Symbole de diversité et d’inclusivité pour les uns, symptôme d’un « wokisme » insupportable pour les autres… Miss Marvel, diffusée sur Disney+ au début de l’été, a fait couler beaucoup d’encre. En cause : son personnage principal, d’origine pakistanaise et musulmane. Pour beaucoup, il s’agit d’une révolution, mais Kamala Khan est loin d’être la première super-héroïne musulmane.
Adolescente, urbaine et… musulmane. Telle est l’identité de l’héroïne de la dernière série du MCU en date, Miss Marvel. Adaptée du comics du même nom publié dès 2014, la série projette à l’écran l’histoire de Kamala Khan (incarnée par Imen Vellani), jeune Américaine de 16 ans vivant à Jersey City, dans une famille d’origine pakistanaise.
Miss Marvel, dernière-née d’un mouvement enclenché il y a plus de 40 ans
Changée en métamorphe par un nuage de tératogène dans la BD, la jeune fille gagne ses pouvoirs – modification de la taille de ses membres et force herculéenne – grâce à un bracelet hérité de sa mystérieuse arrière-grand-mère, Aisha, dans la série. Son corps change bien différemment de celui des autres adolescents et adolescentes, et Kamala doit affirmer son identité dans un contexte familial particulier. « Son frère est très conservateur, sa mère est parano à l’idée qu’elle puisse toucher un garçon et tomber enceinte, et son père veut qu’elle se concentre sur ses études pour devenir médecin », précise Sana Amanat, l’éditrice et cocréatrice du comic book de Marvel.
Un comics qui, malgré le buzz provoqué par son adaptation en série, n’est pas le premier à mettre en scène une héroïne musulmane, comme le rappelle Xavier Fournier, rédacteur en chef de la revue Comic Box. « Il y a eu diverses tentatives, en particulier dans une série de DC Comics à la fin des années 1980, les New Guardians, qui avait pour but d’aller à fond dans des questions d’inclusivité et de diversité, même si les termes n’étaient pas les mêmes à l’époque », explique le journaliste.
Ainsi, en 1988, on trouve dans les membres originaux de cette équipe de super-héros, entre autres, un Péruvien ouvertement homosexuel, une Anglaise infectée par le VIH, mais aussi une Iranienne en burqa, Salima Baranizar. Des héros musulmans masculins sont également inclus dans l’univers.
Quelques années plus tard, en 1990, les lecteurs et lectrices de DC Comics découvrent par exemple Davood Nassur, aka Sinbad, un personnage secondaire des aventures de Superman. Et en 2011 apparaît Bilal Asselah, connu sous le nom de Nightrunner, un Français d’origine algérienne et musulman sunnite, allié de Batman. La Justice League de DC a même eu droit à un crossover avec The 99, un comics d’origine Koweïtienne mettant en scène un groupe de super-héros musulmans sunnites et pratiquants.
Chez Marvel, il faut attendre 1994 pour suivre les aventures des premières héroïnes musulmanes emblématiques, avec la création de Monet Saint Croix, aussi connue sous le nom de « M ». Affiliée aux X-Men, la mutante dévoile sa religion lors d’un rassemblement contre les musulmans à New York. En 2002, c’est encore au sein des X-Men qu’une héroïne musulmane est créée. Née en Afghanistan, Sooraya Qadir, alias Dust, est une musulmane sunnite portant un voile intégral. Kidnappée par des hommes voulant faire d’elle une esclave, Dust élimine ses agresseurs avant de se changer en sable.
Chez les éditeurs de comics, les femmes musulmanes trouvent leur place
« Ça reste des personnages qui n’ont pas leur propre série, tempère Xavier Fournier, mais le fait d’être un personnage secondaire a quand même son intérêt. Ils banalisent la présence [des héros musulmans], indique-t-il. Mais on sait très bien que la vraie manière de raconter des choses, c’est d’avoir une série solo ! » Et c’est bien pour ça que Kamala Khan/Miss Marvel fait toute la différence. « C’est la première super-héroïne musulmane qui a son propre comic book, et qui arrive à la télé… C’est quand même un événement ! », s’enthousiasme le journaliste. La poursuite de ce mouvement enclenché depuis les années 1980 a surtout été rendue possible grâce à l’arrivée d’équipes de créations plus diversifiées dans la maison d’édition Marvel.
