Pour écrire son nouveau roman, L’Impossible Retour, Amélie Nothomb a posé ses valises au Japon, le pays de son enfance qui lui a déjà inspiré une poignée de récits autobiographiques. Celui-ci en fait la somme. Partie servir de guide à une amie haute en couleur, l’écrivaine belge finit par succomber à la nostalgie face à ses fantômes du passé. En résulte un carnet de voyage intimiste, aussi caustique qu’instructif. Entretien.
Depuis Stupeur et Tremblements, en 1999, Amélie Nothomb navigue entre fiction et autobiographie, avec un ton singulier. Entre autodérision et philosophie, l’autrice n’hésite pas à raconter ses échecs amoureux ou professionnels au Japon. Dans L’Impossible Retour, elle revient pourtant sur ces derniers pour finalement déclarer sa flamme au Pays du Soleil Levant. L’Éclaireur l’a rencontrée, à l’occasion d’une séance de dédicaces à la Fnac Saint-Lazare, à Paris.
Vous écrivez aussi bien des fictions que des autobiographies. Ces exercices sont-ils profondément différents pour vous ?
Je ne fais pas la différence entre les deux, l’engagement est le même. Ce qui relève de ma vie me paraît tout aussi fictionnel que ce qui provient de mon imagination. Le roman doit renfermer des émotions fortes, peu importe le genre, c’est ce qui compte. Par exemple, l’écriture d’Acide sulfurique m’a totalement bouleversée ! J’y ai mis toute la colère que j’éprouvais face au spectacle des émissions de téléréalité. C’était une forme d’indignation.
Dans vos autobiographies, et celle-ci notamment, vous tournez la tragédie en parodie avec une savoureuse autodérision. D’où cela vous vient-il ?
C’est ma façon de vivre ! Cette manière d’observer l’humanité me paraît juste. Si vous regardez tout ce qui ne tourne pas rond à la bonne distance, vous verrez à quel point les évènements tragiques sont souvent drôles. Ce n’est pas parce qu’on en souffre, qu’on ne peut pas aussi en rire.
Ce recul, vous l’avez en tant qu’écrivaine a posteriori… Mais sur le moment ?
J’essaie toujours d’avoir ce recul. C’est une vertu qu’ont les Japonais. Ils savent rire de la tragédie, comme une forme de politesse. Je n’en suis pas toujours capable, mais je m’y efforce.
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Votre dernier roman est la somme des précédents dédiés au Japon. Vous y abordez votre premier emploi (Stupeur et tremblements, 1999), votre premier amour avec le Tokyoïte Rinri (Ni d’Ève ni d’Adam, 2007), la vie avec votre père (Premier Sang, 2021)…
Ce n’était pas prévu ainsi. En mai 2023, une amie m’a proposé de l’accompagner au Japon pour lui servir de guide. Ce voyage m’angoissait beaucoup, car elle est très exigeante. Finalement, ça a été extraordinaire, mais il m’a aussi étrangement bouleversée, beaucoup plus que prévu. Quand je suis rentrée en Europe, j’ai été submergée par un immense chagrin inextricable. Je ne comprenais pas pourquoi. Quand un mystère m’échappe, je lui consacre un roman pour tenter de le percer. Voilà, la véritable raison de ce livre !
Dans ce roman, vous vous remémorez des instants passés aux côtés de votre père aujourd’hui décédé. Vous avez écrit dans Premier Sang qu’il continuait à vous parler, est-ce toujours le cas ?
Beaucoup moins, mais il est toujours extrêmement présent. C’est lors de ce voyage que j’ai vraiment pris conscience qu’il était mort, depuis trois ans. Ça a été très fort ! Comme pour le narrateur proustien de À la recherche du temps perdu. Deux ans après la mort de sa grand-mère, il retourne à l’hôtel de Balbec, où il logeait avec elle. À ce moment-là, il réalise complètement qu’elle est morte depuis deux ans, alors qu’il le savait. Retrouver tous ces lieux sans elle a été le déclic, ça a été pareil pour moi.
Lors de ce voyage, vous retournez involontairement sur les traces de votre passé. Êtes-vous une grande nostalgique ?
La nostalgie est une de mes composantes, comme elle en était une de mon père. J’en ai hérité. J’ai eu ma première crise à l’âge de trois ans, quand j’ai appris qu’un jour, je quitterai le Japon. Il me restait encore deux ans, mais j’étais totalement effondrée à cette idée. J’ai commencé à en souffrir par anticipation. C’est ce que j’appelle la nostalgie préventive. J’en suis une spécialiste, et cela ne m’empêche pas d’éprouver aussi la bonne vieille nostalgie rétrospective.
« Il faut voir Kyoto, la plus belle ville du monde, le berceau de la civilisation japonaise. » Amélie Nothomb
Dans ce livre, vous jouez parfaitement votre rôle de guide touristique. Une fois le livre terminé, on a qu’une envie : réserver le prochain vol pour Kyoto.
L’office du tourisme du Japon devrait me sponsoriser ! Quand j’ai écrit ce livre, je ne savais même pas que j’allais le publier, mais au moment de le faire, je me suis dit que ça me rendrait service. Beaucoup trop de gens qui ont lu mes œuvres et qui s’apprêtent à partir au Japon me demandent ce qu’il faut y voir. Cette fois-ci, j’estime avoir répondu à la question, une fois pour toutes. Il faut voir Kyoto, la plus belle ville du monde, le berceau de la civilisation japonaise. Je raconte d’ailleurs qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un conseiller de Truman lui a demandé de jeter la première bombe atomique sur une autre ville que Kyoto, comme initialement prévu. Il y avait passé sa lune de miel et ne pouvait se résigner à la voir détruite.
Amélie Nothomb. ©C.Abramow/Marie Claire
Vous y célébrez aussi la gastronomie avec régal !
D’autres en parleront mieux que moi, mais je fais surtout la promotion de la cuisine japonaise populaire, celle de ma nounou, une femme très humble qui préparait des sobas ou des rāmens, par exemple.
Pourquoi vous qualifiez-vous souvent de “Japonaise ratée” ?
J’aurais aimé être Japonaise, mais pour en être une, il aurait fallu que je travaille au Japon. J’ai fait la démonstration dans Stupeur et tremblements que j’en suis incapable. Je suis donc de toute évidence une Japonaise ratée.
Stupeur et tremblements est d’ailleurs étudié au lycée. Qu’en pensez-vous ?
Ça m’impressionne ! J’espère juste que les collégiens ne me voient pas comme une corvée scolaire. Mais, certains m’ont dit : “Non ! Ça va madame, c’est court.” Comme mon livre est court et qu’il se lit facilement, les lycéens ne me détestent pas trop !
Vous qui êtes une grande lectrice, que retenez-vous de cette rentrée littéraire ?
Dans mes romans, je fais référence à toutes les expériences de ma vie, la lecture en est une. J’ai adoré Jacaranda de Gaël Faye, Ne jamais arriver de Béatrice Commengé, Je suis celle que vous cherchez d’Arnaud Guigue, qui débute au Japon, ou encore Alors c’est bien de Clémentine Mélois, sur la perte. Comme chaque année, il y a eu beaucoup de livres très intéressants.
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