Signature illustre de l’heroic fantasy avec la série Lanfeust, Didier Tarquin est un artiste reconnu… Il avoue pourtant un certain trac alors que paraît en librairie sa nouvelle série UCC Dolores. En vidéo, il raconte son aventure dans le monde de la BD, son rapport au dessin et au public. Il est rejoint par sa coloriste, et compagne, Lyse Tarquin, pour le premier « Raconte-moi un dessin » réalisé à quatre mains, où l’on parle remise en question, reconnaissance et maturité.
Didier Tarquin : scénariste et dessinateur
« Je suis Didier Tarquin, je suis surtout connu pour être le dessinateur de Lanfeust depuis maintenant 25 ans. Là je suis en train de faire des infidélités à Lanfeust, puisque je me lance en auteur solo. Enfin, quand on dit auteur solo, ça veut dire dessinateur et scénariste. Je me lance dans une nouvelle aventure dans l’espace avec un vaisseau qui s’appelle l’UCC Dolores, et qui vient de sortir là, en janvier. »
Qu’allez-vous dessiner ?
« Il y a une histoire qui tourne autour d’une fille, je pense que je vais partir d’elle. C’est Mony, c’est une jeune fille de 18 ans, orpheline, qui sort du couvent et qui découvre qu’elle a hérité de quelque chose, en l’occurrence d’un vaisseau de guerre. Pour une bonne sœur, c’est un peu spécial, et quand on hérite de quelque chose, on hérite d’un objet mais aussi de son histoire. Partant de ce vaisseau, ça va être le déclenchement de toutes sortes d’aventures, et il va falloir que cette jeune fille pas du tout armée pour ce type d’aventures fasse preuve de ressources pour s’en sortir. »
Vous changez de genre par rapport à Lanfeust…
« Oui, tant qu’à faire autre chose autant que ce soit complètement autre chose. J’aurais pu faire une BD d’heroic fantasy, mais non, j’avais vraiment envie de faire quelque chose qui se passe dans l’espace. Pourquoi dans l’espace, pourquoi un western intergalactique ? Parce que, d’abord, je suis un geek qui aime ça, et puis le gros avantage dans l’espace, c’est qu’on n’a pas un monde mais des mondes. Il suffit de passer d’une planète à l’autre pour multiplier toutes les possibilités de pouvoir explorer d’autres planètes. »
Avez-vous eu, pour cet album, une approche du dessin différente par rapport à ce que vous faites dans Lanfeust ?
« Oui et non, ça reste du Tarquin, je ne peux pas faire autre chose. Dans mes doigts, il y a du Tarquin, donc autant faire du Tarquin. Par contre, l’approche est différente parce que ce n’est pas le même type de récit, ce n’est pas le même ton. Je suis un peu comme un musicien, on va dire un violoniste, on ne va pas demander à un violoniste de devenir batteur, ou de souffler dans une trompette, mais par contre il n’a pas la même partition, donc il va aborder ça différemment. Et c’est ce que je fais sur UCC Dolores, je suis partie sur quelque chose de différent : le ton est plus sérieux donc, étant plus sérieux, je vais aborder une mise en scène différente, un dessin plus réaliste. Ça veut dire aussi, qu’au bout de mes doigts, j’ai changé certains outils. Puisque ça a un côté western, je me suis dit autant aller jusqu’au bout. J’avais très envie de me remettre au pinceau, donc je me suis remis au pinceau. C’était une remise en question, mais aussi on avait besoin de sentir que c’était différent, j’avais besoin d’avoir un autre rapport au dessin. »
J’ai lu dans plusieurs articles que vous travaillez souvent avec, devant vous, des livres ouverts, des planches d’autres artistes… Est-ce que c’était le cas pour cet album ?
« Toujours. J’ai toujours été accompagné par plein de dessinateurs, on va dire des « pères graphiques ». Là pour UCC Dolores, il y a essentiellement des travaux de Giraud (Blueberry), Boucq (avec Bouncer), Mathieu Lauffray, des gens comme ça… C’est plus sérieux. Ce sont des gens qui ont un rapport différent au dessin, à la peinture aussi, ce sont des gens qui peignent. »
« Je n’ai jamais arrêté de dessiner, parce que j’ai trouvé ma place par le dessin. »
Comment avez-vous commencé à dessiner, d’où ça vous vient ?