Car, contrairement aux précédentes héroïnes partageant sa religion, Kamala Khan naît de l’imagination d’un trio composé de deux femmes elles-mêmes musulmanes, l’éditrice Sana Amanat et la scénariste Gwendolyn Willow Wilson, accompagnées d’un autre éditeur, Stephen Wacker. Xavier Fournier ajoute que « ces deux femmes se se sont beaucoup basées sur l’enfance et l’adolescence de Sana Amanat [d’origine Pakistano-Américaine, ndlr] pour creuser le personnage de Kamala Khan ». La représentation de Miss Marvel est donc forcément très différente de celle des précédentes héroïnes musulmanes de la franchise.
En fait, « les femmes musulmanes ont souvent été représentées comme des moyens de démontrer l’intégrisme religieux », dévoile Xavier Fournier. Salima Baranizar, précédemment évoquée, est par exemple lapidée dès les premiers épisodes par ses compatriotes. Quant à Dust, la mutante afghane en burqa, elle devient très vite « un personnage assez caricatural, prisonnière de sa burqa, et qui est sans cesse est confrontée aux autres qui ont l’air beaucoup plus libres, explique Xavier Fournier. Les auteurs n’étaient pas musulmans et ne connaissaient pas forcément cette religion, et ils se disaient : “Si je fais progresser mon héroïne, elle n’est plus représentative, et si je la laisse en état, elle végète” », complète le spécialiste.
À l’inverse, Kamala Khan « est assez fraîche, assez moderne, pas fantasmée ni dans la caricature… Elle a une vie d’adolescente ! », résume Xavier Fournier. Son identité n’est pas basée sur sa religion, ce n’en est en tout cas pas le pilier. Il précise : « La plupart du temps, les personnages de comics parlent assez peu de religion, en dehors de Thor et des personnages mythologiques. »
La religion des super-héros, un outil narratif
En réalité, bien des personnages ont été imaginés avec une religion, ou du moins une culture religieuse. Le site comicbookreligion.com en fait d’ailleurs une liste parfois inattendue (on y apprend par exemple que Superman est méthodiste ou que Spider-Man est protestant). Mais rares sont les super-héros pratiquants. « Il y a quelques exemples très précis, qui correspondent souvent à des références plutôt gothiques, détaille Xavier Fournier, comme Daredevil qui est souvent vu sur des toits d’Église et qui certaines fois dans ses histoires va être confessé, ou le X-Men Diablo qui fait carrément l’objet d’une saga où il devient religieux… Mais c’est plus une question de décorum. »
Il n’en reste pas moins que les religions et mythologies qui ne sont pas représentées dans les comics sont rares. « Tout ça a un peu pour but que le lectorat du melting-pot, qu’il soit catholique, protestant ou juif, puisse se reconnaître dans ces personnages-là », affirme Xavier Fournier. Chez Marvel, la personnification du créateur de l’univers est même une entité sans distinction religieuse appelée « Celui-au-dessus-de-tout ». Difficile de faire plus clair.
Pour Xavier Fournier, si l’inclusivité religieuse permet de satisfaire le public le plus large, elle ne se réduit pas uniquement à cela. « C’est un cliché de dire que ces personnages-là sont créés pour une cible qui leur ressemble. Oui, cela permet de correspondre à d’autres publics, de leur donner une présence, de les sortir de l’invisibilisation… Mais je pense que ça intéresse aussi un public beaucoup plus large !, assure l’expert en comics. Quand j’étais petit, lire les histoires de Wonder Woman n’était pas si différent pour moi que de lire les histoires de Thor… Même si ma vie ne ressemble à celle d’aucun des deux !, s’amuse-t-il. Ce sont des personnages qui nous permettent de faire d’autres expériences par procuration. »
C’est d’ailleurs sans doute ce qui a fait le succès de Miss Marvel, attirant un public de tout âge, aussi bien féminin que masculin, musulman ou pas. Le super-héros ou la super-héroïne est avant tout porteur d’un questionnement sur l’identité. Et comme Kamala Khan, peu importe nos croyances, nous nous sommes tous demandé un jour qui nous étions vraiment.