Entretien

Damien Boisseau : “Aujourd’hui, le doublage d’un jeu vidéo est plus important que celui d’un film”

30 juin 2022
Par Alexandre Manceau
Damien Boisseau : “Aujourd'hui, le doublage d'un jeu vidéo est plus important que celui d'un film”
©JeanMichel G

Le comédien a prêté sa voix à de nombreux titres, dont le récent Ghost of Tsushima, Horizon Zero Dawn ou encore DC Universe Online.

Beaucoup ont entendu sa voix au cinéma. En général, il la prête à des acteurs tels que Matt Damon, Paul Rudd (qui sera de retour l’année prochaine en Ant-Man) ou encore Nikolaj Coster-Waldau. Mais, comme de nombreux comédiens spécialisés dans le doublage, Damien Boisseau s’est aussi invité dans le monde du jeu vidéo au cours de sa carrière.

Vous travaillez principalement sur le doublage de films et séries depuis vos débuts ; comment en êtes-vous arrivé au jeu vidéo ?

Je ne me souviens plus exactement. Je pense que ce sont les boîtes de jeux vidéo qui sont venues me chercher. Au tout départ, c’était les éditeurs comme Ubisoft qui s’occupaient directement des versions (françaises, entre autres). Par la suite, des boîtes de productions spécialisées dans ce domaine ont été créées. C’est un cercle de personnes qui ont l’habitude de travailler dans la voix, donc les noms circulent.

Que retenez-vous de votre première expérience pour un doublage de jeu vidéo ?

Pour être honnête, je ne me rappelle plus du titre du jeu ! Mais je me souviens que c’était une découverte, un univers que je ne connaissais pas bien. Pour un jeu vidéo, le comédien travaille face à un écran d’ordinateur, avec un casque sur les oreilles. L’ingé son et le directeur artistique font alors passer des fichiers audio en langue originale avec la phrase en français en dessous. On doit ensuite rentrer notre version sur la forme d’ondes.

Damien Boisseau en plein enregistrement pour le jeu Runaway: A Twist of Fate (2009).©LMR

On comprend l’intention du comédien, bien souvent en langue américaine, et on le joue à notre tour avec la même énergie, la même intention. C’est quelque chose de très technique, car il faut être vif et vite comprendre ce qu’il se passe pour le jouer à son tour. Depuis, il y a eu des progrès et il arrive que des cinématiques soient projetées, mais ça reste rare.

Comment parvient-on à transmettre des émotions à travers la voix d’un personnage ?

C’est là tout le travail du comédien. On lui donne un texte et c’est à lui de reproduire le jeu, les expressions, les émotions qui sont demandées. On a tous des clés différentes. Je suis plutôt quelqu’un d’instinctif, qui aime vivre les choses, mais d’autres sont plus techniques. Quand j’entends la phrase, je comprends assez vite ce qu’on me demande. Par exemple, si le personnage se retrouve face à deux aliens et qu’il a peur, c’est à moi de reproduire au mieux le jeu demandé.

Combien de temps vous faut-il pour doubler un personnage de jeu vidéo ?

Les directeurs artistiques parlent en nombre de mots ou de fichiers et c’est eux qui ont un meilleur aperçu de la durée. Par exemple, les rôles moyens vont assez vite. Le dernier gros rôle que j’ai fait, c’était Ghost of Tsushima, je jouais le héros. Je pense que j’ai dû y passer une quinzaine de séances, réparties sur des demi-journées. On se retrouve par exemple face à 200 ou 300 fichiers audios et ils comprennent aussi bien des phrases longues que des exclamations comme “Ah !” ou “Oh !”.

Vous venez de l’évoquer, vous avez notamment fait la voix de Sakai Jin, héros principal de Ghost of Tsushima. Comment s’est passée cette expérience ?

Sur ces dernières années, il s’agissait de ma plus grosse expérience. Pour être honnête, je ne suis pas un grand expert dans le jeu vidéo et l’on m’appelle plutôt sur des petits rôles. Là, pour Ghost of Tsushima, je connaissais bien le directeur artistique et je me suis rendu compte que le gaming est aussi de plus en plus important pour la visibilité. D’un point de vue carriériste, je me suis dit que ce nouveau projet me permettrait de publier de nouvelles choses sur mes réseaux sociaux.

