
Le nouveau disque de Lady Gaga, « Mayhem”, disponible dans les bacs ce 7 mars 2025, permet à la chanteuse de renouer avec son style original tout en continuant d’explorer d’autres genres musicaux. Critique de ce septième album ultra-attendu.
Mayhem est un album important. Bien que personne ne puisse nier la popularité, le talent et l’impact de Lady Gaga dans la musique, il n’en demeure pas moins que l’artiste a aussi connu des revers et des déceptions. Chromatica, sorti en 2020 en pleine période Covid, n’aura pas eu le succès escompté, bien que la tournée mondiale soit, elle, considérée comme une réussite aujourd’hui. Joker : folie à deux, dans lequel Lady Gaga tient le rôle d’Harley Quinn, est pour sa part l’un des plus grands échecs cinématographiques de l’année 2024. Mayhem est ainsi annoncé comme une renaissance : un album de dark pop revenant à l’essence même de Lady Gaga tout en puisant dans différents genres musicaux.
Mayhem s’inscrit ainsi dans l’évolution artistique de Lady Gaga depuis ses débuts dans les années 2000. Symbole de l’émergence d’un nouveau millénaire, la chanteuse a connu la consécration dès ses deux premiers albums, The Fame (2008), avec son extension The Fame Monster (2009), et Born This Way (2011). À l’époque, Lady Gaga représentait une forme d’anticonformisme, s’illustrant dans l’excès, la frasque, la vulgarité, mais aussi dans la liberté musicale et artistique. Créant de toutes pièces plusieurs personnages et un univers original, elle a fédéré en invitant les marginaux et les laissés-pour-compte.
Depuis, Lady Gaga est devenue une figure internationale connue et reconnue. Elle n’est plus l’artiste underground qui choque ou qui transgresse. À raison, la chanteuse a cherché à se renouveler, à évoluer et à proposer des choses différentes tout au long de sa carrière. Joanne, en 2016, marque ainsi la fin de cette mue, avec un album profondément différent, comme si Lady Gaga s’était enfin acceptée et n’avait plus besoin de se cacher derrière d’autres personnages.
L’album de la renaissance ?
Un grand succès cinématographique (A Star is Born en 2018), deux albums de jazz avec Tony Bennett (en 2014 et 2021) et un album plus difficile à cerner sorti au mauvais moment (Chromatica en 2020) plus tard, la question se pose à nouveau : que représente Lady Gaga en 2025 ? Lors de la conférence de presse de Mayhem, la chanteuse est revenue sur sa capacité à construire des personnages et à leur offrir des albums, évoquant notamment Harlequin, l’album conceptuel accompagnant Joker : folie à deux et basé sur Harley Quinn. À la question « Pour quel personnage Mayhem aurait-il été construit ? », Lady Gaga répond simplement : « A la femme que vous connaissez depuis 20 ans. »
Mayhem serait-il un cri du cœur dévoilant une vulnérabilité ou un mal-être que l’on pensait derrière elle ? Ou une façon de réunir les différentes facettes d’une artiste et d’une femme complexe, qui n’a cessé d’expérimenter et de chercher de nouvelles façons de faire de la musique ?
Lady Gaga ne s’en cache pas, l’album a été difficile à créer et à produire, forçant l’introspection et questionnant son identité depuis deux décennies. Avec pour thèmes le chaos et le désordre, Mayhem est en réalité autant un retour aux sources pour Lady Gaga qu’une façon d‘accepter les multiples parts d’elle-même. L’album surprend par sa diversité et sa richesse musicale. Trois parties se distinguent aisément. Deux singles impactant en ouverture, une orientation funk et soul sur quatre ou cinq morceaux par la suite, avant de revenir à de la pop plus progressive, entre ballade touchante et morceaux lancinants.
Les inspirations se perçoivent rapidement. On note ainsi du Lady Gaga époque The Fame, bien sûr, mais aussi de l’electro sorti tout droit des années 1990 et 2000, une touche du David Bowie de l’époque également (avec la chanson Killah, featuring le DJ français Gesaffelstein), et même un peu de Daft Punk, tant certains morceaux semblent tout droit sorti de l’album Random Access Memories (2013), avec leur riff de guitare récurrent en fond.
Un album en trois temps ?
