Dans un récit en apparence personnel, Charlotte Puiseux, psychologue, philosophe et militante handiféministe porte une réflexion générale et politique sur le système validiste et l’ensemble des préjugés et discriminations qui visent les personnes en situation de handicap.
De chair et de fer n’est pas un livre sur le handicap. Il s’agit d’un essai sur le validisme, un système de croyances et de discriminations politiques et sociales visant les personnes en situation de handicap. Cette idéologie « repose sur le fait que les corps désignés comme valides ont plus de valeur que les corps désignés comme handicapés ».
Charlotte Puiseux écrit sur le validisme pour « renverser les stigmates pour en faire des sources de fierté ». L’autrice analyse la façon dont le handicap a été défini malgré lui, c’est-à-dire surtout du point de vue de ceux qui n’en ont pas. En découle, dans notre société, une mise à l’écart organisée dès la petite enfance, ce dont témoignent par exemple les instituts médico-éducatifs et autres structures qui accueillent des enfants handicapés, « dont il semble naturellement admis » que leur place n’est pas parmi les autres, les « normaux ».
Dénoncer un système politique
Si la psychologue et philosophe handiféministe part bel et bien de son parcours de vie et de son militantisme, elle déploie assez rapidement une réflexion plus englobante sur le traitement général réservé à celles et ceux qui ne sont pas « valides ». Selon Charlotte Puiseux, l’un des principaux écueils d’une société validiste consiste à penser le handicap seulement comme une déviance de la norme médicale. « Cette norme médicale est associée à une vision éthique du bien et du mal » ; la validité représente ce qui fonctionne, le handicap, ce qui dysfonctionne.
Finalement le système validiste n’a de cesse de comparer une vie en situation de handicap à une vie « normale », érigée en objectif ultime. Ce qui se manifeste notamment par une obsession de la guérison. Charlotte Puiseux se rappelle, enfant, d’exercices de « rééducation » : corset de jour, corset de nuit, cadre de moulage afin de lui écarteler les bras et les jambes. À terme, il fallait redresser la sacro-sainte colonne vertébrale, pour préserver sa respiration. Et donc la vie. « Nos [colonnes vertébrales] ne nous appartiennent plus. Elles sont les réussites ou les échecs de la médecine. »
Outre l’obsession des corps jugés valides, cette vision médicalisée du handicap invisibilise toute la violence sociale et symbolique du validisme : du discours misérabiliste dans des émissions comme le Téléthon à l’injonction au dépassement de soi dans le cadre des Jeux paralympiques par exemple. Charlotte Puiseux cite un billet de blog d’Elena Chamorro : « La consécration ultime d’une vie de paraplégique est d’aller aux Jeux paralympiques. Un paraplégque qui gagne, c’est un paraplégique résilient. » Transcender sa condition, voilà le maître mot.
Femme et handicapée, la double peine
« Le privé est politique », assène Charlotte Puiseux, ce qui explique l’installation des stéréotypes validistes jusque dans les (non-)relations amoureuses des personnes handicapées. Exclue de la vie étudiante, des fêtes et des sorties ciné par manque d’accessibilité, l’autrice raconte ces adolescences que l’on prive de rencontres affectives et sexuelles. « C’est bien le fruit d’un système qui relègue les êtres handicapés dans le non-désirable, le non-sexualisable. » Ce qui explique, pour elle et pour tant d’autres, d’avoir constamment été considérée comme la meilleure amie et jamais comme une potentielle amante ou partenaire.
Et, puisqu’il est question de couple, Charlotte Puiseux en profite pour croiser la question du handicap avec celle du féminisme, rappelant que les violences conjugales touchent quatre femmes en situation de handicap sur cinq. Dans une perspective intersectionnelle, elle tisse de nombreux liens entre le sexisme et le validisme, rappelant qu’elle subit donc une double discrimination qu’elle a conscientisée sur le tard. À terme, elle invite par exemple à s’inspirer de la Marche des fiertés LGBT+ et de « faire du handicap, une fierté ».