Entretien

Raconte-moi un dessin : la renaissance de Betty Boob

02 octobre 2018
Par Mathilde1

À l’occasion de la remise du Prix BD Fnac 2018, le 17 janvier dernier, Julie Rocheleau est venue du Québec pour nous raconter en dessin son héroïne de tous les jours, Betty Boob, qui se remet d’un cancer du sein. La dessinatrice nous parle de ses influences, de son trait de crayon énergique et de la question des femmes dans la bande dessinée.

Julie Rocheleau : « Je vais dessiner l’héroïne, Betty Boob, j’aime bien son profil avec son nez retroussé. J’aime bien y aller avec quelque chose de « safe » ! »

Couv BettyBoobBetty Boob est le fruit d’une collaboration : qui a contacté l’autre ?

Julie Rocheleau : « C’est Véro qui a initié le projet. On se connaissait un peu avant, mais c’est notre première collaboration. Il a fallu que je comprenne, ce n’était pas évident tout de suite, la nature du projet. Au départ je n’arrivais pas à voir le ton que Véro avait en tête, ce ton très joyeux. J’avais des pensées trop conservatrices à ce niveau-là, mais elle a fini par me convaincre et me faire comprendre. Il y a eu un déclic où je me suis dit « Ah ! C’est fou, éclaté, décalé ! ». Ça m’a beaucoup plu. À partir de là, toutes les deux, on a donné tout ce qu’on avait. On se motivait mutuellement : elle était contente de recevoir mes dessins et moi, son scénario me faisait rire et me donnait envie de pousser plus loin.

[…] Le côté dynamique de mes dessins (j’aime faire des scènes d’action, des scènes cartoon…), cela correspondait à ce qu’elle attendait, mais j’ai appris et poussé plus loin en travaillant là-dessus. C’était motivant. »

Avez-vous adapté votre façon de dessiner pour le scénario de Véro Cazot ? 

« Pour chaque nouveau projet, on essaye de s’améliorer, d’avancer, laisser tomber des anciennes façons de faire, de tenter des trucs… Au départ, j’allais dans tous les sens, j’essayais de trouver des astuces, d’être originale. Mais quand on en fait trop, ça marche plus ou moins. Il y a eu un travail d’épuration. On a fini par trouver le style. C’est venu naturellement, mais au départ j’ai pris des chemins tortueux. J’aime bien me remettre en question au début d’un projet.

Ma toute première BD s’adressait aux adolescents, mais en général c’est tout public, plutôt adulte si on peut dire. J’ai illustré des romans jeunesse également. On ne peut pas se réinventer complètement à chaque fois, mais j’essaie de m’adapter selon les besoins du projet : de la BD, de l’illustration, etc… Il y a mes influences du moment qui viennent jouer, mes envies, des choses qui m’énervent dans mon dessin… De projets en projets, ça change.

La-colere-de-FantomasLa-petite-patrie

J’ai fait quelque chose de dark, La Colère de Fantômas, et après quelque chose de très doux, La Petite Patrie. Pour Betty, j’ai tenté l’entre-deux. On arrive à un trait plus sensible, plus poétique mais en même temps il y aussi le côté très cartoon, tout vole en l’air, très cocasse ! Fantômas, ce n’était pas forcément drôle, mais il y avait une liberté, on ne faisait pas dans le réalisme. On devait et on voulait s’amuser. J’ai repris cet état d’esprit là pour Betty. C’était pour les besoins du projet, mais en même temps c’est contagieux. Tu t’attaches aux personnages…

Qu’est-ce que ça fait de construire une BD muette, sans bulle ?

« Ne pas avoir de bulle, c’est différent, pas plus difficile. Il y a des choses qui étaient sans doute compliquées et d’autres facilitées… J’aime beaucoup le muet en général. Avant de faire de la BD, je faisais du dessin animé. J’ai réalisé un court métrage d’animation qui est muet, un peu pastiche, un hommage aux animés des années 1930. Donc ça me connaissait déjà. J’aime bien la pantomine, les expressions too much. »

Betty Boob - Julie Rocheleau - Janvier 2018-4

Betty Boob est une histoire de féminité, de féminisme…

« J’habite au Québec. Le sexisme et les canons de beauté existent partout, mais au quotidien j’ai l’impression qu’on le vit beaucoup moins que les femmes et les hommes français. À chaque fois que je viens ici, j’en apprends un peu plus sur le sujet. 

Pour ma part, j’étais surtout contente de l’opportunité que j’avais de dessiner des corps différents, des corps du vrai monde, qui ont arrêté de se comparer et qui se sont trouvés beau avec ce qu’ils avaient ! Dans Betty, il y a une affirmation via le glamour, l’esthétique burlesque.

« Le message, ce n’est pas « Faites-vous coquettes mesdames pour être belle »,
au contraire c’est « Faites ce que vous voulez ! »
»

Si ton truc c’est d’être en pyjama à longueur de journée, ne rien savoir du maquillage, de l’épilation, tu vas être charmante comme ça ! C’est ta personnalité, qui tu es, ça vaut aussi pour les hommes, pour tous les âges. On peut être belle à 70 ans ! Sois-toi-même, sois qui tu veux être ! C’était l’opportunité de me faire plaisir en dessinant, de trouver des gens vraiment sympathiques, éloignés des conventions, de la façon dont l’on dessine les femmes en BD. En tant que dessinatrice, je comprends qu’on ait envie de plaire, il y a de l’autocensure, on ne s’éloigne pas trop du standard… C’est pas sincère, c’est pas sain, ça ne marche pas ! »

Le monde de la BD est très masculin, comment le vivez-vous ?

« Je vis dans une bulle, j’ai mon atelier, je n’ai pas de problème avec mes collègues, mais on m’a déjà dit que je dessinais comme un homme, et c’était un compliment ! Sans commentaire… Il y a quelque chose qui m’énerve dans la BD : souvent les héroïnes sont des femmes parfaites, alors que les personnages masculins sont un peu moches ou des antihéros. J’aimerais qu’une BD fonctionne auprès du grand public sans que l’héroïne soit un top model, un prix Nobel, hyper badass ou qui sait faire du Kung Fu et se servir de toutes les armes. J’aimerais une héroïne qui soit maladroite, un personnage attachant mais qui met les pieds dans la boue ! J’aimerais un personnage plus vrai ! Ce serait une bouffée de fraîcheur ! »

Qu’est-ce que ça vous fait de recevoir le Prix de la BD ?

« Une immense fierté, je ne réalise pas tout à fait encore ! Avec Vero, on était déjà très contentes d’être dans la liste des nominés. Je ne savais pas ce que les gens pensaient de mon travail. J’ai été très agréablement surprise de savoir que c’était nous qui remportions le prix ! Ça va avoir un impact sur le livre, et puis sur moi. Est-ce que ça va changer ma façon de faire ? »

Parution le 13 septembre 2017 – 184 pages

Betty Boob, Véro Cazot & Julie Rocheleau (Casterman) sur Fnac.com 

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