Pourquoi Doctor Strange n’est pas qu’un simple super-héros ?

Doctor Strange est de retour depuis le 4 mai 2022 dans les salles de cinéma, et c’est un véritable carton. Le casting alléchant mené par Benedict Cumberbatch, l’intrigue sur le Multivers, et le tout orchestré par le réalisateur Sam Raimi ont attiré de nombreux spectateurs. Les fans les plus fidèles ont eu le plaisir de retrouver l’un des super-héros les plus populaires de l’écurie Marvel, six ans après son premier film solo.

En 2016, les studios de Kevin Feige avaient en effet choisi de replacer sur le devant de la scène le Sorcier Suprême, après que Doctor Strange a évolué en tant que protagoniste secondaire à travers les pages des comics. Un traitement étonnant, car quand on plonge dans son univers mystique, on se rend compte que les origines et l’histoire de cet ancien neurochirurgien new-yorkais ont été importantes au sein des éditions Marvel. Elles ont bousculé les codes du dessin et sont allées plus loin dans l’appréhension du super-héros classique. Preuve que Doctor Strange est un personnage unique en son genre.

Doctor Strange, super-héros : la recette classique de Marvel

Nous sommes en 1963 lorsque Doctor Strange fait ses premiers pas dans le comics Strange Tales#110 de Stan Lee et de Steve Ditko. À l’époque, le dessinateur américain souhaite offrir un personnage original, différent de ceux précédemment créés. Et son origin story, ainsi que l’évolution de son appréhension sont dignes des classiques Marvel. À l’origine, Stephen Strange est un brillant neurochirurgien aussi égoïste que cynique, qui, après un grave accident de voiture, va se trouver dans l’incapacité d’exercer son unique passion.

Délaissé par ses proches, il sombre lentement dans la dépression, avant de se tourner vers l’Ancien, un être prodigieux censé accomplir des miracles. Mais au lieu de guérir Strange, il lui enseigne les arts mystiques et la magie. Cette origin story a donné naissance à un véritable super-héros : Stephen Strange n’est plus un être humain égoïste, il devient le Sorcier Suprême de la dimension terrestre, investi d’un devoir de protection immense et d’un grand sens du sacrifice. Une évolution qui rappelle un certain Iron Man, arrivé quelques mois plus tôt dans les pages du comics Tales of Suspense #39.

Malgré plusieurs échecs, Doctor Strange est doté d’une grande résilience. S’il est aidé d’artefacts, tels que l’œil d’Agamotto ou la Cape de lévitation, ces objets mystiques ne sont finalement que des outils au service de sa force et de son intelligence, des qualités que l’on retrouve communément chez les super-héros.

Il est également doté de nombreux super-pouvoirs comme la télépathie, les projections astrales ou encore la téléportation, et dispose de pléthore de sorts face à ses ennemis. D’ailleurs, parlons-en ! Que serait Doctor Strange sans ses classiques ennemis jurés ? À travers les comics, le maître des arts mystiques a affronté plusieurs rivaux, mais ses némésis principales sont évidemment le Baron Mordo et la créature de la Dimension Noire, Dormammu.

Enfin, et bien que Doctor Strange ait souvent été considéré comme un personnage secondaire des comics, ça ne l’a pas empêché d’être le chef de file de plusieurs alliances héroïques, comme les Défenseurs, puis les Illuminati. Grâce à cette position, il s’illustre souvent comme un meneur et un héros quasi infaillible. Sur ce dernier point, on peut citer le tournoi des Vishanti, organisé par la trinité des entités cosmiques entre tous les magiciens de la Terre. Doctor Strange est sorti vainqueur de ce défi pour finalement endosser le titre de Sorcier Suprême.

L’empreinte de Steve Ditko, une caractéristique unique de Doctor Strange

Si Doctor Strange est imprégné des mythes classiques du super-héros dans l’histoire des comics, sa création entend bousculer les codes établis. Après avoir créé Spider-Man, Stan Lee et Steve Ditko imposent la magie et son mysticisme dans un univers Marvel jusqu’alors dominé par la science et la technologie. Cette intention va transpirer jusque dans les dessins inventifs, psychédéliques et inédits de Ditko.

