Comment se repérer parmi l’avalanche de titres (pas moins de 490) qui va bientôt déferler sur les tables des librairies ? Impossible de tout lire, encore moins de tout acheter, d’autant que les prix augmentent aussi dans le secteur de l’édition. Une sélection s’impose. Voici la mienne, forcément subjective, pour vous aider à faire vos propres choix. Mes 7 coups de cœur de la rentrée, c’est parti. Attention ça monte crescendo !
Les Enfants endormis – Anthony Passeron – Parution le 25 août
Le sommeil des injustes.
Au détour de souvenirs retrouvés dans une boîte à chaussures, Anthony Passeron reconstitue l’histoire de sa propre famille, notamment celle d’un oncle dont on ne parle qu’à demi-mots. C’est une reconstitution familiale bouleversante autour du SIDA dans les années 80. Une maladie sulfureuse et honteuse du fait de son principal mode de transmission d’ordre sexuel, soumise à l’opprobre morale car elle concernait au départ en majorité des homosexuels. Avec ici une dimension supplémentaire dans l’infamie, celle de la culpabilité.
On l’oublie parfois, mais le SIDA a fait aussi des ravages chez les personnes toxicomanes par l’échange répandu des seringues. Son enquête le mènera à découvrir ce que pouvez représenter un toxico dans une famille de commerçants d’une petite ville de province que tout le monde connaît. Un aspect important notamment concernant la transformation économique et sociale qui s’opère à cette époque faisant passer les petits commerces qui avaient pignon sur rue de lieux indispensables aux oubliés de l’histoire, entre migrations vers les grandes villes et concurrence industrielle des supermarchés.
Mais au-delà de la partie intime, l’auteur met en relief l’histoire même de la maladie à travers la découverte du virus, la guerre des laboratoires, le scandale du sang contaminé, la mort de Rock Hudson, ou encore les essais balbutiants des premières thérapies. Des souvenirs qui parlent à beaucoup d’entre nous et que d’autres découvriront souvent avec circonspection. La narration est tendue jusqu’à son dénouement, car en alternant les chapitres dans un cadre familial et dans un cadre plus large scientifique ou politique, Anthony Passeron entretient l’espoir de rédemption et de sauvetage de ces victimes.
On peut regretter toutefois qu’il lui manque le souffle romanesque de la fiction – ce qui donnera peut-être l’occasion de découvrir ou relire l’excellent roman sur un thème proche de Rebecca Makkai, Les Optimistes – mais c’est un livre d’une émotion à fleur de peau qui traite le sujet du SIDA de façon à la fois globale et originale. Dans Ces enfants endormis, ces personnes ne se réveilleront pas : l’héroïne, le SIDA, la fin d’une époque aussi auront raison de leurs espoirs avant qu’une nouvelle vie prenne place. Un livre que je défendrais en librairie car je suis presque sûr que vous aurez du mal à le refermer avant de l’avoir terminé.
Des rêves d’or et d’acier – Emilie Tôn – Parution le 8 septembre
Portrait de famille
Retrouver son histoire familiale en reconstituant le parcours de son père qui a dû quitter ses terres vietnamiennes pour se retrouve à travailler l’acier sur le sol lorrain. Une reconstitution haute en couleurs, précise et touchante. Parsemé de réflexions personnelles pour recadrer le contexte social, culturel ou intime, Des rêves d’or et d’acier d’Emilie Tôn se lit comme une véritable saga historique. Un texte original et passionnant qui nous permet de ne pas troquer les rêves dorés contre le froid de l’acier.
Rodez-Mexico – Julien Villa – Parution le 8 septembre
Le Zapata du Larzac
Marco mène une vie paisible dans son petit pavillon rose saumon avec sa mère. Entre son travail d’agent communal, ses potes, des soirées bien arrosées et quelques pétards. C’est après l’une d’elle qu’il aura la révélation en tombant par hasard sur un film du sous-commandant Marcos pendant la révolte du Chiapas au Mexique. Son destin est alors tout trouvé. Marco, agent communal près de Rodez, se découvre en révolutionnaire. Une vocation qu’il pourra mettre en œuvre lorsque la municipalité est bien décidée à les renvoyer de leur logement pour agrandir la zone d’activité commerciale.
Un roman juste mené par un esprit loufoque et burlesque qui pose des questions sur nos vies tellement marchandisées qu’elles deviennent chosifiées. Une véritable bouffée d’oxygène. “Est-ce-que ta vie te plaît ?” Rodez-Mexico est un roman sur une lutte sans fin et d’un espoir éternel.
Le Président se tait – Pauline Dreyfus – Parution le 17 août
Un silence qui en dit long
Quarante-neuf jours, c’est le temps qu’il aura fallu à celui qui ne sera jamais nommé dans le roman pour s’exprimer après la révélation par un célèbre journal satirique – Le Canard enchaîné – de cadeaux somptuaires offerts donc au Président français de l’époque – Valéry Giscard d’Estaing – par le sémillant empereur fantoche de Centrafrique, Bokassa Ier, dont le couronnement outrageusement napoléonien est alors encore dans toutes les mémoires. De ces cadeaux, qui deviendront “l’affaire des diamants”, on ne sait rien.
