Critique

Blue in Green : on a trouvé LA pépite comics à découvrir absolument en janvier

18 janvier 2023
Par Michaël Ducousso
Le style adopté par l'équipe graphique n'est pas sans rappeler d'autres œuvres troublantes comme le fameux “Arkham Asylum” dessiné par Dave McKean.
Le style adopté par l'équipe graphique n'est pas sans rappeler d'autres œuvres troublantes comme le fameux “Arkham Asylum” dessiné par Dave McKean. ©HiComics

Le petit génie de la bande dessinée américaine revient avec un nouveau titre chez Hi Comics. Un thriller horrifique sur fond de musique jazz.

Ram V. Ce pseudonyme revient régulièrement en librairie ces derniers temps. Il faut dire que l’artiste indien enchaîne les succès depuis quelques années, que ce soit chez Marvel, DC Comics ou d’autres maisons d’édition indépendantes. Il est tout simplement l’une des étoiles montantes de la bande dessinée américaine, encensé pour la qualité de ses récits généralement teintés de fantastique et d’horreur.

Avec une telle réputation, Ram V a les coudées franches pour expérimenter. D’ailleurs, ses innovations font souvent mouche, comme cet étrange Blue in Green, récompensé d’un prix Eisner outre-Atlantique et tout juste débarqué dans les bacs hexagonaux ce 18 janvier.

Un hommage graphique au jazz

Pourquoi étrange ? Pas tant pour son histoire, ce qui peut sembler étonnant quand on connaît l’imagination débordante de l’auteur. Le personnage principal de son récit, Erik, est un jazzman qui a loupé le coche du succès et s’est reconverti en prof de musique regardé de haut par ses élèves. Un brin torturé, tendance dépressive, il est obligé de retourner dans la maison familiale pour le décès de sa mère.

Texte, dessin, lettrage… rien n’est laissé au hasard pour plonger le lecteur dans une ambiance aussi jazzy que torturée.©HiComics

C’est là, entre ces quatre murs pleins de secrets, qu’il va faire une rencontre aussi terrifiante que fantastique et retrouver une mystérieuse photo le lançant sur les traces du passé maternel, mais également de sa propre identité avec, à la clé, l’occasion de renouer avec le destin artistique qu’il n’a pas su saisir. Un peu de thriller, une touche d’horreur, la figure classique de l’artiste maudit… Un morceau bien connu.

Le ton mélancolique de Blue in Green devrait mettre la puce à l’oreille des lecteurs : pas la peine de s’attendre à une fin heureuse pour Erik.

À la simple lecture du pitch de départ, on ne voit rien de bien alléchant, mais ceux qui seraient tentés de s’en tenir à la simple quatrième de couverture auraient bien tort. Qu’ils retournent l’album et la promesse des artistes qui ont composé cet ouvrage s’exposera crûment sous leurs yeux.

On y retrouve Erik, le regard aussi intense que celui du Désespéré de Courbet, au centre d’un vinyle frappé du titre, référence au morceau de Bill Evans et Miles Davis, dont la graphie reprend les codes du label Blue Note Records. Tout est dit : bien sûr qu’Erik est le thème principal de cette histoire, mais tout autour, c’est le jazz qui résonne. Et le jazz, c’est une question de génie et d’improvisation.

Un comic-book réalisé en impro

Du génie, Ram V et l’équipe graphique qui l’accompagne n’en manquent pas. Le scénariste a en effet su s’entourer des bonnes personnes pour former un remarquable quartet. Anand RK au dessin, John Pearson aux couleurs et Aditya Bidikar au lettrage… Tous contribuent au moins autant que le leader de leur groupe à la qualité de l’ouvrage qui, à la manière d’un morceau de jazz, laisse l’espace à chacun pour exprimer sa virtuosité. Résultat, la musique est là, partout, tout le temps.

La couverture de Blue in Green donne le ton du récit en dévoilant quelques détails qui n’échapperont pas aux amateurs de jazz.©HiComics

Dans les souvenirs que côtoie Erik, dans les décors qu’il traverse, dans la récurrence des motifs circulaires ou à spirales, dans les allusions au Bronx des années 1960… toute cette BD sent le jazz. Si bien que sans l’entendre, on peut l’écouter au fil d’un récit qui, du thème Erik, improvise autour du deuil, de la filiation, de la folie, de l’ambition et de l’amour.

En près de 120 pages, Blue in Green enchaîne les éléments d’intrigues sans quitter de vue Erik et la musique. Cela peut sembler chaotique, mais c’est un chaos mélodieux, totalement voulu par les artistes. Comme l’explique Ram V à Newsarama, lui et sa bande ont vraiment œuvré à la manière des jazzmen : « J’ai travaillé sans plan établi trop à l’avance. Chaque page était écrite en réaction au rendu artistique de la précédente. Comme si nous improvisions l’histoire, en laissant la narration nous emporter là où il le fallait – comme dans le jazz ! »

Le jazz s’invite partout dans ce comic-book, jusque dans la composition des pages.©HiComics

Si Ram V est le nouveau fils prodigue de la bande dessinée américaine, son nom, cité en premier sur la couverture de Blue in Green, ne doit pas éclipser celui de ses acolytes. C’est véritablement une œuvre collective et, au vu du résultat final, chacun mérite d’être encensé pour son apport. Non pas parce que l’histoire est totalement novatrice, ou parce qu’elle bouleverse radicalement le lecteur – même s’il faut reconnaître qu’encore une fois, le scénariste, toujours doué d’une empathie incroyable envers ses personnages, nous offre une magnifique plongée dans la psyché d’Erik. Non, le vrai mérite du groupe qui a produit cet album, c’est d’avoir réussi à rendre en images les notes si particulières du jazz.

Blue in Green, de Ram V, Hi Comics, 152 p., 24,95 €. En librairie le 18 janvier 2023.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste