D’ici quelques années seulement, les plus connectés d’entre nous pourraient passer plus d’une heure par jour dans le Web3 et le metaverse. Mais à quoi cela va-t-il ressembler ? J’ai voulu en avoir le cœur net. Voici mon retour d’expérience après plusieurs semaines de tests passées à naviguer dans ce monde virtuel parallèle censé nous vendre du rêve.
« Une construction de réalité virtuelle destinée à supplanter Internet, à fusionner la vie virtuelle avec la vie réelle, et à créer de nouveaux terrains de jeu sans fin pour tout le monde – vous allez pouvoir faire presque tout ce que vous imaginez. » Mark Zuckerberg, le patron de Meta (Facebook) sait nous faire rêver avec son futur métavers. Mais, concrètement, ça se passe comment ?
Tester le métavers. OK, mais comment ? À part aux États-Unis et au Canada, il n’est pas encore possible d’accéder à Horizon Worlds de Meta. Mais j’ai au moins la base : un casque de réalité virtuelle (VR). Il en existe différents modèles fabriqués par plusieurs marques : Oculus (Meta), HTC, Sony, Valve… En l’occurrence, je me suis dotée d’un Oculus Quest 2, c’est-à-dire le modèle le plus populaire actuellement. Il est vendu 349,99 € et fabriqué par… Meta, qui a racheté la firme en 2014. Le groupe de Mark Zuckerberg s’efforce de jalonner tout le parcours vers le Web3, annoncé comme le nouvel Internet. Un monde où les mastodontes de l’Internet actuels (Meta, Google, etc.) ne devraient plus faire la loi. Mais, à l’heure actuelle, ce sont bien eux qui investissent le plus massivement dans ce Web3 fantasmé.
Oculus Quest 2 : immersion totale
J’ai bien un casque de réalité virtuelle, donc, reste maintenant à découvrir quoi en faire. Après avoir regardé quelques vidéos en VR, j’ai compris le principe. Expérience de montagnes russes, expédition sur l’Everest, découverte de l’espace à bord de l’ISS… Les possibilités sont nombreuses pour expérimenter l’immersion dans des mondes virtuels.
À l’aide du jeu d’escalade The Climb 2, voilà que j’apprends à utiliser les manettes fournies avec le casque… et que je comprends à quel point il est facile d’avoir la nausée en restant bien assis sans bouger au fond de son canapé. Les sensations sont bien réelles quand je rate une prise et que je dégringole de plusieurs mètres le long d’une paroi alpine. Pire : j’ai mal aux bras à force de grimper virtuellement, car je tétanise mes muscles sur des prises imaginaires. Question immersion, pas de doute, ça fonctionne pleinement. Mais qu’en est-il de ce monde virtuel qu’est le métavers ?
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Seule sur la plage, abandonnée
Sur l’interface virtuelle du casque, je trouve une appli nommée Villa : Metaverse Creation & NFT Collaboration Platform. Je télécharge, j’installe. Première surprise : pour y accéder, il faut que je paie 9,99 dollars pour un mois. La promesse ? Un métavers de luxe avec villa personnelle en bord de mer, à décorer à l’aide de tableaux NFT et où recevoir ses amis au bord de la piscine. La réalité (virtuelle) ? Une sorte de Second Life, mais pas au pic de sa popularité, en 2006. Non, plutôt un Second Life d’aujourd’hui, c’est-à-dire… vide.
De prime abord, c’est très chouette. Le hic, c’est quand on commence à se rapprocher. La villa est posée sur une sorte de tapis volant au-dessus d’une plage de sable fin. Pièces décorées très sobrement ou complètement vides, aucune activité ou presque… On a vite fait le tour. Seul l’aquarium géant situé au centre de la maison est amusant deux secondes. Mais ce métavers possède une option : celle de pouvoir voler au-dessus des éléments et de se déplacer tel Superman dans les airs. Là encore, passées deux minutes de fun, on reste un peu sur notre faim. C’est bien beau de se déplacer dans un univers virtuel, mais si on ère sans but, l’intérêt est limité.
D’autant que les décors alentour sont en carton. Aller se balader le long de l’eau ou s’approcher de la colline environnante est une mauvaise idée. Plus on est près, plus l’image est pixelisée. Et si on « entre » dans le décor, alors là, c’est le noir absolu. Quant aux « amis » à inviter, pas un avatar à l’horizon lors de mes multiples connexions. Personne donc pour au moins faire connaissance, encore moins à inviter près de mon brasero au bord de la piscine. Pas vraiment une « dolce villa » comme je le pensais, plutôt un décor de cinéma en carton-pâte. Et moi, seule sur la plage, abandonnée. Bref, ce sont sans doute les 9,99 dollars les plus mal dépensés de ma vie. J’ai bien fait de créer une alerte sur mon téléphone pour penser à me désinscrire dans moins de 30 jours.
À l’assaut de Roblox
Nouvelle stratégie : je lance une recherche sur Google – le Web 2.0 reste encore bien utile pour ça. À la requête « Comment tester le métavers », pas vraiment de réponse en français. Je trouve en revanche davantage de pistes en anglais. Voilà qu’on me conseille d’aller voir du côté du jeu en ligne Roblox. C’est parti pour intégrer cette plateforme populaire qui possède une variété infinie de mondes 3D immersifs créés par la communauté elle-même. Roblox a connu une croissance exponentielle ces derniers mois, passant de 32,6 millions d’utilisateurs actifs journaliers en 2020 à près de 50 millions dans 180 pays en 2021. Aujourd’hui, il en compte 230 millions et sa valorisation est d’environ 20 milliards de dollars.