Dans les premiers numéros, le dessinateur développe son art et son imagination afin de construire l’univers métaphysique et théologique de Doctor Strange. Ce travail, réunissant cubisme et cosmique, s’inspire aussi de la mythologie asiatique pour former autour du personnage un environnement inédit, bourré de références. Il offre un monde hallucinogène alors que la culture et la jeunesse découvrent au même moment les expériences psychédéliques et le mysticisme oriental. Sous le crayon de Ditko, les histoires de Doctor Strange s’imposent comme des bandes dessinées expérimentales, presque marginales, symbole de l’unicité du personnage.

Mais c’est aussi cette extravagance qui explique pourquoi, à ses débuts, le personnage n’a pas eu la popularité de Spider-Man ou des Quatre Fantastiques. Malgré son aspect inédit, les ventes des comics ont été difficiles, l’ambiguïté et la nouveauté insufflées par le personnage ne permettant pas à Doctor Strange d’acquérir la reconnaissance qu’il méritait. Ce n’est que dans les années 1970 que son potentiel a évolué, pour offrir sous la plume de Steve Englehart le personnage unique que l’on connaît aujourd’hui.

Le traitement unique d’un personnage sombre

Durant cette période, le maître des arts mystiques est sauvé de justesse des tréfonds de la banalité super-héroïque. Le héros était alors affublé d’un masque et d’une identité secrète. À partir de l’ère Englehart, la théologie est davantage mise en avant. De la lutte face à l’entité Shuma-Gorath à l’affrontement de la personnification cosmique de la mort, en passant par les origines de la création et le voyage rédempteur du Sorcier, on sent apparaître des innovations solides et des paraboles réfléchies dans les histoires de Doctor Strange.

Ces éléments ont apporté un côté sombre aux comics, et ce savant mélange entre scénario et dessin a davantage convaincu les lecteurs. À travers les bandes dessinées, les éditions Marvel voient en Stephen Strange une façon d’aborder également des thématiques encore peu illustrées jusqu’ici, comme la dépression et la solitude chez les super-héros. Cet aspect est notamment représenté à travers la vie amoureuse du héros, incapable d’entretenir une relation sérieuse, même avec son âme sœur Clea.

Par ailleurs, les écrivains et scénaristes cassent aussi les codes en introduisant pour la première fois le Multivers, les réalités alternatives, et les doubles maléfiques. Les aventures de Doctor Strange ont été déterminantes dans la construction que l’on connaît aujourd’hui de l’univers papier et cinématographique de la Maison des Idées.

Tout en dépoussiérant l’image du magicien – un statut qui le différencie des super-héros classiques –, les comics Marvel ont façonné tout au long de leurs publications un personnage unique qui se distingue des Avengers classiques. Tout d’abord car il n’appartient pas à cette alliance super-héroïque. Dans les BD, Doctor Strange prête main-forte à de nombreux super-héros et fonde plusieurs équipes, tout en faisant cavalier seul.

C’est un loup solitaire qui, bien qu’il soit attaché à la religiosité des rites et à la magie, n’hésite pas à enfreindre les règles pour le bien commun. On sent qu’il y a toujours une dualité en lui, une culpabilité – entre le passé et le présent, entre la réussite et les échecs – qu’il a du mal à dépasser, à la différence des autres super-héros.

Cette ambivalence associée au génie des dessins et aux thématiques aussi profondes que mystiques en font un personnage unique en son genre qui bouscule les codes traditionnels associés aux super-héros Marvel. Avec autant d’atouts, il n’est pas étonnant que ce personnage autrefois « secondaire » soit désormais au premier plan pour les studios Marvel. Grâce à lui, la Maison des Idées a su faire un pas de côté depuis 2016. Une intention qui se poursuit actuellement en salles avec Doctor Strange 2 et le Multivers de la Folie (2022), dont le succès n’a pas fini de témoigner de la gloire inédite du Sorcier Suprême.