Enquête

La flemme au foyer ou le mythe de l’avènement des robots ménagers

04 septembre 2022
Par Florence Santrot
En 2021, Samsung a présenté Handy, un robot multi-tâches ménagères.
En 2021, Samsung a présenté Handy, un robot multi-tâches ménagères. ©Samsung

Préparer une omelette, plier le linge, nettoyer dans les recoins de la salle de bain… au-delà de l’aspirateur robot, pourra-t-on bientôt s’affranchir des tâches ménagères ? Les prototypes de robots domestiques se multiplient mais les verra-t-on un jour dans nos maisons ?

Un peu à la manière de la voiture volante, les ingénieurs nous promettent monts et merveilles pour nous libérer des tâches ménagères. Surtout les femmes, qui réalisent 72 % de ces besognes selon l’Insee. Mais, telle sœur Anne, nous ne voyons rien venir ou presque. Certes, l’aspirateur robot, comme le bien connu Roomba d’iRobot, connaît un certain succès. Mais, avec quelque 220 000 appareils de ce type vendus dans l’Hexagone par an, selon Gfk, cela reste modeste.

Seulement 3 % des Français seraient équipés d’un robot aspirateur. Il est vrai que, malgré des optimisations indéniables apportées au fil des années, l’on peut s’interroger sur l’efficacité réelle, entre obstacles pas toujours bien gérés et cartographie aléatoire des pièces à nettoyer. « Je trouvais cette idée géniale au début. Rentrer chez soi et trouver un sol nickel. Mais j’ai déchanté au bout de deux mois quand, un soir, j’ai découvert que mon chat avait décidé de faire ses besoins en dehors de la litière. Le robot avait étalé tout ça dans mon salon et la cuisine attenante. Depuis, je ne le mets en marche que si je peux le surveiller, ce qui limite son intérêt », témoigne Ali.

Combiner agilité et intelligence

Car, si les robots continuent à fasciner, et qu’on s’émeut des innovations aussi impressionnantes que dérangeantes de la société américaine Boston Dynamics – comme ses robots-chiens sans tête –, nos attentes sont encore loin d’être assouvies. Imprimer en 3D un cupcake, la technologie sait déjà le faire. Mais cuisiner des tomates farcies ou une omelette aux champignons avec l’assaisonnement adéquat, c’est une toute autre affaire. Non seulement le robot qui sera capable de cela devra être agile, mais aussi intelligent. Le combo magique.

Pour un robot, s’adapter est quelque chose d’extrêmement compliqué.

Nicolas Spatola
Chercheur en Sciences Cognitives et Sociales à Artimon

Au CES de Las Vegas en 2021, Samsung a présenté un robot multi-tâches pour le ménage. Baptisé Handy, il est doté d’un bras articulé et peut, en théorie du moins, aussi bien remplir le lave-vaisselle que servir un verre de vin ou ranger les courses dans les placards. Pour cela, le bot utilise l’intelligence artificielle pour reconnaître la forme et la matière des objets dont il se saisit. En effet, la force de préhension ne doit pas être la même s’il s’agit d’une assiette en céramique, d’une casserole en métal, d’un paquet de chips ou d’un moule à gâteau en silicone.

Des aides ménagères qui restent peu crédibles

Handy semble super efficace et pratique pour qui à la flemme de ramasser son linge sale, de trier les courses ou de desservir. Mais tout cela reste très théorique. Et ce n’est pas un hasard si Samsung n’a jamais dévoilé de date de lancement pour son robot ménager. Ni son prix, d’ailleurs. « Il reste encore de nombreux obstacles pour que cela devienne une réalité, assure Nicolas Spatola, chercheur en Sciences Cognitives et Sociales à Artimon. Toutes les maisons ne sont pas faites pareil, on n’utilise pas tous les mêmes ustensiles, etc. Or, pour un robot, s’adapter est quelque chose d’extrêmement compliqué. Faire rouler une voiture autonome sur une route au balisage standardisé est plus simple que de faire évoluer un robot ménager dans un environnement privé à l’aménagement totalement aléatoire. »

En outre, les robots sont souvent entraînés à ne faire qu’un seul type de tâche. Handy peut attraper et manipuler des objets. Mais il est incapable de passer l’aspirateur, de cuire un plat ou de nettoyer les recoins d’une douche. Cela signifie qu’il faudrait s’équiper d’un nouveau robot pour chaque tâche ménagère à effectuer. Sachant que leurs prix sont pour le moins rédhibitoires. Le prix de Handy n’a pas été dévoilé mais il est estimé à plus d’une dizaine de milliers d’euros. Un concurrent aux capacités assez similaires, le robot Aeolus, coûtera 20 000 dollars s’il est un jour commercialisé.

