Décryptage

Objet culte – Minitel, le meilleur et le pire de la tech française

23 août 2023
Par Yasmina
Objet culte – Minitel, le meilleur et le pire de la tech française

Ce fut longtemps une expression de l’exception culturelle française en matière de nouvelles technologies. Le Minitel a devancé internet dès les années 1980 dans la mise en réseau de services et d’informations. Mais il a ensuite été ringardisé par la montée en flèche du réseau informatique mondial au tournant des années 1990-2000. Retour sur une aventure singulière.

Le Minitel, une histoire française

Non, la tech ne se résume pas à une inlassable partie de ping-pong entre les États-Unis et l’Asie depuis la nuit des temps. Tandis que les pionniers de l’informatique s’ébrouaient dans les garages de la Silicon Valley et les usines de Tokyo au cœur des seventies, la France mettait en branle son appareil d’État pour faire entendre sa voix. Avec une particularité : il n’est pas question ici d’informatique à proprement parler, mais de télématique. On entend par là l’association des télécommunications et de l’informatique, comme le conceptualise le rapport co-rédigé par Alain Minc remis au président Valéry Giscard d’Estaing en 1977. À la manœuvre en Hexagone dès 1971, point de génies pré-pubères dans leur chambre d’adolescent façon Bill Gates ou Steve Jobs, mais des ingénieurs diplômés de Polytechnique – Bernard Mati, Gérard Théry et Rémi Després notamment –, missionnés par le ministère des Postes et Télécommunications.

La France aurait même pu créer internet avant l’heure via le projet Cyclades ! Un groupe d’informaticiens français menés par Louis Pouzin collabore en effet avec Arpanet – l’ancêtre américain d’internet – à partir de 1972, mais l’État coupe les financements en 1978 pour donner la priorité… au Minitel et à son réseau, Transpac. Un réseau centralisé, fermé et contrôlé, c’est-à-dire tout le contraire d’internet ! Transpac a notamment bénéficié de sa dépendance au réseau téléphonique, à une époque où l’État investissait énormément pour le développer afin de rattraper le retard de la France en termes de couverture. En 1982, l’infrastructure était prête pour le lancement du Minitel auprès du grand public.

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Un terminal informatique à mille lieux de l’ordinateur

À une époque où le taux de pénétration de l’ordinateur personnel est quasi nul en France, la France développe un terminal informatique singulier : un appareil tout-en-un de 4,5 kg réunissant un écran cathodique de 9 pouces et un clavier AZERTY rabattable. Il intègre un modem offrant des performances à des années-lumière ne serait-ce que d’un modem 56k : 1200 bits/s en débit descendant, 300 bits/s en débit montant. Mais nous sommes à l’époque où « en France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », une astuce va permettre de surmonter ces limites techniques : un jeu de caractères graphiques permettant de reproduire des images en mode « mosaïque » façon art ASCII. Ainsi pas de longues minutes à attendre l’affichage d’une photo sur les 25 lignes et 40 colonnes qui composent l’écran ! Les premiers modèles monochromes affichaient 8 nuances de gris. Les modèles plus développés ont converti cela en 8 couleurs et ont doublé le nombre de colonnes. Pour connecter le Minitel au réseau téléphonique, une simple prise T.

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Le Minitel n’est pas un ordinateur personnel. Il ne contient pas de capacité de stockage ni de système d’exploitation en tant que tel. Sa seule vocation est de se connecter au réseau centralisé et d’accéder aux services qu’il héberge, ce qui n’est pas sans rappeler le principe du Cloud et des applications en mode SaaS. Ce choix a été dicté par le souhait de réduire au minimum son prix de revient.

Différents fabricants se sont attelés à la fabrication du Minitel : Alcatel, Matra et Philips. Les appareils étaient made in France et surtout, ils étaient distribués gratuitement par les PTT – c’est ainsi qu’on appelait France Télécom avant 1988. Un choix fort qui a grandement contribué à populariser son usage ! Cette stratégie de sacrifier le prix de vente du produit pour se rattraper sur la consommation des services sera reprise pour les opérateurs de téléphonie mobile ou même… le jeu vidéo Fortnite ! En contrepartie, les PTT stoppaient la distribution de l’annuaire téléphonique aux foyers équipés, ce qui générait des économies de papier. Une démarche avant-gardiste là encore !

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Des limites insurmontables

En trente ans d’exploitation jusqu’au 30 juin 2012, le Minitel en tant qu’appareil n’a que peu évolué. Et c’est une partie de l’équation ayant mené à sa disparition. Il a certes pu affiner sa qualité d’affichage et sa vitesse de connexion (9600 bit/s avec le Minitel 2 à partir de 1989), ou intégrer un combiné téléphonique (Minitel 10). Mais il a très vite souffert de la comparaison avec le micro-ordinateur à partir des années 1990… et plus encore d’internet au cours de la même décennie. Si les services du Minitel ont perduré trois décennies, leur apogée a été atteint en 1993, date à laquelle les connexions ont commencé à décroître. Le succès du Minitel a en effet été tiré par… la messagerie rose. Il pesait plus de la moitié des connexions en 1990 !

Passé l’effet découverte, le Minitel s’avère lent, son affichage rudimentaire et son ergonomie peu convaincante. Et c’est cher : les consommations surtaxées facturées à la minute peuvent très vite conduire à des sommes mirobolantes, notamment pour les adeptes des messageries instantanées. En parallèle, France Télécom a renoncé à la mise à disposition gratuite des terminaux, ce qui oblige à les acheter ou les louer. Après avoir compté jusqu’à 9 millions d’utilisateurs, cette création française originale perd progressivement ses adeptes, qui peuvent néanmoins continuer d’utiliser ses services… sur internet.

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La boîte beige et marron, la robe iconique du Minitel, est une madeleine de Proust pour tous les « technophiles » des années 1980-1990. Elle a incarné le futur avant la déferlante internet et l’apparition des ordinateurs et smartphones. Le Minitel a apporté des services innovants pour l’époque, bien au-delà de l’annuaire téléphonique : vente par correspondance, consultation des comptes bancaires, réservation de billets de train, accès aux journaux, jeux, services de rencontres, voyance, résultats du bac. Le kiosque 3615 a comptabilisé plus de 20 000 services dont certains sont devenus cultes dans l’imaginaire collectif, à l’instar du sulfureux 3615 ULLA !

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Le Minitel incarne aussi une forme de vision française d’un univers – les nouvelles technologies – qui lui a ensuite échappé, donnant du grain à moudre aux oracles du déclin français… Une formule résume bien l’existence du Minitel : « Tout le monde nous l’a envié, personne ne nous l’a acheté » !

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Article rédigé par
Yasmina
Yasmina
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