Décryptage

Les Misérables : Qui est Fantine ?

28 avril 2023
Par Melanie C.
Les Misérables : Qui est Fantine ?

Parmi tous les personnages qui traversent le chef d’œuvre de Victor Hugo, Fantine occupe une place à part : ses malheurs, et par ricochet ceux de sa fille, plaident la cause servie par l’auteur tout au long des Misérables. Le destin de la jeune fille-mère forcée à tous les sacrifices pour préserver son enfant illustre la thèse du roman selon laquelle la vilenie masculine entraîne les femmes vers la misère complète. Retour sur ce symbole de l’humanisme hugolien.

Les Misérables : une œuvre au féminin

D’un certain point de vue, si Les Misérables ont connu une telle postérité, c’est non à cause de la trajectoire de rédemption dépeinte par Victor Hugo concernant Jean Valjean, mais bien en raison des péripéties vécues par Cosette, fille de Fantine. En effet, la première partie du roman nous fait suivre l’histoire d’un ancien forçat sur qui l’étiquette du bagne colle à la peau. En cachant son passé délinquant, Jean Valjean réussit pourtant à faire fortune puis à être élu maire de Montreuil-sur-Mer, sous le nom de Monsieur Madeleine.

C’est à cette époque qu’il apprend l’existence de Cosette, fille d’une de ses anciennes ouvrières, Fantine. En cherchant à éduquer cette jeune fille en l’extirpant des Thénardier, il va voir son destin être à nouveau bouleversé. Dans la clandestinité, à Paris, l’ancien bagnard suit sa protégée qui tombe amoureuse de Marius, jeune héros de la révolution à venir, et doit composer avec cette idylle naissante alors même qu’il préférerait s’exiler et couper court à toute relation. En cherchant à faire le bien pour Cosette, Jean Valjean ira jusqu’à intégrer la barricade où combattent les républicains, dont Gavroche et Marius. Ce faisant, l’ancien bagnard se sacrifie pour que Marius ait la vie sauve, et que Cosette puisse l’épouser : ainsi, c’est finalement par la fille de Fantine que l’intrigue des Misérables trouvent ses ressources narratives les plus importantes.

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Fantine : une héroïne de l’époque

Nous sommes à Paris, sous le Premier Empire. Une belle jeune femme s’y fait « grisette », travaillant pour subvenir à ses besoins, et sortant avec ses amies Zephine, Dahlia et Favourite. C’est ainsi que Victor Hugo nous présente Fantine, au début des Misérables. Sur son chemin, la jeune femme originaire de Montreuil-sur-Mer rencontre un éternel étudiant, Félix Tholomyès, qui électrise cette jolie blonde gracieuse et souriante, quoiqu’un peu naïve. Éperdument amoureuse, Fantine va jusqu’à se donner à ce nanti indolent, voyant en ce galant, de neuf ans son aîné, son futur mari. Malheureusement pour elle, l’homme l’abandonne peu après la naissance de Cosette (de son vrai nom Euphrasie).

Commence un long chemin de croix pour cet être solaire devenu fille-mère dans une société qui rejette les mères célibataires. Se décidant à assurer le confort matériel de Cosette par tous les moyens, elle remet l’enfant au terrible couple Thénardier, à Montfermeil, trop heureux de trouver là une rente solide et deux bras qui travaillent pour leur auberge. Fantine, elle, laisse sa fille là-bas, rentre dans sa ville natale, où elle cache sa situation sociale. Là, la jeune femme trouve un travail dans la verroterie de Monsieur Madeleine (en réalité Jean Valjean), afin de subvenir aux besoins de sa fille. Les Thénardier imposent, par courrier, une hausse régulière de la pension versée par Fantine, prétextant des achats de vêtements et des dépenses médicales. Trois ans de cette extorsion n’ont pas raison du courage de la jeune ouvrière, mais son statut de fille-mère est finalement découvert à la fabrique, où les commères et les ouvrières jalouses de la jeune femme se trouvent ravies qu’une certaine madame Victurnien, surnommée par Hugo « gorgone », aille jusqu’à parler aux Thénardier pour comprendre la vie de Fantine.

Exclue de l’atelier avec une maigre solde, Fantine plonge petit à petit dans la misère la plus crasse. Aucune maison ne veut d’elle comme servante, et les Thénardier maintiennent leur extorsion, prétextant « des drogues très chères » pour soigner « une fièvre militaire » contractée par Cosette, afin de soutirer encore de l’argent à sa mère. Croisant le chemin d’un barbier, Fantine vend alors sa chevelure blonde pour récupérer quelques sous, puis finit par vendre ses dents afin de réunir la somme. Bientôt, elle se retrouve à vivre en haillons, à rapiécer des chemises et des robes, sous le regard de sa voisine Marguerite.