Aujourd’hui, niveau notoriété, le jeu vidéo est plus important qu’une voix française dans un film. Les conditions de travail étaient cool, on prenait bien notre temps et, le plus important surtout, c’est que le travail a été étalé sur le long. Faire deux journées de suite, c’est tout simplement dur.

Une adaptation de ce jeu est d’ailleurs prévue pour le cinéma. Seriez-vous prêt à doubler à nouveau pour ce projet si l’occasion se présentait ?

Oui, car ce ne sera pas du tout la même chose, le jeu d’acteur sera différent. Bien entendu, ça ne veut pas dire que je doublerai à nouveau le personnage, cela dépendra de l’acteur casté. En tout cas, ce serait avec plaisir, car l’expérience m’a beaucoup plu.

De manière générale, avez-vous des consignes à respecter ou parvenez-vous à “imposer” des suggestions pour un personnage (voix, accent) qui sont finalement gardées ?

On ne peut pas trop déborder, se permettre n’importe quoi, parce que les choses sont déjà fixées à l’avance. Par contre, il n’y a pas deux comédiens qui vont jouer de la même façon. C’est au directeur artistique de dire : “Ah, je ne l’imaginais pas comme ça, mais j’achète ce que tu as fait, ça me plaît”. Ou alors, au contraire, il peut dire : “J’aimerais avoir plus de peur sur ce passage”.

Au même titre que la technologie, le doublage dans le jeu vidéo a-t-il évolué au fil des ans ?

Je crois que les technologies n’ont pas spécialement évolué, notamment en ce qui concerne la partie artistique. Ce qui peut aider aujourd’hui, c’est la présence de supports comme YouTube. On m’a déjà donné une vidéo extraite du premier épisode pour me montrer comment jouer, alors qu’à l’époque, on pouvait nous montrer un dessin ou une note d’intention. Et, comme je l’ai dit plus tôt, il arrive que l’on ait droit à des cinématiques. Mais, dans l’ensemble, peu de choses ont changé. Ça reste moi, avec un casque sur les oreilles et devant un écran d’ordinateur.

Quel est votre meilleur souvenir en tant que doubleur ? Votre plus gros challenge ?

Je garde un très bon souvenir du doublage d’un jeu inspiré d’une BD d’Enki Bilal (Nikopol : la foire aux immortels). On m’avait confié un personnage assez important, une sorte de prêtre un peu mystique. Quand je suis arrivé pour commencer à travailler, Enki Bilal était là et je trouvais ça sympa de travailler directement avec le créateur de l’univers. Il est resté 15-20 minutes, j’ai commencé à travailler et, au bout de quelques minutes, il a dit : “Damien a compris le personnage, c’est très bien ce qu’il fait, je n’ai aucune raison de rester.” C’était une chouette rencontre.

Je me souviens d’un autre jeu, Runaway. L’auteur était également présent pendant les sessions d’enregistrement et je me souviens qu’il m’avait écrit plusieurs répliques en alexandrins. J’avais des phrases en vers à sortir, le personnage était assez rigolo, mais j’ai tourné ça sur quatre jours. J’étais épuisé, mais je m’étais amusé à faire ce personnage.

En dehors de votre métier de comédien, quel est votre rapport au jeu vidéo ?

Je trouve que c’est un univers de plus en plus porteur, comme le cinéma. À titre personnel, j’aurais plaisir à voir jouer quelqu’un, car je me sens dépassé et je n’ai pas l’âme d’un joueur. Par exemple, on m’avait offert un exemplaire de Runaway et j’ai voulu me lancer dans l’aventure par curiosité. Au final, je n’ai jamais réussi à passer le premier tableau. S’ils arrivent à le transformer comme du cinéma, ça peut être hyper intéressant. Il paraît même qu’on s’en approche de plus en plus.

Beaucoup de comédiens spécialisés dans le doublage optent pour une reconversion dans la direction au fil du temps. Est-ce un chemin que vous pourriez prendre ?

Je l’ai déjà fait à titre complet, mais uniquement sur du doublage. Je ne me vois pas diriger un jeu vidéo, mais plutôt des comédiens. J’arrive à un âge où l’on a envie de transmettre ce que l’on sait et je sais que c’est une activité qui me plairait bien.

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Article rédigé par
Alexandre Manceau
Alexandre Manceau
Journaliste