« C’est une question essentielle. Un enfant, ça dessine. La question c’est pourquoi je n’ai jamais arrêté de dessiner. Je n’ai jamais arrêté de dessiner, parce que j’ai trouvé ma place par le dessin. Tout à l’heure, je parlais de musique : un musicien se met à faire de la musique car il a un auditoire, des gens qui vont l’écouter, il va se sentir apprécié et il va se dire : « Tiens, j’ai fait quelque chose de bien. Ça a plu et ça m’a plu, donc j’ai trouvé ma place. » Et moi c’est ce qui m’est arrivé avec le dessin. On est à l’école, il y a des profs qui sont absents, on s’ennuie, un bout de papier, un crayon, on dessine et puis tout d’un coup on devient intéressant en classe. Et puis, le dessin, on le donne et on voit que ça fait plaisir à quelqu’un et, tout à coup, la personne à qui on l’a donné se met à nous parler, alors qu’avant on ne se parlait pas… Ça se fait comme ça. Si en plus, dans la tête, on a des histoires, des mondes, tout ça trouve sa place dans le dessin. Et on prolonge les plaisirs. Par exemple, je vais au cinéma, je vais voir Star Wars… En rentrant chez moi, je dessine Dark Vador, et je suis encore dans Star Wars. C’est comme ça en fait que les choses se font. Et puis, un jour, au lieu de recopier et de refaire, on a une espèce de maturité qui s’installe, et on a envie de s’affirmer, et on s’affirme par le dessin, par l’histoire, par la bande dessinée, et là on commence à générer des histoires. Au bout de tout ça, il y a un contrat et un album. »
Vous êtes scénariste pour cet album : d’où vous vient cette histoire ?
« J’ai toujours eu des histoires dans la tête, mais je ne me sentais pas capable de le faire. Je ne me sentais pas la carrure. Parce que faire un album, c’est un marathon, et faire un album seul, en tout cas pour moi, ça avait un peu des allures de traversée en solitaire, c’était impressionnant pour moi de faire ça. Ça demande une vraie assurance, une vraie conviction, de se dire : « C’est ça que je dois faire et pas autre chose. » Alors qu’avec un scénariste, il y a du dialogue, il y a toujours un moment où il peut me dire « fais ça plutôt que ça. » Je suis d’accord ou je ne suis pas d’accord, mais il y a un échange. Là, c’est autre chose. J’ai eu un échange, mais avec les personnages de la bande dessinée. C’était eux qui me disaient ce qu’il fallait faire ou pas. Ça a été autre chose pour moi. À un moment, quelque chose te dit qu’il faut le faire. C’est quelque chose de presque intime. J’avais cette histoire-là qui me trottait dans la tête et ça s’est fait. »
« Être pris au sérieux », « maturité », « se faire confiance ». Ce sont des mots qui reviennent dans votre discours. « Être pris au sérieux », c’est ce que représente cette nouvelle série pour vous ?
« Oui, maintenant que le bouquin est écrit, j’ai un trac fou… J’ai besoin que ça existe, j’ai besoin de convaincre, de me convaincre. On a toujours quelque chose à prouver, à se prouver, c’est là qu’on se sent vivant. Je n’ai pas du tout envie de faire juste un album de plus. Je n’ai pas envie de devenir l’employé de ma propre BD. J’ai envie de voyager ! J’ai beaucoup voyagé dans le monde de Troy, j’ai envie maintenant d’essayer d’autres destinations. On a besoin de se mettre en danger, on a besoin de reconnaissance… Après, quel type de reconnaissance ? Si c’est avoir un prix, j’en ai eu, ce n’est pas ce qui m’a fait avancer. Est-ce que j’ai besoin d’avoir la reconnaissance des professionnels ? Oui, ça aide, mais au moment où je suis sur mes pages, elle disparaît. Alors de quoi ai-je besoin ? Je pense que c’est comme n’importe quelle personne, j’ai besoin d’avoir une standing ovation, j’ai besoin d’avoir des gens en face de moi qui m’applaudissent, et quand je suis en séance de dédicaces, je vais voir des gens qui vont réagir à ce que j’ai fait, je vais avoir quelque chose qui est fantastique pour un artiste, c’est que son œuvre lui échappe. Ce n’est plus à lui. C’est de lui, mais ce n’est plus à lui. C’est aux gens qui l’ont lu. Le personnage de Mony que je suis en train de dessiner, ils vont lui imaginer un timbre de voix que je n’imaginais pas, ils vont imaginer un rythme différent de ce que j’ai dessiné, ils vont imaginer plein de choses. Ça ne sera plus à moi et, là, ça deviendra vivant. Et ça, c’est très stimulant. J’ai besoin de ça. Moi ce qui m’a plu dans Lanfeust, c’est qu’il plaise. »
