Entretien

Raconte-moi un dessin avec Juanjo Guarnido : « Je ne me souviens pas d’une vie sans dessin ! »

18 novembre 2019
Par Pauline

Rencontre BD au sommet : le duo Alain Ayroles et Juanjo Guarnido nous livre l’un des plus beaux albums de l’année 2019, Les Indes fourbes, fruit de plusieurs années de travail intensif. Dans ce « Raconte-moi un dessin », Juanjo Guarnido détaille le processus créatif de cette collaboration hors norme.

Les-Indes-fourbes juanjo guarnidoQu’allez-vous dessiner ?  

Juanjo Guarnido : Je vais dessiner le personnage principal des Indes Fourbes, Don Pablos de Ségovie ! 

Que raconte ce nouvel album, Les Indes fourbes ? 

Alain Ayroles et moi, on a eu l’idée de reprendre un personnage de la littérature classique espagnol du XVIIe siècle et notamment l’une des figures principales du roman picaresque : Francisco de Quevedo, un écrivain contemporain de Cervantès et aussi grand que lui en Espagne. Le livre La Vida del Buscón raconte la vie de Don Pablos de Ségovie. Il est paru en 1626 ou 1627 je crois, il est donc assez proche de Don Quichotte. C’est la même époque, le baroque espagnol, ce que nous avons toujours étudié comme le siècle d’or de la littérature et des arts espagnols.

Le genre du roman picaresque naît en Espagne à cette époque-là, et plus spécifiquement avec Lazarillo de Tormes qui est un peu antérieur mais, à l’époque baroque, il connaît son plus grand succès. Cervantès lui-même a écrit des nouvelles dans le style du roman picaresque, mais le plus connu, et sans doute le plus réussi, est La Vida del Buscón. C’est un petit roman délicieux à lire. En fait, c’est de l’humour noir avant l’heure. Pour résumer, La Vida del Buscón raconte, à la première personne, la vie et les péripéties d’un gueux qui tente de monter dans l’échelle sociale. Il va le plus souvent échouer catastrophiquement.

« Je ne me souviens pas d’une vie sans dessin ! »

Comment s’est passé votre collaboration avec Alain Ayroles

Très bien ! On avait tous les deux envie de travailler ensemble parce qu’on admirait mutuellement notre travail. Après toutes ces années de travail et surtout maintenant, à la sortie, avec le recul, je porte un regard très attendri sur les trois dernières années où l’on a collaboré et où l’on a réussi à créer quelque chose de nouveau. On a travaillé d’une façon complètement nouvelle. On a fait des pas l’un vers l’autre pour unifier notre façon de travailler et créer un style narratif qui n’est ni le sien ni le mien, mais qui nous ressemble et nous appartient. C’est un style narratif hybride. On est très fier du résultat et, maintenant, on jubile de voir l’accueil que le livre est en train d’avoir auprès du public, des libraires, des lecteurs et de la presse qui a été dithyrambique et vraiment formidable. 

Les lecteurs vous attendaient impatiemment ! 

Ce livre a eu une longue gestation et une longue réalisation : 10 ans en tout ! Alain a travaillé en amont durant plusieurs années. Il a donc écrit, réécrit, peaufiné, étudié et remanié le scénario. Il a aussi allongé le début : c’était une histoire plus courte qui a pris de l’ampleur. Après toutes ces années, quand je me suis incorporé au projet à plein temps, on a passé une année ensemble à faire le découpage (j’y englobe la première monture des croquis des pages), une année aussi pour dessiner tout l’album au crayon, et plus d’une année, quasiment un an et demi, à faire toute la couleur. Ce sont en tout 145 planches ! C’était un travail colossal et c’était le projet le plus ambitieux dans lequel je me suis embarqué, mais le résultat est là.

Comment avez-vous travaillé la couleur ?

À l’aquarelle, comme sur Blacksad, sauf que là, le trait n’était pas encré. C’était une couleur directe sur copie du trait crayonné que j’ai dessiné à part. Ensuite, on l’a agrandi un peu et on l’a imprimé sur du papier aquarelle avec de l’encre sépia. Cela m’a permis de rehausser le trait par endroit et créer des effets de profondeur assez intéressant.

