Si le métavers, qui ne sera pas pleinement développé avant des années, est encore une notion abstraite, il suscite déjà des inquiétudes. Explications.
Fin 2021, l’entreprise connue sous le nom de Facebook depuis plusieurs années s’est rebaptisée Meta. Objectif : mieux refléter son projet de métavers, soit des mondes virtuels où les utilisateurs pourraient socialiser, se divertir et travailler. Ce terme inventé en 1992 a, depuis, connu un regain de popularité, de nombreuses marques et entreprises s’étant lancées dans l’aventure. Et, selon l’institut Gartner, 25 % de la population devrait passer au moins une heure par jour dans le métavers d’ici à 2026. Pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui, personne ne sait vraiment de quoi on parle. Le flou autour de ce concept n’empêche cependant pas certaines personnes d’appeler à réguler le métavers.
Un concept flou
Si ce terme est souvent évoqué au singulier, il faudrait plutôt parler « des métavers », car il en existe plusieurs, comme l’indiquent les auteur·rice·s d’un récent rapport (Mission exploratoire sur les métavers) remis au gouvernement, Adrien Basdevant, avocat au Barreau de Paris, Camille François, chercheuse à l’université de Columbia, et Rémi Ronfard, chercheur à Inria. Microsoft, Epic Games, Roblox, The Sandbox… de nombreuses entreprises ont leur propre vision de ce concept et cherchent à la développer. Pour Mark Zuckerberg, PDG de Meta, il s’agit par exemple du futur d’Internet. Les influenceurs estiment, eux, qu’il remplacera les réseaux sociaux.
« Le métavers, c’est une multitude de services et d’espaces, plus ou moins ouverts », expliquent les auteurs du rapport. Selon eux, de nombreuses sociétés profitent du « flou entourant ce concept pour s’afficher comme des acteurs du métavers, proposant leur propre définition du concept, servant leurs intérêts. Ainsi, des projets aussi différents que des plateformes de réalité virtuelle, des jeux vidéo multijoueurs, des plateformes de diffusion de concerts en réalité augmentée ou des sites de vente en ligne (marketplaces) fondées sur des blockchains, ont tous recours au terme de “métavers” pour se définir ».
Face au flou de ce concept, les auteur·ice·s du rapport proposent une définition, qualifiant le métavers de « service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives ».
Un concept encore lointain
S’il est encore difficile de définir ce qu’est le métavers aujourd’hui, ce n’est pas pour rien. Bien que plusieurs acteurs se soient lancés dans l’aventure et aient largement communiqué sur la question, il va encore falloir des années pour que le métavers soit abouti. Nous sommes ainsi au tout début de ce concept. Meta lui-même, lors de sa conférence l’année dernière, n’a jamais dit que son projet était pour demain. Interviewé par le média The Verge, son PDG a d’ailleurs réitéré que des années passeront avant qu’il ne soit entièrement construit. « Ce n’est pas comme si ce truc allait être complètement développé dans un an ou même deux ou trois ans. Il faudra beaucoup de temps pour construire la prochaine plateforme informatique », a assuré Mark Zuckerberg.
Un métavers est un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives.
Pour le moment, Meta n’a fait que donner un avant-goût de sa vision à travers ses plateformes de réalité virtuelle, notamment Horizon Worlds. Comme d’autres, ce sont ainsi des ébauches de métavers. Bien que ces mondes virtuels soient encore en développement, certains appellent déjà à les réguler.
La régulation, une nécessité ?
Depuis l’année dernière, la question de la réglementation du métavers a été évoquée à plusieurs reprises. Les auteurs de la Mission exploratoire sur les métavers proposent par exemple de « lancer dès maintenant le travail d’adaptation, notamment du règlement général sur la protection des données (RGPD), la législation sur les services numériques (DSA) et la législation sur les marchés numériques (DMA) aux enjeux métaversiques ».
Pourquoi parle-t-on déjà de régulation alors que le métavers ne sera pas entièrement construit avant des années ? La réponse est simple : l’objectif est justement de le réglementer avant qu’il n’existe vraiment, afin de protéger les utilisateurs d’éventuels dangers. « À l’heure actuelle, le métavers est là où les réseaux sociaux étaient il y a 20 ans. L’industrie est tellement captivée par les possibilités utopiques et personne ne se concentre sur la réglementation des dangers. À l’évidence, nous pouvons tous voir à quel point il est difficile de réparer les dégâts des réseaux sociaux maintenant. Nous ne pouvons pas répéter cette erreur avec le métavers », a expliqué Louis Rosenberg, ingénieur et chercheur, lors d’une conférence, à l’occasion de la Metaverse Safety Week (MSW), un événement annuel organisé par la XR Safety Initiative (XRSI) pour explorer les problèmes et aider à sécuriser le métavers.
Cette idée est aussi partagée par Mark Zuckerberg. « L’interopérabilité, les normes ouvertes, la vie privée et la sécurité doivent être assurées dans le métavers dès le premier jour (…) Il s’agit de concevoir pour la sécurité, la confidentialité et l’inclusion avant même que les produits existent », a-t-il déclaré lors d’un échange avec Nick Clegg, président des affaires internationales de Meta, en octobre 2021.
Il est malheureusement déjà un peu tard pour ça : si des personnes appellent à réguler ces univers virtuels, c’est parce que les problèmes y sont déjà présents. C’est par exemple le cas de l’organisation de défense à but non lucratif SumOfUs, qui a été témoin de divers comportements toxiques (harcèlement sexuel, commentaires à caractère homophobe…) dans Horizon Worlds et d’autres applications appartenant à Meta. Plus récemment, Interpol, qui travaille avec le Forum économique mondial et plusieurs acteurs de l’industrie du métavers pour réglementer ces mondes virtuels, a dévoilé son propre espace pour lutter contre la criminalité. Ainsi, bien que le concept de métavers soit encore flou et qu’il n’existe pas encore, il apparaît urgent de définir des règles pour ces mondes qui pourraient, plus tard, occuper une place aussi importante qu’Internet aujourd’hui.