulsés dans le monde de D&D via un manège enchanté. Une fois arrivé dans ce nouvel univers, chacun va endosser un « rôle » (le barbare, l’acrobate, le magicien…) afin de combattre un grand sorcier maléfique.

La direction artistique, délibérément très colorée et rassurante, a été assurée par le prestigieux studio japonais de la Toei Animation. En France, c’est Dorothée, l’incontournable animatrice pour jeunesse de l’époque, qui assure le générique. La série dure deux saisons, enterrée aux États-Unis par un concurrent animé inattendu : les Schtroumpfs !

La trilogie de l’enfer

Du milieu des années 1980 aux débuts des années 2000, il ne se passe plus rien. Le jeu de rôle est en déclin, supplanté par le jeu vidéo (même si Donjons & Dragons est également présent dans ce secteur). De plus, la mode n’est plus vraiment aux magiciens et aux elfes sur le grand écran. Willow, en 1988, la production d’heroic fantasy luxueuse de George Lucas, a déçu au box-office. Les blockbusters de l’époque relèvent plutôt du cinéma d’action et de la science-fiction. À la télévision, seule la guerrière Xena fait vivre le genre entre 1995 et 2001.

Et voilà qu’en 2000, à la surprise générale, New Line Cinema (petite société de production, jusque-là spécialisée dans l’horreur) décide de lancer Donjons & Dragons dans l’arène du box-office. Cette initiative est tout d’abord impulsée par son réalisateur, Courtney Solomon. Grand fan de la licence, il acquiert les droits du jeu de rôle en 1990 pour une somme modique, à l’époque ou l’heroic fantasy est un genre devenu complètement ringard. Solomon n’a alors que 19 ans et il passe les dix années suivantes à chercher les financements pour réaliser son rêve.

Donjons & Dragons : le maudit à Hollywood

Dix-sept ans après l’expédition du cocréateur de D&D à Los Angeles, l’univers de Gary Gygax a enfin droit à son film ! Malgré un casting plutôt alléchant pour l’époque (Jeremy Irons, Thora Birch), le long-métrage ressemble finalement à une grosse série B dont les effets-spéciaux, déjà à sa sortie, sont plus qu’approximatifs. La production de Solomon souffre d’un manque d’argent flagrant, New Line préférant certainement investir dans le développement très coûteux d’un autre film d’heroic fantasy, Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson.

Deux suites verront le jour, directement sorties en DVD, plongeant la licence dans l’abîme des nanars des années 2000 tournés dans les pays de l’Est. Sale histoire.

La renaissance avec Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs

Si D&D repart dans le placard des projets maudits hollywoodiens, le genre de l’heroic fantasy, lui, vit à partir de 2001 un nouvel âge d’or. La trilogie du Seigneur des Anneaux est autant un triomphe public que critique, propulsant enfin les orques, elfes et magiciens dans un monde « crédible » aux thématiques adultes. Hollywood se met à produire, avec plus ou moins de bonheur, toute une série de films sur l’imaginaire: Harry Potter, Narnia, Eragon, Golden Compass (À la croisée des mondes : la boussole d’or)… L’avènement des séries profite également à cet univers grâce à Game of Thrones.

De son côté, le jeu de rôle version papier fait un grand retour dans les loisirs. Donjons & Dragons appartient désormais au géant du jouet Hasbro et celui-ci, à l’image de Marvel, est bien décidé à transformer sa marque mondialement connue en licence plurimédias. La conjoncture est désormais parfaite.

©Paramount

Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs, qui sort le 12 avril prochain, est enfin le projet que fantasmait Gary Gygax. Malheureusement, celui-ci est décédé en 2008 et ne verra jamais son potentiel triomphe hollywoodien.

Cette production importante sous l’égide d’un grand studio (la Paramount) est donc la vraie première chance de D&D à Hollywood, quasiment un demi siècle après sa création. Parallèlement, le studio développe une série pour sa toute nouvelle plateforme (Paramount+).

Ce monument de la culture populaire a enfin l’attention qu’il mérite. Reste à voir si le grand public suivra, au risque de faire revenir « le plus célèbre jeu de rôle du monde » dans les neuf enfers d’Hollywood.

Pour aller plus loin, quelques adaptations inspirées de D&D

Dragonslayer (Le Dragon du lac de feu, 1981)

Le début des années 1980 connaît une vague de films d’heroic fantasy au cinéma. Disney tente le coup avec Le Dragon du lac de feu. Le film est un échec, mais il est pourtant un excellent prototype du genre.

Legend (1985)

Après Alien et Blade Runner, Ridley Scott se tourne vers la fantasy avec Legend. Si le scénario est simplet (un jeune héros doit délivrer une princesse des mains du diable), l’esthétique et la direction artistique du film restent d’une incroyable splendeur.

Willow (1988)

George Lucas essaie de lancer une nouvelle saga après Star Wars. Mélange du Seigneur des Anneaux et de Donjons & Dragons, le film au budget gigantesque pour l’époque ne convainc pas tout à fait. Il faudra attendre 2022 pour que Willow revienne sous forme d’une série disponible sur Disney+.

Le film…
… et la série.

Dragonheart (Cœur de dragon, 1995) :

Avec l’avènement des effets numériques, Hollywood se permet de mettre sur les écrans tout un tas de créatures imaginaires. Cœur de dragon raconte l’histoire d’amitié entre un guerrier et un dragon dont la voix a été assurée par Sean Connery.

Warcraft : le commencement (2016)

S’il s’agit bel et bien de l’adaptation officielle au cinéma du célèbre jeu vidéo, on ne peut s’empêcher de voir un peu plus loin et de trouver l’inspiration originelle du monde de Warcraft dans le vieux jeu de rôle. C’est Duncan Jones, le fils de David Bowie, qui assure la mise en scène.

Pour aller plus loin, quelques lectures

Art & Arcanes, toute l’histoire illustrée d’un jeu légendaire

©Huginn & Muninn

Art & Arcanes, toute l’histoire illustrée d’un jeu légendaire, coll., Huginn & Muninn, 2018, 448 p., 49,95 €.

La Grande Aventure du jeu de rôle

©Ynnis Editions

La Grande Aventure du jeu de rôle, de Julien Pirou, Ynnis Editions, 2020, 29,90 €.

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