L’auteure rend hommage à une muse dont on ne connaît presque rien. Elle révèle également toute l’emprise que le peintre espagnol exerçait sur la jeune femme.
Depuis quelques années, les récits de celles qui ont inspiré Pablo Picasso abondent, rétablissant une vérité souvent occultée derrière son grand œuvre. Pourtant, si l’artiste fut l’un des premiers à atteindre une telle reconnaissance de son vivant, son succès s’est fait au détriment de celles qui l’ont aimé. Brigitte Benkemoun s’est penchée sur cet aspect sombre de la personnalité du peintre qui, il y a peu, était encore méconnu du public. Déjà auteure de Je suis le carnet de Dora Maar (2019) – une des amantes et muses du maître espagnol –, elle vient de publier un ouvrage consacré à la discrète Marie-Thérèse Walter.
Une passion dévorante
Au contraire de son nom, son visage est connu de tous. Marie-Thérèse Walter incarne la période la plus joyeuse de Picasso, qui court des années 1920 à la Seconde Guerre mondiale. Les toiles sont radieuses et distillent un certain érotisme. Âgée de seulement 17 ans, elle fait preuve de candeur, mais cristallise par essence cette fougue propre à la jeunesse. L’homme dont elle s’éprend lui est alors inconnu. Il a 45 ans et lui promet qu’ils feront « de grandes choses ». Elle succombe et accepte de poser pour lui.
Mais l’engouement du peintre s’essoufflera avec la même fulgurance que celle qui l’a animé ce fameux soir d’hiver parisien. Dix ans ont passé, Marie-Thérèse Walter a perdu cette innocence qui la caractérisait et a donné naissance à une petite fille prénommée Maya. Alors qu’elle évolue dans l’ombre de son amant qui la contraignait à cette obscurité, Picasso rencontre Dora Maar. Il n’en faudra guère davantage pour qu’il la délaisse pour de bon. C’est la fin d’une passion dévorante, qui tourmentera l’existence tout entière de la jeune femme, jusqu’à son suicide, quatre ans après la disparition de l’artiste.
Des problématiques contemporaines
Après une décennie passée aux côtés de l’artiste, Marie-Thérèse Walter ne parvient pas à se défaire de l’emprise du père de son enfant. Son amour naïf et confiant se couple à une vénération qui l’aveugle. Et l’épuise, tout comme les femmes qui ont partagé son quotidien. Dans Sa vie pour Picasso, Brigitte Benkemoun revient sur cette relation complexe et sensible, sur les cinquante ans de déchéance qui ont suivi cette terrible idylle. Elle libère ainsi la parole de celles qui, abusées physiquement et psychologiquement, ne l’ont jamais eue ou peine encore à l’avoir.
Après #MeToo, les comparaisons peuvent être tentantes. Dans ce cas précis, Picasso demeure un homme de 45 ans qui a courtisé une jeune femme d’à peine 17 ans, proie facile tant elle ne connaît rien à la vie ou si peu. L’ouvrage s’attache pourtant à suivre le chemin de la mesure. Si, en creux, l’auteur dénonce le comportement vampirique qu’exerçait Picasso sur ses conquêtes, elle préfère une objectivité qui ne réduit pas Marie-Thérèse Walter à une seule condition de victime. « J’ai l’impression d’avancer sur une crête escarpée, glissante sur les deux versants », expliquait Brigitte Benkemoun lors de l’écriture de son texte. Aussi tragique que romanesque, Sa vie pour Picasso réactualise ainsi des problématiques contemporaines.