Mais on ne parle que de ça. Devant le silence présidentiel assourdissant, Pauline Dreyfus met en scène une galerie de personnages, de l’immigrée portugaise au directeur de cabinet en passant par la haute société parisienne. Tout le monde a la bouche pleine de diamants et de questions sournoises ou affolées. C’est toute une époque que l’auteure reconstitue, avec son bal de faux-culs, de serviteurs zélés et de charognards patentés. Une époque pas si révolue avec beaucoup de questions et peu de réponses, qui déclenche souvent le sourire, tournant en ridicule la morgue des puissants, autant qu’il impressionne par son talent. Le Président se tait est certainement un des romans les plus importants de cette rentrée.
Collapsus – Thomas Bronnec – Parution le 8 septembre
La dictature ou la mort ?
Devant l’imminence de la catastrophe climatique qui s’annonce, un candidat gourou de “l’écologiquement correct” sur YouTube gagne les élections présidentielles françaises et applique petit à petit un programme teinté d’écologie punitive et d’endoctrinement par la force. Devant la montée de boucliers par les défenseurs de liberté, il n’a d’autres choix que d’accélérer son programme soutenu par une pasionaria furieusement convaincue par le nécessité de mesures drastiques : covoiturage obligatoire, limitation de la consommation de viande, mais surtout notation et statut social redéfini en fonction de son impact écologique, avec des stages pour récupérer des points qui ressemblent plus à des camps de redressement.
Si l’urgence climatique est une évidence, on est bluffé par le réalisme des solutions proposées et surtout par leur application qui prend tous les atours de la plus sombre des dystopies. Un roman de politique-fiction bluffant et inquiétant, car comment sortir de ce dilemme si la survie de notre planète – et donc de l’espèce humaine – devait passer par une dictature qui refuse de dire son nom, tous convaincus qu’ils sont d’être dans le camp du Bien. Collapsus estt un bon roman pour frémir et réfléchir.
Vivre vite – Brigitte Giraud – Parution le 24 août
“Vivre vite, mourir jeune”
Alors qu’elle doit quitter sa maison pour cause d’expropriation, Brigitte Giraud se remémore les conditions de son acquisition et surtout les circonstances dramatiques qui ont marqué son achat, puisqu’à peine les papiers signés, son compagnon mourrait dans un accident de moto. Vingt ans après sa disparition, dans ses derniers moments dans sa maison qu’il avait acheté avec elle et dans laquelle il n’aura jamais vécu, l’auteure retrace par le détail le contexte de l’accident. Ce ne sont pourtant pas des souvenirs éplorés qu’elle convoque, mais une véritable enquête de chaque détail qui a mené à l’instant fatal. Celui dont on ne se remet jamais.
L’ironie fait qu’une route va bientôt passer à la place de cette maison qu’elle doit quitter. L’occasion aussi de faire un bilan doucement nostalgique de sa vie passée et de cette vie manquée. Elle étudie, dissèque, enquête, découvrant par exemple que la moto japonaise qu’il conduisait était déjà à l’époque interdite au Japon car trop dangereuse. Elle refait en tête le chemin et les derniers instants de Claude avant de tout laisser. Une manière peut-être de tout ranger avant de repartir balayant aussi sa condition de vie d’alors et la société qui a beaucoup changé.
Tenter de comprendre aussi comment cela a pu arriver, chercher à mettre de la rationalité dans quelque chose qui ne l’est pas et ne le sera jamais. Vivre vite est un livre doux et puissant, absolument pas larmoyant, mais qui vous étreint et vous bouleverse jusqu’à sa conclusion.
La femme du deuxième étage – Jurica Pavicic – Parution le 15 septembre
La cuisinière invisible
C’est l’histoire peu banale d’une femme banale. Un homme rencontré lors d’une soirée, la passion, le mariage, l’emménagement dans la maison familiale du mari, par commodités. Les repas partagés avec sa belle-mère veuve, par commodités. La cuisine faite par Bruna, la belle-fille, parce qu’elle aime ça. Et la mort aux rats, qu’elle distille petit à petit… Du drame, il n’en est pas fait ombrage. On le sait dès les premières pages.
C’est dans l’étude de son personnage que l’auteur de L’Eau rouge se fait le plus impressionnant. Sa plume doucement mélancolique décortique au scalpel la conscience d’une femme qui ne s’appartient plus et va commettre l’irréparable. Un rythme lent ponctué de circonstances troublantes comme autant de points d’interrogations qui élèvent l’attention et nous entraînent irrémédiablement jusqu’à la dernière page.
Combien de fois me suis-je dit qu’elle pouvait faire autrement, et pourtant… Pour moi, ma plus belle lecture de cette rentrée littéraire. Parce que marquante, bluffante d’intensité dans un cadre d’une grande simplicité. Un personnage que vous n’arrivez pas à oublier, et cette tension tranquille et sereine qui vous oblige à ne pas le lâcher avant la dernière page. La femme du deuxième étage est une vraie réussite.
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