Misant davantage sur l’utilisation astucieuse de technologies éprouvées que sur des fonctionnalités spectaculaires, Nintendo a cultivé depuis les années 1990 l’image d’un constructeur très différent de ses concurrents.
Il y a quelques jours, Nintendo a lancé sa console Switch 2 avec un succès commercial tout simplement spectaculaire qui a dérouté une partie des observateurs. En effet, vue de l’extérieur, la machine du constructeur japonais ne fait pas vraiment rêver.
Des performances correctes sans êtres hors normes, un concept très proche de la machine précédente, un prix un peu plus élevé que prévu et un line-up de lancement plutôt faible, le seul jeu majeur disponible au lancement étant Mario Kart World. Et pourtant, la machine s’est écoulée à près de 4 millions d’exemplaires en moins d’une semaine. Et si la raison de ce succès était justement… une certaine forme d’absence d’innovation spectaculaire ?
Une approche fonctionnelle plus que technologique
Comme le souligne un article récent du site Kotaku, la Switch 2… fonctionne. Pas de grosse mise à jour à effectuer, une interface sobre, mais fonctionnelle, pas besoin de se connecter à divers services tiers, et une facilité déconcertante à lancer les jeux insérés dans la machine. Pas d’intelligence artificielle, pas de chatbot, des fonctionnalités en ligne très pauvres, mais la possibilité de jouer rapidement à des jeux vidéo.
Cela pourrait sembler évident, mais cela se produit dans un environnement dans lequel la plupart des concurrents de Nintendo sont en train de suivre un chemin inverse. Cela ne veut pas dire que la console est dénuée de toute forme d’innovation (comme ici le fait de pouvoir prêter ses cartouches virtuelles), mais ces dernières demeurent assez peu spectaculaires.
Cette sobriété fonctionnelle n’est pas une nouveauté pour l’entreprise de Kyoto, qui a renoncé dès les années 1990 à se placer en concurrence directe avec les prouesses techniques de ses concurrents, particulièrement Sony et Microsoft… Pour privilégier l’utilisation à coût relativement modeste de technologies déjà amorties. C’est la fameuse « pensée latérale des technologies désuètes », promue en interne par l’ingénieur Gunpei Yokoi au moment de la conception de la Game Boy et devenue au fil du temps une véritable culture d’entreprise.

L’idée centrale de cette philosophie, qui a été largement étudiée par la recherche scientifique, consiste à utiliser de manière innovante et ludique des manières de jouer ou de mettre en scène les jeux sans faire exploser les coûts de design. L’exemple phare est sans conteste le motion gaming qui a fait le succès de la Wii en 2007, les manettes de la machine utilisant un accéléromètre relativement simple et peu coûteux pour permettre une reconnaissance des mouvements. Ou, dix ans plus tard, en développant l’idée d’une console hybride, moitié mobile, moitié console de salon, avec la Switch, en s’appuyant sur des technologies et des processeurs peu onéreux. L’idée centrale étant de privilégier le confort de jeu et l’expérience du joueur plutôt que la course au photoréalisme. Une stratégie souvent couronnée de succès.
Des machines singulières et un système relativement hermétique
Presque toutes les machines de Nintendo depuis 30 ans ont suivi cette philosophie de design : la Nintendo 64 et son support cartouche à l’époque où ces dernières étaient remplacées par des CD, la DS et la 3DS ciblant un public jeune et mobile en maintenant un prix relativement modeste sur les jeux, la Wii avec le côté familial du motion gaming, la Switch et son expérience hybride… Toutes ces consoles se sont radicalement éloignées de l’architecture caractérisant un PC ou une console de salon plus classique.

La première conséquence principale de cette approche est que Nintendo est parvenu à occuper une place unique dans l’écosystème du gaming mondial. Des machines avec un high concept, des licences extrêmement bien identifiées (Mario, Kirby, Donkey Kong…) et l’occupation de secteurs complètement abandonnés par la concurrence, comme les consoles portables. Une philosophie que l’on retrouve au cœur de la Switch 2, avec une rétrocompatibilité quasi complète du catalogue avec la génération précédente et des fonctionnalités avancées de contrôle parental.
En revanche, la seconde conséquence directe de cette approche est une relative difficulté pour les gros développeurs à porter leurs jeux sur les machines de Nintendo. Si la Switch et la Switch 2 possèdent un catalogue colossal de jeux indépendants, les titres des studios majeurs ne se bousculent pas au portillon. Les raisons en sont multiples, mais tiennent en partie aux limitations techniques de la machine… Ainsi qu’à ces fameuses « technologies désuètes ». Contrôleurs différents, gestion de la batterie, nécessité de proposer un mode « docké » et un mode « mobile » : les contraintes sont nombreuses. C’est ce qui peut parfois donner l’idée d’un environnement proposant avant tout des jeux issus de licences japonaises… Voire du catalogue de Nintendo uniquement.
Beaucoup de succès et quelques échecs
Ces contraintes de logithèque sont en partie compensées par le fait que Nintendo demeure le seul constructeur à ne pas sortir ses propres exclusivités sur les systèmes concurrents. Il peut donc tirer profit de licences extrêmement populaires. Le succès mondial de la Nintendo Switch s’explique ainsi en partie par la présence sur la machine de titres issus des franchises Zelda, Mario ou encore Pokémon, qui comptent parmi les poids lourds de la pop culture. Et ces produits phares continuent à bénéficier d’une image mélangeant innovation, fun et approche familiale et inclusive du jeu vidéo.

Cela ne doit pas faire oublier, néanmoins, que la fameuse « pensée latérale » a également occasionnellement manqué de précipiter le constructeur droit dans le mur. On l’a un peu oublié depuis les 150 millions de Nintendo Switch écoulées, mais la machine précédente de Nintendo, la Wii U, avait été un lourd échec. En particulier à cause d’un concept pas assez abouti (le côté hybride de la Switch était déjà là, mais était assez contraignant et maladroit) et de lourdes erreurs marketing peinant à populariser la machine auprès des consommateurs.
On peut aussi penser à la catastrophe que fut en son temps le Virtual Boy, une machine de jeu en réalité virtuelle sortie en 1995… Beaucoup trop tôt pour que la technologie soit au point et ne cause pas une méchante cinétose à ses utilisateurs !
De ce point de vue, l’approche choisie par Nintendo pour sa seconde Switch peut sembler relativement conservatrice, comme l’avait été la transition entre la DS et la 3DS. Néanmoins, les grands principes de la pensée latérale sont toujours là, puisque la machine ajoute pas mal de fonctionnalités depuis longtemps éprouvées par les autres constructeurs en y mettant sa patte propre. On compte ainsi le fameux prêt de cartouches virtuelles, mais aussi la gestion de la 4k, la possibilité d’utiliser la manette comme une souris sans acheter d’accessoire supplémentaire, ou encore l’ajout d’un disque dur boosté et de temps de chargement réduits.
Des changements subtils en surface, mais qui augmentent assez radicalement le confort de jeu des utilisateurs. Et, au vu des premiers retours sur la machine, il semble que cette approche sobre, mais efficace, continue de garantir un succès confortable au plus singulier des producteurs de consoles.