C’est là que commence la terrible « reconversion » de Fantine, rejetée de tous, et forcée d’habiter une pauvre mansarde glaciale. Endettée, uniquement mue par la volonté de payer rubis sur l’ongle les Thénardier qui ne cessent de laisser accroire que Cosette court un grave danger si les sommes ne sont pas versées, la mère brisée commence à ressentir des douleurs à la poitrine et à tousser. Le chapitre VIII du livre cinquième des Misérables (« La Descente ») se termine par deux terribles phrases de Victor Hugo : « Allons ! dit [Fantine], vendons le reste. » puis « L’infortunée se fit fille publique ».

fantine

Fantine dans Les Misérables : une descente aux enfers à valeur symbolique

La suite des ennuis de Fantine est entrecoupée d’un sévère réquisitoire de Victor Hugo contre la prostitution, vue par l’auteur comme la dernière émanation de l’esclavage au XIXe siècle en Europe. Celle-ci pèse « sur la femme, c’est-à-dire sur la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité. Ceci n’est pas une des moindres hontes de l’homme » poursuit l’écrivain. Dix mois après ses débuts comme « fille publique », Fantine se retrouve sur le trottoir, harcelé par un pénible bourgeois, se moquant de la tenue décolletée de la jeune femme. Poussant la provocation un peu plus loin, l’homme jette dans le dos nu de son souffre-douleur une poignée de neige. Sous le choc, la Fantine se jette sur l’homme, entraînant l’intervention de la police, en la personne de Javert.

Le terrible policier obsédé par la Loi s’attaque à la jeune fille au cours d’un interrogatoire resté fameux dans l’œuvre d’Hugo. En effet, l’auteur transcrit la dégradation sociale qui a progressivement transformé la jeune femme blonde innocente en « fille des rues » à travers les écarts de langage du personnage. Cependant, la cause de Fantine émeut Monsieur Madeleine, son ancien patron, et, en tant que maire de Montreuil-sur-Mer, le supérieur hiérarchique de Javert. Alors que ce dernier souhaite qu’elle soit incarcérée six mois pour trouble à l’ordre public, l’ancien bagnard s’y oppose et prend la jeune femme sous sa protection. Car, gravement atteinte de tuberculose, la mère de Cosette vit en fait ses derniers jours. Faute de traitement, elle dépérit, seulement portée par la perspective de revoir sa fille.

C’est sur la promesse faite à Fantine que Monsieur Madeleine s’occupera de Cosette que se referme le passage consacré à la pauvre fille-mère dans Les Misérables. En chargeant particulièrement son portrait de victime de la société, Victor Hugo adapte deux récits ; d’une part, la scène de la neige lui a été inspirée par une prostituée croisée à la sortie d’un restaurant, et injustement traitée par la police. D’autre part, l’écrivain reprend l’histoire bien connue de la jeune femme vertueuse manipulée par des crapules. Une figure aperçue notamment dans les textes anglais de Richardson, en particulier Clarisse Harlowe, fille bien éduquée entraînée bien malgré elle dans les milieux les plus interlopes de la société britannique du XVIIIe siècle.

L’influence de Fantine sera visible dans le roman postérieur aux Misérables. L’exemple le plus connu en est Nana, où le thème de la prostitution est abordé de manière plus profonde, mais avec des explications assez similaires données par Zola quant à l’origine sociale de ce fléau qui frappe les femmes de tout temps. Si les courtisanes de théâtre, comme Marion Delorme d’Hugo ou La Dame aux Camélias de Dumas fils, sont devenues aussi des figures d’émancipation (contrairement à Fantine), d’autres figures de la prostitution et de la déchéance ont été marquantes dans le sillage des Misérables, comme Sonia dans Crime et Châtiment.

Fantine à la scène et à l’écran

Le sort malheureux de Fantine et l’emploi pathétique de l’archétype de la femme pauvre forcée de se prostituée nécessitent un certain charisme aux comédiennes chargées de transposer les émotions du personnage à l’écran. Ce qui explique pourquoi la jeune ouvrière de Montreuil, dont le rôle est un peu moins conséquent que ceux de Cosette et de Valjean, a été incarnée par des actrices à la forte personnalité au cours de l’Histoire. Une star oubliée des années 1930, Florelle (vu chez Renoir, Siodmak et Fritz Lang) en a donné l’une des versions les plus bouleversantes chez Raymond Bernard, avant que Danièle Delorme, héroïne du cinéma français d’après-guerre, n’en fasse autant dans l’adaptation de Jean-Paul Le Chanois. Plus récemment, Evelyne Bouix, pour Robert Hossein, et Charlotte Gainsbourg, pour le téléfilm de Josée Dayan, ont éclairé le rôle de leur individualité remarquable. Uma Thurman aura également eu la charge de ce personnage dans la dernière version non-musicale des Misérables créée par Hollywood, en 1998.

En 1980, Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, auteurs de la comédie musicale Les Misérables, offraient un rôle particulièrement étendu à Fantine, véritable personnage principal du premier acte. Aussi, par son parcours tragique et les différentes chansons écrites pour son répertoire, l’interprète de la maman de Cosette a un impact crucial sur le casting scénique du spectacle originellement mis en scène par Robert Hossein, et devenu dans sa version anglophone (Les Miz), l’un des « musicals » les plus célèbres du monde.

Dès 1980, c’était à Rose Laurens, future interprète d’Africa, qu’échoyait le rôle de Fantine. En 1985, Les Miz s’installaient sur West End à Londres (et ne l’ont plus quitté depuis), propulsant dans le rôle de Fantine de véritables stars du musical telles Patti LuPone (également célèbre pour Evita) ou Ruthie Henshall. Quand la comédie musicale fut portée à l’écran, Anne Hathaway endossa le costume élimé de Fantine, ce qui lui valut l’Oscar du meilleur second rôle en 2012.

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Melanie C.
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