Si le milieu de l’album est le plus faible (avec des morceaux qui ne parviennent pas forcément à convaincre en une écoute, tels que Vanish Into You ou Zombieboy), Lady Gaga soigne l’ouverture et l’excellent troisième acte de son album. Disease et Abracadabra réveillent ainsi avec brio le souvenir nostalgique de Born This Way, puis, à partir de l’excellent huitième titre, LoveDrug, jusqu’au dernier, le 14e (le duo avec Bruno Mars, Die With a Smile), l’artiste est dans une apothéose constante.
Die With a Smile, le duo de Lady Gaga avec Bruno Mars
Chaque nouveau morceau évoque une nouvelle tendance ou prend le contre-pied du précédent. How Bad Do U Want Me offre une ballade plus posée après une dizaine de chansons très énergiques (une belle respiration), The Beast laisse les instruments s’exprimer en s’étirant admirablement (hypnotique), tandis que Blade of Grass propose enfin du piano et monte graduellement en puissance. L’album est dans l’ensemble très dynamique. L’énergie est permanente et cette idée de chaos constant se retrouve dans la construction du disque.
Même dans les chansons considérées comme plus faibles à la première écoute, telles que Garden of Eden (le prochain hymne choisi par la chaîne ESPN pour la F1 en 2025) ou Perfect Celebrity (qui interroge la célébrité, rappelant Paparazzi), Lady Gaga arrive à se démarquer, notamment grâce à l’enchaînement mélodique et surprenant entre les couplets et le refrain.L’interprétation très subjective de l’album pourrait faire penser que Mayhem condense en réalité toute la carrière de Lady Gaga. Une introduction évoquant les premiers succès, une deuxième partie en dissonance avec le début qui surprend quitte à décevoir, et une troisième partie plus libre, différente, émancipée des considérations, affirmant la liberté artistique et personnelle de Lady Gaga.
Et si l’amour était la réponse ?
Puissant dans le texte et dans l’interprétation, Mayhem est un album à vif, qui dévoile tout l’univers de Lady Gaga, rappelant que « Lady Gaga » aussi est une construction et une création, celle de Stefani Germanotta de son vrai nom. L’artiste surprend et brouille les pistes avec Mayhem. Oui, le chaos est présent dans la succession désordonnée de chansons arborant différents genres musicaux et oui, Lady Gaga utilise son héritage en résonance, avec de nombreux clins d’œil destinés à ses « Little Monsters », ses fans de la première heure.
Mais au final, Mayhem est peut-être plus joyeux et optimiste qu’attendu. Quand Lady Gaga demandait au monde de l’aimer il y a 20 ans, elle crie avec force qu’elle s’aime désormais et qu’elle file aussi le parfait amour avec son fiancé Michael Polansky (plusieurs morceaux semblent lui être adressés). L’amour a toujours été un thème important dans la discographie de Lady Gaga. L’amour dévastateur, l’amour toxique, l’amour familial… Aujourd’hui, Lady Gaga chante l’amour passionnel et sincère avec une touche d’optimisme surprenante. Et si l’amour était le véritable sens caché de ce « désordre », ce « grabuge » ou ce « chaos » que représente Mayhem ?
Mayhem va être débattu et discuté longtemps. L’album surprend par son ton et par sa richesse musicale. Quelques fondamentaux ne sont pour autant pas oubliés. Lady Gaga signe un single déjà en tête des écoutes (Abracadabra) et le morceau en duo avec Bruno Mars, Die With a Smile, sorti à l’été 2024, a été la première chanson à atteindre aussi vite le milliard d’écoutes sur Spotify. Avec Abracadabra et Disease, elle renoue aussi avec les clips à l’esthétisme poussé et effrayant, qui semblent sortir tout droit d’American Horror Story (une série que la chanteuse et actrice connaît bien). Lady Gaga est toujours une machine à tubes imparable et, outre ses nombreuses qualités sur le fond et la forme, ce nouvel opus sera à ne pas douter un grand album dansant à faire sonner avec le volume à fond. Oui, la tournée semble inévitable.
Clip d’Abracadabra
Lady Gaga est bien de retour, mais Mayhem rappelle finalement qu’elle n’était jamais partie bien loin. Elle a simplement toujours fait selon ses envies et ses inspirations du moment, quitte à ce que le public ne suive pas toujours. L’album est ainsi un pur condensé de Gaga. La monstruosité de The Fame et Born This Way, la sérénité de Joanne, la puissance de Chromatica et l’affirmation des nombreux courants artistiques et musicaux que la chanteuse a toujours invoqués et défendus. Une réussite !