À l’origine dédié aux enfants, Roblox se tourne peu à peu vers un public adulte et attire de plus en plus de marques : Gucci, Ralph Lauren, Nike, Chipotle, Kellogg’s, Samsung… La liste des opérations de communication et autres événements marketing ne cesse de s’allonger. L’espace Nikeland a ainsi attiré quelque 6,7 millions de personnes venues de 224 pays différents entre son lancement en novembre 2021 et mars 2022.
Pour la connexion, il n’y a pas de liaison directe avec le casque. Il faut passer par un ordinateur et le logiciel Oculus Link pour l’afficher dans le casque. Je dois ensuite créer mon avatar ou en choisir un déjà tout prêt. Si, du point de vue de l’immersion, je reste sur ma faim – le design de l’univers Roblox est pour le moins minimaliste –, au moins, il y a du monde avec qui discuter. Roblox incite d’ailleurs aux interactions et aux discussions. Milky_Way_56, SwanStone22 ou encore AwsomeKitten croisent mon chemin au fil des heures passées à me balader dans les différents univers. Difficile de savoir qui est réellement derrière chaque profil. Homme ou femme. Américain, Indien, Français. Jeune ou vieux… Chacun se crée son personnage. C’est tout le principe des métavers. Et c’est là toute la richesse de Roblox : une grande variété de mondes imaginaires et d’ambiances. D’ailleurs, quelque 7 millions de développeurs participeraient à faire de Roblox cette plateforme si diverse.
Pas question, en revanche, de m’installer : la spéculation immobilière de ces mondes virtuels est bien réelle et les prix sont absolument délirants. Bref, je suis une SDF du métavers…
Du yoga dans le métavers
On fait quoi dans le métavers, à part se balader au hasard ? Même si ces mondes parallèles sont encore balbutiants, il y a de quoi faire. Par exemple, la marque de yoga Alo (acronyme pour air, land, ocean, soit air, terre, océan) propose un « sanctuaire » dans Roblox. Sur cette île, il est possible de pratiquer la pleine conscience avec des séances de méditation guidée quotidiennes, mais aussi de suivre des cours de yoga gratuits. J’ai installé mon tapis de yoga « en vrai » dans mon salon et me retrouve, via le casque de réalité virtuelle Oculus Quest 2, dans un environnement des plus apaisants. Bain sonore et léger clapotis des vagues, je me rends au Alo Store pour prendre mon tapis de yoga – virtuel cette fois – avant de rejoindre la zone du cours.
Posture du triangle, de l’arbre… Une fois chaque position « trouvée » par le système selon le placement approximatif de son corps grâce aux manettes, il devient très facile de la reproduire d’une simple combinaison des doigts. On peut alors tricher allègrement si on le souhaite… Bilan ? Suivre une vidéo sur YouTube, des cours sur des services de fitness comme Apple Fitness+ ou encore une session avec une prof particulière en visio est tout aussi intéressant, mais disons que l’expérience a le mérite d’exister.
L’île Alo a déjà été visitée plus de 32 millions de fois depuis son lancement. Mais il faut dire que la marque propose aussi une quête pour trouver des indices qui permettent de gagner des cadeaux, bien réels, eux.
Recrutement, agent d’assurance, concerts, drops de marques de luxe…
Les marques et grands groupes multiplient les initiatives dans le métavers. Adidas Originals a déjà vendu des NFT en décembre 2021. Des jetons uniques, vendus chacun 0,2 éther, soit environ 700 euros au cours de l’époque, qui vont ensuite permettre d’avoir accès à des collections de vêtements « physiques ». Chez Axa, un agent d’assurance du nord de la France a choisi de proposer ses services aussi bien dans son agence physique à Bully-les-Mines (Pas-de-Calais) que dans le métavers Gather depuis avril dernier. Des artistes ont également tenté l’expérience du concert virtuel sur Horizon Worlds. Las, David Guetta, Young Thug ou encore The Chainsmoker n’ont pas attiré les foules. Sans doute faute d’utilisateurs suffisamment nombreux sur cette plateforme à l’époque (fin décembre 2021), car des concerts organisés sur le jeu vidéo Fortnite par le rappeur Travis Scott avaient, eux, rassemblé plusieurs millions de participants.
Alors, ce mois dans le métavers ? Dire que je suis restée sur ma faim est un doux euphémisme. Comme aux débuts de bon nombre de réseaux sociaux en leur temps, il faut accepter de passer un cap laborieux pour enfin percevoir l’essence de ces nouveaux univers et comprendre leur intérêt. En créant des liens avec d’autres avatars, en maîtrisant les codes et les usages, en profitant des bons plans proposés par les marques qui investissent massivement sur les métavers « pour voir », nul doute que la perception va évoluer. Peut-être même que je deviendrai accro, tout comme aujourd’hui je ne peux me passer d’Instagram ou de Twitter. Pour l’heure, je vais commencer par travailler le look de mon avatar… et quelque chose me dit que je vais avoir suffisamment de temps pour le peaufiner.