Dérivée du long métrage éponyme, la série créée par Jemaine Clement et Taika Waititi méritait bien un coup de projecteur – mais pas trop fort.
Leur sensibilité mortelle à la lumière du soleil ne nuit-elle pas aux vampires pleins d’humour en quête d’audience ? Ce n’est pas ce que semble avoir pensé le diffuseur FX, qui a déjà diffusé quatre saisons de cette comédie déjantée (visible chez nous sur Canal+). Si le film What We Do in the Shadows avait rencontré un joli succès critique, notamment lors de sa première projection au festival Sundance en 2014, le mockumentaire sur ces étranges créatures n’a jamais su vampiriser le box-office. Voilà qui explique sans doute la mise en suspens, pour une durée indéfinie, d’une suite consacrée aux loups-garous, We’re Wolves, souvent évoquée par Waititi et Clement en interview.
Vampire State Building
En passant au format série, les deux producteurs ont gardé le format du mockumentaire, de façon de moins en moins appuyée au fil des saisons, mais ils ont surtout changé de lieu et de casting. Exit la Nouvelle-Zélande et les deux producteurs en premiers rôles, place au New Jersey et à un casting au fort accent britannique. Trois des cinq rôles principaux sont en effet interprétés par des acteurs anglais, appuyant la théorie de leur migration du vieux continent vers les États-Unis il y a quelques siècles, dans le but de conquérir ce territoire pour leurs congénères.
Le premier épisode nous dévoile une galerie de monstres et leur vraie nature : celle de vampires oisifs, dépassés par le monde moderne, et bien trop occupés à satisfaire leurs propres expérimentations et fantaisies pour s’essayer à l’invasion d’un pays aussi vaste. Leur orgueil se limite à la conquête de deux maisons alentour, dont ils hypnotisent régulièrement les voisins.
Détonnant dans le cadre des pavillons banlieusards du New Jersey, leur manoir tient plus d’une ruine que du château de Dracula. C’est pourtant là que leur improbable collocation tente de s’adapter, tant aux uns et aux autres qu’au monde extérieur. Et c’est également dans ce lieu inquiétant qu’une équipe de télévision commence son reportage sur cette société secrète, à des années-lumière des mythes terrifiants de leur engeance.
Un casting qui a du mordant
La grande force de What We Do in the Shadows, c’est avant tout son casting, à commencer par sa tête d’affiche. Autoproclamé leader, parce qu’ancien souverain d’un royaume disparu (Al-Quolanudar, supposément au sud de l’Iran), Nandor (Kayvan Novak, vu dans Four Lions) est aussi terriblement nostalgique. Et maladroit avec les personnes qu’il affectionne, alors qu’une certaine solitude le dévore secrètement. L’une de ses rares connexions avec le monde actuel est sa passion pour la Dream Team, l’équipe de basket des USA aux Jeux olympiques de 1992.
Leslie « Laszlo » Cravensworth (Matt Berry, le patron excentrique dans The IT Crowd) était un aristocrate anglais, converti au vampirisme par celle qui aujourd’hui partage sa vie, Nadja. Il a gardé de sa vie passée un goût prononcé pour le sexe, sous toutes ses formes, mais aussi la musique, la poésie et diverses formes d’art. De prime abord plutôt désagréable avec son élocution pédante et une confiance en lui exaspérante, il se révélera bien plus sensible et sympathique qu’attendu. L’une de ses fiertés est un chapeau fabriqué en peau de fesse de sorcière, frappé d’une malédiction.
Nadja Antipaxos (Natasia Demetriou, vue dans la série Stath Lets Flats) est comme le mari qu’elle s’est choisi : toujours avide de sexe, mais aussi chanteuse à ses heures, formant alors un insupportable duo avec Laszlo. Étant l’unique représentante de son genre au sein de la colocation vampirique, elle a parfois du mal à supporter les combats d’ego… lorsqu’elle n’y participe pas elle-même. Son passé misérable jusqu’à l’excès, riche en anecdotes baignant souvent dans l’humour noir, en fait également un personnage touchant. Son propre fantôme s’incarnera dans une poupée qui deviendra sa confidente.
Intrus dans le cercueil
Guillermo de la Cruz (Harvey Guillén, vu dans le film The Internship) est le « familier » de Nandor, mais par extension de tous ses hôtes. Depuis déjà dix ans, il assure l’intendance du manoir, sert son maître de son mieux, en attendant en vain de la reconnaissance et surtout sa transformation en être de la nuit. C’est après le visionnage du film Entretien avec un vampire (bientôt adapté en série lui aussi), en grande partie charmé par le personnage d’Antonio Banderas, que lui est venue cette vocation étrange. Mais il va peu à peu découvrir sa vraie nature, bien peu compatible avec ses rêves, tout en s’affirmant de plus en plus. Un personnage adorable, qui peut pourtant se montrer aussi étonnamment sournois ou calculateur.
Dernier rôle principal, mais pas des moindres : Colin Robinson (Mark Proksch, Nate Nickerson dans The Office, également vu dans Better Call Saul). À l’inverse de ses colocataires, c’est un vampire énergétique. Il s’appuie sur sa capacité à considérablement ennuyer les gens par sa conversation, et se nourrit alors de leur énergie vitale. Capable de sortir en plein jour, il s’acquitte de faire rentrer des revenus pour le groupe entier. Il parvient même à obtenir des promotions alors qu’il ne fait que pourrir l’ambiance chez son employeur. Sa transformation radicale au bout des trois premières saisons intervient au terme d’événements dramatiques, qui là encore rendent ce personnage émouvant.
Un rythme décalé
La vie de ce groupe noctambule donne lieu à des aventures souvent sans queue ni tête, suivant les cabotinages des acteurs, des gags à retardements parfois savamment préparés sur plusieurs épisodes, ou tout simplement l’envie des showrunners de faire participer une foule de guests. Parmi les plus célèbres, impossible de ne pas citer Mark Hamill (Star Wars) complètement étonnant. L’acteur paraît comme possédé par son rôle de vampire, ex-tenancier d’hôtel auprès duquel Laszlo a laissé une ardoise conséquente.
Craig Robinson (l’inimitable bandit aux Pontiac dans Brooklyn Nine-Nine) campe un chasseur de vampires à la tête d’un groupe de jeunes un peu trop curieux qui fera long feu. Et, plus récemment, Sofia Coppola, Thomas Mars et Jim Jarmusch, dans leurs propres rôles, ont eu droit à un traitement qu’on peut qualifier de « VIP ».
Si quelques gags resteront gravés à jamais comme parmi les plus drôles de la vie de ces créatures nocturnes (le combat contre le loup-garou, inoubliable, les rencontres avec d’autres créatures mythiques ou les clins d’œil aux références du genre), What We Do in the Shadows s’égare parfois dans une vulgarité trop facile, mais sans jamais nous perdre totalement. Car le show parvient à créer un véritable lien entre le spectateur et chacun de ces personnages, pour les raisons évoquées plus haut, mais aussi grâce à son ambiance étrange, décalée, quasi hors du temps.
Un petit goût d’immortalité en somme. Et faire de ces pauvres hères une véritable famille, de celle que l’on aimerait rejoindre quitte à en perdre son âme, est assurément le plus grand gage de réussite de cette série.