Je me souviens plus jeune, beaucoup plus jeune que maintenant, avoir été saisi par une citation graffée sur les murs du métro parisien Station Lamarck-Caulaincourt : « La sécurité assassine la passion de l’âme et va en ricanant à son enterrement ».
Contrairement à ce que Facebook peut aujourd’hui générer de citations sans que quiconque ne trouve important de rendre à César ce qui est à César en citant son auteur, ici l’inscription avait un nom : Khalil Gibran. Ce nom puissant presque magique à vrai dire, ne pouvait révéler qu’une autorité artistique dont je ne savais encore si elle était littéraire ou autre. Oui ignorance quand tu nous tiens… j’étais dans Gide à l’époque, à ma décharge. Je décidais donc de me rendre à la bibliothèque de ma ville, Saint-Denis, ville des rois dans laquelle j’étais (d’autorité royale évidemment) né… donc tout à fait à ma place. A la lettre G, je découvrais donc rapidement Gibran, au milieu de si peu de références, le fait qu’il y soit conféra à mon idée première que je n’avais pas été saisi par hasard par le sens de cette phrase et que son écho faisait écho à une prophétie qui voulait que je lise ce livre un jour. Ne vous est il jamais arrivé de tomber par hasard sur un bouquin qui répondait aux questions que vous vous posiez à cette époque ? Pour moi le Corydon d’André Gide, le De profundis d’Oscar Wilde ont porté ma vie à un moment où je n’en voulais plus, en tous cas pas telle qu’elle était.
J’empruntais donc l’objet et le portais chez moi comme un rouleau de la Mer morte inédit qui m’apprendrait plein de truc sur la vie d’après ce que j’avais cru comprendre en lisant le dos de couverture. D’un trait que je l’ai lu ! En même temps, pour ne pas en rajouter dans le romanesque, le livre est court – très court – donc d’un trait certes mais l’épreuve ou le risque d’être déçu ne m’aurait pas coûté en termes de temps.
Le Prophète de Khalil Gibran c’est quoi ?
Ça ne raconte pas vraiment d’histoire. On sait juste que la narration commence le jour d’un départ, le départ de celui qui autrefois fut un étranger de la ville d’Orphalèse. En quelques années ce dernier aurait retiré auprès de ce peuple une expérience de vie qu’il nous dit vouloir transmettre tout au long de la route qui le ramènera vers sa terre natale. C’est au moment de quitter la ville qu’il apparaît comme un prophète venu apprendre et transmettre dans un langage universel ce qu’il a retiré de ce côtoiement. Erigé en saint homme que l’on doit écouter, les villageois l’entretiennent de leurs angoisses auxquelles il trouve une réponse à chaque fois. Ces questions sont celles des hommes ordinaires, elles sont existentielles et s’arrêtent précisément sur ce qui fait les fondations de l’humanité, sur ce qui fait que d’animaux des origines nous soyons devenus humains, dignes d’être ainsi nommés. L’amour, les enfants, la nourriture, l’existence, … autant d’interrogations naturelles et simples sont décortiquées avec une déconcertante simplicité afin d’y apporter une réponse claire qui devrait nous guider dans notre quotidien.
Le bouquin fonctionne sur le principe de questions-réponses dans un langage exalté, plein de poésie et de compassion pour le genre humain, rien n’y est manichéen. Il n’y a ni Bien ni Mal, juste des êtres humains dont les conflits sont générés par l’aveuglement de la matière, l’envie, les possessions au détriment de valeurs spirituelles et de partage.
Véritable hymne à la vie et à l’indispensable nécessité de se détacher et de revenir à des origines non matérialistes, Gibran fait encore écho aujourd’hui dans une société étranglée par l’idée de quelques uns qui ont convaincu l’humanité qu’avoir faisait une vie, qu’avoir était la vie. A lire absolument pour trouver consolation dans le simplicité et découvrir aussi ce texte qui d’après moi a fortement influencé L’Alchimiste de Paulo Coelho.