Entretien

Rencontre avec Rob Legato, responsable des effets spéciaux de Titanic, Avatar et Le Roi lion

04 mars 2022
Par Erwan Chaffiot
Rencontre avec Rob Legato, responsable des effets spéciaux de Titanic, Avatar et Le Roi lion
©Pauline Maillet

Nous avons profité du Paris Images Digital Summit pour interroger ce véritable vétéran des effets spéciaux, trois fois oscarisé.

Rob Legato a accompagné des succès interplanétaires comme Harry Potter (Chris Columbus, 2001), Le Roi lion (Jon Favreau, 2019), Avatar (James Cameron, 2009) ou encore Titanic (James Cameron, 1998). Il est également un collaborateur régulier de Martin Scorsese pour lequel il a assuré les séquences les plus spectaculaires d’Aviator (2004), Le Loup de Wall Street (2013) ou encore Hugo Cabret (2011).

Au cours de sa longue carrière, qui a débuté avec la série Star Trek – Next Generation à la fin des années 1980, Rob Legato a su jongler aussi bien avec les trucages et les maquettes à l’ancienne qu’avec les innovations technologiques révolutionnaires comme la « production virtuelle » du Roi lion. Après avoir fait ses armes à la télévision, il prend son envol en 1994 comme superviseur des effets spéciaux avec deux projets de taille : Entretien avec un vampire de Neil Jordan, dans lequel il s’occupe d’un égorgement saisissant de réalisme sur la personne du vampire Lestat (Tom Cruise), et, l’année suivante, avec Apollo 13 de Ron Howard, dans lequel il fabrique l’incroyable séquence d’envol de la fusée Saturn V vers la Lune.

Le cinéma : un art technique

À la fin des années 1990, George Lucas confesse que, pour lui, « le cinéma est avant tout un art technologique », c’est-à-dire que son langage et sa grammaire sont motivés et inspirés par les moyens matériels dont il dispose au moment de sa création. Le space opera à la Star Wars n’aurait ainsi pas existé sans l’invention dans les années 1970 de la caméra pilotée par ordinateur, capable de filmer des éléments séparés pour les rassembler en un seul plan. À l’extrême inverse, la Nouvelle Vague française a été rendue possible grâce à l’invention des caméras Super 16, plus légères et maniables, offrant aux réalisateurs une plus grande liberté de mouvements et d’improvisation. « Le cinéma a besoin de machines pour s’exprimer, confirme Legato. Il vous faut de la technologie pour enregistrer l’image, le son, diffuser le film… À ce niveau, c’est un art intrinsèquement lié, qu’on le regrette ou non, à la perpétuelle évolution de ses outils techniques. »

Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011).©TDR

Une approche naturaliste

Si Rob Legato est au générique de grands films-univers comme Avatar ou Harry Potter, son goût personnel n’est ni dans la science-fiction, ni dans le fantastique : « Je n’ai pas aimé le cinéma en regardant Star Wars, mais en découvrant Le Parrain de Francis Ford Coppola. » Le paradoxe douloureux est qu’Hollywood fait souvent appel à ses services pour créer des effets voyants comme les tableaux mouvants d’Harry Potter, les plans spatiaux du vaisseau Enterprise ou encore l’expédition héroïque de Bruce Willis dans Armageddon. « Ce n’est vraiment pas ma tasse de thé en réalité. J’ai souffert sur Star Trek et Harry Potter, car les projets ne m’intéressaient absolument pas. Je préfère les effets qui ne se voient pas, comme dans Entretien avec un vampire ou les films de Martin Scorsese. » Cette philosophie n’est pas seulement due à une motivation artistique, mais elle est aussi révélatrice d’un état d’esprit personnel : « Je suis satisfait quand mon travail est invisible ! Pour moi, les effets spéciaux font partie intégrante de l’histoire et doivent se fondre avec les “vrais” éléments, comme les acteurs et les décors. Certains de mes collègues ont une approche totalement inverse. Pour eux, si leur travail dans une scène n’est pas omniprésent, ils sont déçus, voire vexés. »

Virtualiser la réalité

En 2019, Rob Legato a pu déployer son approche des effets visuels de manière brillante dans la nouvelle adaptation du Roi lion. Et n’allez surtout pas lui dire qu’il s’agit là d’un nouveau film d’animation ; car tout, jusqu’au moindre brin d’herbe, y a été créé informatiquement. « Je suis en désaccord avec ce point de vue. Pour preuve, une partie du public n’a pas aimé que l’on ne reprenne pas le langage cartoon de l’original. Son approche réaliste nous interdisait toute fantaisie de dessin animé. Cela aurait été totalement ridicule dans le contexte artistique de cette nouvelle version. » Tout le génie de Rob Legato est d’avoir su créer un environnement de langage cinématographique traditionnel afin de filmer des éléments totalement numériques : cette technique s’appelle la virtual production (la production virtuelle). Le défi consistait à donner une empreinte culturelle de cinéma traditionnel à la réalisation. « Lorsque vous créez une image numérique, celle-ci est dépourvue de toute aspérité et de tout défaut. Elle ne vit pas. » Rob Legato et ses équipes ont donné les outils au réalisateur Jon Favreau pour qu’il puisse tourner les aventures virtuelles de Simba avec une machinerie de cinéma classique. « Il n’y avait pas de caméra, mais des capteurs sur le plateau. À part cela, nous avons utilisé des grues, des dollys, des travellings… Les mouvements de caméra étaient recréés en temps réel dans nos décors numériques. » Le Roi lion s’est donc tourné dans un studio vide, seulement occupé par la machinerie de tournage, des ordinateurs surpuissants et des écrans, pour que le réalisateur et son directeur de la photographie composent leurs plans. On est effectivement davantage dans une démarche de tournage classique que dans un film d’animation. « Cette technologie nous a permis d’imiter le cinéma avec ses changements de focales, ses petits mouvements de dolly, ses flous en arrière-plan. Ils n’ont pas été recréés artificiellement par un logiciel, ils ont été filmés en direct. La seule différence est que l’objectif filmait du virtuel et non du réel. En d’autres termes : nous nous sommes servi du numérique pour créer de l’analogique. »

La longue carrière de Rob Legato a donc été motivée par un fantasme ultime : que les effets spéciaux trouvent leur juste place dans la narration et la grammaire filmique. « Tout est une affaire d’intelligence, conclut-il. Si vous êtes face à des producteurs et un réalisateur idiots et sans goût, alors les effets spéciaux seront criards et envahissants. Certains veulent en mettre toujours plus à l’écran, que ce soit pour leur ego personnel ou pour des motivations “bling bling”. Cette manière de penser donne toujours des résultats catastrophiques ! » En d’autres termes, le Graal de Rob Legato serait de transformer les effets spéciaux en effets normaux.

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