« On a toujours quelque chose à prouver, à se prouver, c’est là qu’on se sent vivant. »
Sur la couverture de cet album, il y a le nom de votre coloriste, qui est aussi votre compagne…
« Oui. Pourquoi mettre le nom de la coloriste ? La vraie question, c’est surtout de dire pourquoi ça n’y était pas avant. À une époque, il n’y avait pas le nom des scénaristes sur la couverture, mais aujourd’hui on ne ferait pas marche arrière, on trouve cela normal d’avoir le nom du scénariste sur la couverture. Moi je trouve ça normal qu’un coloriste ait son nom sur la couverture, ça n’engage que moi ce que je dis. Je viens de faire un film qui s’appelle UCC Dolores, qui est un film de papier, et ce film a une bande son, il a une musique, et cette musique, ce sont les couleurs. En BD, la musique ce sont les couleurs et, au cinéma, la musique c’est extrêmement important, je défie quiconque de regarder Le Bon, la Brute et le Truand sans songer à la musique de Morricone, c’est impossible. Impossible de voir la silhouette de Dark Vador sans penser au thème qui a été écrit par John Williams… UCC Dolores, c’est de la BD populaire, donc la musique est importante aussi. J’ai envie que le travail des coloristes soit valorisé. Ce sont des gens qui travaillent la lumière et j’ai envie qu’ils soient dans la lumière eux-aussi. »
Lyse Tarquin : coloriste
« Bonjour, je m’appelle Lyse Tarquin, je suis coloriste depuis 20 ans maintenant. J’ai fait les couleurs d’UCC Dolores, entre autres. Je travaille aussi sur Lanfeust, le dernier cycle, et avant ça sur Ythaq, avec Adrien Floch au dessin, et Arleston au scénario, sur Slhoka aussi, sur Paradis perdu d’Alberto Varanda, et pas mal d’autres titres finalement. Un coloriste a de nombreux titres à mettre en couleur contrairement au dessinateur qui va souvent faire un seul album dans l’année. »
D’où vous vient votre goût pour la couleur, comment vous avez choisi ce métier ?
« Je crois que c’est plutôt le métier qui m’a choisi. Au départ, j’étais dans la publicité, ensuite j’ai bifurqué dans le dessin animé. J’ai rencontré Didier et le studio Gottferdom qui cherchaient des coloristes, et je me suis lancée dans la couleur. Mais je ne savais même pas, un peu comme la majorité des gens, que coloriste était un métier. Je pensais que c’était le dessinateur qui faisait les couleurs. En fait, c’est pratique d’avoir un coloriste, ça fait gagner du temps au dessinateur, parce que la réalisation d’un livre est assez longue. Et certains dessinateurs ne savent pas forcément faire leurs couleurs, ou ils n’ont pas envie… C’est là qu’on intervient, nous les coloristes. »
Quels sont vos outils de prédilection ?
« Au début, je travaillais à la main : pinceau, acrylique, voire même un peu de gouache, et ensuite je suis passée au numérique, à l’ordinateur. J’ai fait enregistrer tout ce que je faisais à la main en brosse sur Photoshop, cela m’a permis de garder un côté plus manuel, moins ce côté froid que l’ordinateur a tendance à amener. »
« Le coloriste doit se mettre au service d’un style graphique, d’une histoire. »
Quelle est la place du coloriste dans le processus de création ? Quelle est sa part de liberté ?
« Chaque projet est une nouvelle aventure, parce que, déjà, il y a des personnes différentes en fonction des projets, et puis ça dépend de ce qu’on peut amener au dessin. Le coloriste doit se caler sur ce que fait le dessinateur. Il doit adapter sa mise en couleur à son style graphique. Il doit se mettre au service d’une histoire. Il doit, lui aussi, permettre une narration fluide, mettre en lumière ce qui va être important, la scène, et puis amener toutes les émotions. S’il se passe quelque chose de grave, de dramatique, on va avoir un gros ciel lourd avec des gros nuages sombres, et s’il se passe une scène avec quelque chose de positif, on aura sûrement un beau ciel bleu. C’est une caricature, mais c’est l’idée. On se met au service de l’histoire avant tout. »
Pour Didier Tarquin, la mise en couleur d’un album correspond à la mise en musique d’un film. Partagez-vous cette vision ?