Ugo, un robot imaginé par le japonais Mira Robotics et qui peut étendre et plier le linge, a été annoncé à 16 000 dollars par son fabricant. Le Foldimate, le robot israélien qui ne fait qu’une chose, plier le linge, est commercialisé 900 euros. Le Yardroid, qui peut tondre la pelouse, arroser les plantes et verser du désherbant coûte environ 2 500 euros. S’il fallait cumuler tout cela – et bien plus encore –, la note serait non seulement salée, mais il faudrait, en outre, une habitation suffisamment vaste pour stocker tout ce petit monde. Difficile à imaginer dans un appartement en ville, par exemple.

Robots ménagers : la question de la responsabilité

Un autre obstacle se dresse sur le chemin de l’émergence des robots domestiques, et il est d’ordre légal cette fois. L’université britannique de Cambridge a par exemple exploré le domaine des bras articulés intelligents, capables de préparer à manger. Sous la houlette du chercheur Fumiya Iida, une équipe a développé des robots capables de couper, mélanger et cuire les aliments. Objectif : réaliser une omelette, soit un plat très simple, mais aussi compliqué à réussir pour obtenir la bonne cuisson et le bon assaisonnement. 

Si le défi est beau – comment faire en sorte qu’un robot « goûte » un plat pour en estimer la bonne salinité ou « scanne » un ingrédient pour reconnaître si c’est une pomme ou une orange par exemple –, reste la question de la responsabilité en cas d’accident. « Si le robot se rate et fait brûler une partie de l’appartement dans lequel il est, légalement, à qui revient la faute ?, interroge Nicolas Spatola. Ce sera la responsabilité de son propriétaire, du designer du robot, de l’ingénieur ? » Comme pour les véhicules autonomes, s’ils ont un accident ou renversent un piéton, il faut que les autorités tranchent cette question.

Autre point bloquant : tous ces robots nécessitent des composants bien spécifiques pour être fabriqués. « La question de la disponibilité des métaux est réelle. Comme pour les voitures électriques, les ordinateurs ou les smartphones, il faut du cuivre, du nickel, du germanium, du manganèse, du cobalt… Autant de métaux qui sont de plus en plus utilisés, mais qui n’existent qu’en quantité limitée sur Terre », rappelle Nicolas Spatola.

Un robot chez soi, vraiment ?

La question de l’adoption de ces robots reste, elle aussi, encore à prouver. Certes, l’idée est belle : ne plus avoir à ranger son linge, ses courses, débarrasser la table… Mais de la théorie à la pratique, le fossé est encore grand. « On le voit en Corée du Sud et au Japon, où les robots sont plus acceptés qu’ailleurs. On en voit dans les galeries marchandes, par exemple, mais cela reste très marginal dans les foyers. In fine, il y a un manque d’intérêt », souligne Nicolas Spatola.

Pour ce qui est de la gastronomie, là-bas comme en France, le sujet occupe une grande importance et le fait de cuisiner n’est pas perçu comme une tâche rébarbative par beaucoup d’habitants. « Et si on veut un plat rapide, plutôt que de s’équiper d’un robot ménager, il suffit de sortir de chez soi pour aller chercher à manger au supermarché ou au restaurant du coin, voire se faire livrer », note le chercheur. Surtout que le comportement humain est tel que, même avec un robot cuisinier chez soi qui pourrait préparer un plat à la demande, rien ne dit que les ingrédients au frigo vous tenteraient le soir venu…

Pour les tâches sans grande valeur ajoutée, comme faire le ménage ou étendre la dernière lessive, l’intérêt de sous-traiter ces tâches est plus grand. Mais, au regard du prix des robots et de leur flexibilité limitée, l’option de demander à un autre être humain de s’en occuper – un homme ou une femme de ménage – reste encore la plus simple. « C’est aussi une question de société : préfère-t-on tout robotiser ou donner des emplois à des personnes ? »

Des robots utiles dans certains domaines

Mais alors, faut-il oublier tous les robots domestiques ? Nicolas Spatola n’est pas de cet avis. « Il y a un véritable intérêt dans l’aide à la personne. Par exemple, au Japon, ils ont imaginé un robot à tête d’ourson baptisé Riba qui aide les personnes à mobilité réduite dans leurs déplacements à l’hôpital. Il s’occupe de les soutenir dans ce qu’on appelle les transitions, c’est-à-dire par exemple quand on se lève du lit pour aller se mettre dans un fauteuil non loin. Le manque de personnel hospitalier fait que ce n’est pas toujours simple à gérer car il faut du monde pour soulever un individu. Un robot, en revanche, peut s’occuper de ces manipulations compliquées, sous la supervision d’une personne, bien-sûr. »

De même, installer un robot qui peut pallier le manque d’auxiliaires de vie chez une personne âgée pour surveiller que tout se passe bien et alerter en cas de problème pourrait avoir une réelle utilité. Plus qu’un robot bipède qui irait nous chercher une bière fraîche au frigo quand on est affalé dans le canapé. Même si on en rêvera toujours.

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