« Les Indes fourbes est le projet le plus ambitieux dans lequel je me suis embarqué »

Comment décririez-vous votre style ? 

Je n’ai pas de style. Mon style, c’est un mélange de toutes les choses que j’aime et que j’ai toujours aimé. Ça a commencé par Walt Disney, ça a continué avec les BD jeunesses espagnoles de mon enfance, avec la découverte d’Astérix, plus tard avec Carlos Gimenez, les comics Marvel, Moebius, plein de choses en même temps, plein d’influences, et ça a continué à mûrir. J’ai ensuite connu LoiselJuillard et des bandes dessinées américaines très intéressantes, une variété de styles dont je me suis imprégné. Je ne sais pas quel est mon style, mais je peux définir le registre dans lequel je travaille et je me sens le plus à l’aise : un registre semi-réaliste, un peu caricatural. Finalement, c’est un peu le style des grands classiques Disney des années 1950-1960 : il y a une base de réalisme et une caricature, une stylisation du dessin et de la construction des personnages.

À quel âge avez-vous commencé à dessiner ?

Mon plus vieux souvenir remonte à quand j’avais 4 ans. Je ne me souviens pas d’une vie sans dessin !

Vous avez fait vos études aux Beaux-Arts : vous destiniez-vous à une carrière dans la bande dessinée ? 

À l’époque, je cherchais à me former dans les techniques classiques. Cependant, même pour ça, les Beaux-Arts ce n’est pas le meilleur choix. Pourtant, c’est la possibilité qui s’offrait à moi à Grenade, où j’habitais, et je ne regrette pas. Il y a des aspects des Beaux-Arts un peu énervants et même jusqu’à aujourd’hui perdure une espèce de refus du figuratif, mais on peut toujours se coller à une partie du corps des professeurs plus ouverts, qui vont vous apprendre des techniques plus traditionnelles, ce que vous cherchez, finalement.

« Ce livre a eu une longue gestation et une longue réalisation : 10 ans en tout ! »

Blacksad_Under_the_SkinOn vous connaît aussi pour la série Blacksad qui va être adaptée en jeu vidéo. Quel est votre rapport à ce support ? Avez-vous pu y jouer ? 

Non, je ne suis pas gamer du tout ! J’avoue ne jamais jouer aux jeux vidéo, c’est un médium que je ne connais pas. J’ai l’impression que c’est très chronophage, et je n’ai déjà pas assez de temps pour dessiner tout ce que je veux. J’ai d’autres priorités, peindre et puis, pour me détendre, jouer un peu de musique, en écouter… Les jeux vidéo ne m’ont jamais attiré ni enthousiasmé. Cela dit, je trouve que le boulot qui a été fait sur Blacksad est très bien. Le jeu est plébiscité, il a eu un prix avant sa sortie ! C’est très bon signe. J’ai suivi ça de loin. J’ai validé la création des personnages. Honnêtement, j’ai été très agréablement surpris par la qualité ! Je m’attendais à devoir faire beaucoup de remarques et, finalement, leur design de personnages était vraiment bien, à 80% c’était même excellent. J’ai fait quelques remarques uniquement pour coller davantage à l’univers de Blacksad. En général, les artistes qui travaillent dans un animalier humanisé ont tendance à prendre quelques décisions qui, esthétiquement, sont rebutants. C’est ce que j’essaie d’éviter dans Blacksad. Pour moi, la clé pour que cela semble cohérent avec l’univers, c’est essentiellement que ça ne soit pas rebutant, étrange, bizarre, que ça n’ait pas l’air de jurer.

Parution le 28 août 2019 – 160 pages

Scénario : Alain Ayroles

Dessin & couleurs : Juanjo Guarnido

Les Indes fourbes, Alain Ayroles et Juanjo Guarnido (Delcourt) sur Fnac.com

Article rédigé par
Pauline
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