« Ah oui, complètement. Sur UCC Dolores, j’avais envie de rythmer l’histoire, j’avais envie de faire des ambiances très différentes, très marquées par les couleurs. À chaque fois que l’on va tourner une page, on va changer d’ambiance. Il y a une autre scène qui se passe, et j’ai voulu vraiment accentuer ça à la couleur. C’est pour ça qu’on a des ambiances rouges, très lourdes, dans la scène où il y a la bagarre dans les bas-fonds de la ville. On a une scène au début, dans le couvent où la mère supérieure reçoit Mony qui va bientôt partir parce qu’elle a 18 ans : là on est dans un jardin magnifique, on a des jolis verts, c’est très lumineux, c’est baigné de lumière. Et puis, encore plus loin, on va avoir des scènes dans l’espace avec des vaisseaux, des planètes… On va vraiment essayer de rythmer l’histoire avec les couleurs. »
Vous avez également travaillé sur Lanfeust. Depuis combien de temps travaillez-vous en collaboration avec Didier Tarquin ?
« Je suis intervenue un tout petit peu sur le Cycle des Étoiles. Après, j’ai surtout mis en couleur Lanfeust Odyssey, donc le dernier cycle. »
C’est un univers qui vous parle ? C’est le genre de BD que vous lisez, si vous lisez de la BD ?
« Au début, je n’en lisais pas. Je vais plutôt lire de la jeunesse, j’aime beaucoup les livres pour enfants. Mais si j’achetais une BD, oui, j’achèterais du Lanfeust, parce que c’est du semi-réalisme, et c’est de l’humour, j’aime beaucoup quand il y a de l’humour. Il y a de l’heroic fantasy et j’ai toujours adoré aussi. »
Le métier de coloriste arrive en bout de chaîne. Ressentez-vous une certaine pression à occuper cette position ?
« On arrive en bout de chaîne de création, le scénario a pris du temps et a débordé sur le planning… Ensuite, c’est le dessinateur qui a pris du temps et qui, lui aussi, a débordé sur le planning. Nous, on arrive à la fin, la date de rendu est la même et il faut, quoi qu’il arrive, boucler à cette même date et tant pis si on est fatigué. On peut parfois avoir des surprises sur le planning, mais il faut faire le tampon avec la fabrication, s’assurer que la chromie soit bonne, que le bouquin soit bien imprimé, et respecter les délais. On peut passer beaucoup de temps sur les couleurs, mais si l’impression est ratée, c’est à jeter. Je me suis retrouvée parfois avec des forêts qui étaient devenues jaune au lieu d’un beau vert profond… C’est vraiment désespérant pour le coloriste qui a passé tout ce temps dessus, mais, bon, c’est comme ça. C’est pour cela que j’aime bien surveiller l’impression, me rendre sur place quand c’est possible, ou alors surveiller avec des cromalins, des épreuves numériques : c’est un peu comme une photo à l’instant T du travail fait qui sert de repère visuel à l’imprimeur quand on ne peut pas se déplacer. »
« C’est beaucoup de travail de mettre un album en couleur et il y a une vraie implication. Quand on est reconnu, c’est apprécié. »
Sur cet album, vous avez votre nom sur la couverture. Ce n’est pas toujours le cas pour les coloristes…
« C’est vrai, ce n’est pas toujours le cas, c’est même rarement le cas. Je n’ai pas demandé à ce que mon nom soit sur la couverture, pour aucun de mes albums. Ce sont les auteurs qui ont décidé ou pas. Je n’ai pas attendu ça, mais je pense que les coloristes font tout de même un gros travail et ça mérite, juste parce qu’ils ont travaillé, d’être précisé au moins sur la page titre. Je suis très contente d’être sur la couverture, c’est chouette, mais ce n’était pas une demande spéciale de ma part. C’est vraiment une reconnaissance, ça fait plaisir. C’est beaucoup de travail de mettre un album en couleur et il y a une vraie implication. Quand on est reconnu, c’est apprécié. »
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Parution le 9 janvier 2019
UCC Dolores, Didier Tarquin, Lyse Tarquin (Glénat) sur Fnac.com