Alors que la course aux prix littéraires est d’ores et déjà lancée, il existe aussi une rentrée des littératures de l’imaginaire qui mérite une place de choix. Cette année encore, les éditeurs nous ont proposés de véritables pépites et nombreuses d’entre elles ont fait chavirer mon cœur. Bonnes lectures !
Parmi ces coups de cœur, je souhaitais mettre en lumière des romans tournés vers le monde de l’Imaginaire. Ce genre, malheureusement sous-coté, a pourtant révélé de grands classiques que nous connaissons tous : 1984 de George Orwell, La nuit des temps de René Barjavel ou encore La peau de chagrin d’Honoré de Balzac. Tous ces romans sont bien des romans fantastiques ou de science-fiction et cela ne semblait choquer aucun lecteur de l’époque. Le premier prix Goncourt était d’ailleurs un roman fantastique, Force ennemie de John-Antoine Nau, paru en 1904.
Qu’est-ce qu’un bon livre ? Doit-on d’abord s’arrêter sur son genre avant de pouvoir répondre à cette question ? Est-ce qu’un bon livre est forcément un roman ? Pourquoi les prix littéraires sont si exclusifs aujourd’hui en France ? Pourquoi, contrairement aux pays anglo-saxons, les frontières existent-elles chez nous ?
Certains éditeurs abattent ces frontières littéraires en proposant des textes de l’imaginaire classés en rayon « littérature blanche ». Rappelons-nous le succès incroyable de la série Blackwater de Michael McDowell ou bien sûr le Goncourt 2020, L’anomalie d’Hervé Le Tellier.
Parmi mes coups de cœur de la rentrée, voici donc ma première sélection autour de l’Imaginaire.
La mer de la tranquillité – Emily St John Mandel (Rivages)
Le premier, l’incroyable roman de la canadienne Emily St John Mandel, La mer de la tranquillité, se déroule sur plusieurs époques. Les protagonistes de chaque période vivent des évènements similaires mais à des époques très éloignées : ils entendent le son d’un violon accompagné d’un bruit de véhicule identifiable ou non selon le siècle… Les scientifiques du 24è siècle envoient alors un voyageur dans le temps pour essayer de comprendre ce phénomène. Ce voyageur devra aller à la rencontre des personnes qui ont vécu cette expérience, afin de les interviewer comme un véritable journaliste. Et la mer de la tranquillité dans tout ça me direz-vous ? Parce que c’est bien de la lune dont il s’agit ici. À partir du 23è siècle, des colonies d’humains iront vivre sur la lune puisque la Terre ne pourra plus héberger la population devenue trop imposante.
Ce roman d’anticipation m’a complètement transportée. Emily St John Mandel a un véritable talent pour mélanger les époques, les personnages, les lieux tout en nous faisant retomber sur nos pieds à la fin de notre lecture. Petit à petit les pièces du puzzle s’imbriqueront les unes aux autres jusqu’à l’incroyable dénouement.
Nos coeurs disparus – Celeste NG (Sonatine)
Pour rester dans la science-fiction, et plus particulièrement dans la dystopie, Celeste NG, autrice américaine, nous plonge dans une Amérique devenue totalitaire dans un futur pas si lointain. Nos coeurs disparus nous raconte l’histoire incroyable d’un jeune garçon, Bird, qui fera tout son possible pour retrouver sa mère partie du jour au lendemain. Nous sommes dans une société où toute personne d’origine étrangère notamment asiatique est considérée comme potentiellement dangereuse pour le gouvernement en place. Et, bien évidemment, la mère de Bird en fait partie. Margaret Miu était une poétesse de renom avant que tout s’écroule et ces quelques mots tirés de l’un de son recueil de poèmes : Nos cœurs disparus feront d’elle une héroïne hors du commun. Ses mots seront repris, tagués, écrits à l’encre rouge lors de manifestations silencieuses et secrètes tels des slogans de liberté. Bird retrouvera-t’il sa mère qui semble en danger, quel avenir leur est réservé ?
Ce roman fait froid dans le dos tant la possibilité d’un futur tel que Celeste NG nous le décrit semble possible. C’est un texte qui questionne sur nos libertés.
Panorama – Lilia Hassaine (Gallimard)
En France, nous ne sommes pas en reste pour parler de mondes dystopiques et Lilia Hassaine a su s’emparer du sujet avec brio. Dans son roman Panorama, elle imagine un futur où la société trouve un remède à la violence et à la délinquance. C’est l’ère de la Transparence : les habitants du futur, ceux qui le souhaitent, peuvent habiter dans des maisons de verre où chacun peut surveiller son voisin. Sous cette surveillance continue, la délinquance décline véritablement, et même si l’intimité est devenue obsolète, la population se sent réellement en sécurité. Pourtant, malgré cette haute vigilance, une famille disparaît. Une ancienne commissaire de police, Hélène, est chargée d’enquêter pour résoudre cette affaire. Les proches et voisins sont tour à tour interrogés mais chacun semble cacher de lourds secrets. Ici encore, le sujet est prenant et saisissant : nous nous questionnons sur les libertés, nos libertés et ce que nous en faisons. Est-ce que cette idée de transparence est-elle vraiment pertinente ? Sommes-nous vraiment libres lorsque nous sommes constamment surveillés ?
Méduse – Martine Desjardins (Atalante)
Enfin, comment ne pas parler du magnifique roman de Martine Desjardins, Méduse qui a su faire parler de lui dans cette rentrée littéraire. Ce roman, classé au rayon fantastique cette fois-ci, mérite toute notre attention. Depuis toujours Méduse se cache des autres, puis précisément, elle cache ses yeux, ses difformités comme elle les nomme. Elle marche tête baissée pour ne pas infliger aux autres ses énormités. Ses parents décident de l’envoyer dans un institut loin de chez eux ou d’autres filles sont enfermées pour des raisons obscures. Cet endroit sordide sera un véritable enfer pour ces jeunes filles. Méduse y sera d’abord traitée comme une moins que rien mais lorsque la directrice se rend compte du potentiel pouvoir de ses yeux, elle lui donnera une place plus importante au sein de l’institut. Méduse comprendra alors ce qu’on y fait réellement.
Ce roman gothique, initiatique, est d’une incroyable force littéraire. On ne compte plus les nombreuses occurrences pour parler des yeux de Méduse. La langue est belle alors que le sujet est sombre et Méduse, cette héroïne fragile va, au fil des pages, déployer ses ailes, prendre de l’assurance et son envol, parviendra-t’elle à prendre sa revanche sur sa misérable vie ?
Bonne lecture à tous, quel que soit le genre de livre que vous lirez !