
Pour en finir avec le tabou de la santé mentale, plusieurs bandes dessinées insufflent une libération de la parole.
Anxiété, TDAH, trouble de la personnalité limite, troubles du comportement alimentaire, bipolarité… Le spectre de la maladie mentale est vaste, mais reste méconnu. Pour libérer la parole et briser un tabou, des dessinateurs et dessinatrices de bandes dessinées racontent leurs troubles avec franchise, tendresse et autodérision.
| Ça va aller, mademoiselle, de Blandine Denis
« Asile », « maison de fous »… Alors que l’hôpital psychiatrique suscite les fantasmes les plus délirants, Blandine Denis nous en ouvre les portes dans sa nouvelle bande dessinée Ça va aller, mademoiselle (éditions Lapin). Dans cet album aux allures de carnet de bord, elle raconte pourquoi, submergée par la dépression et ses addictions, elle a choisi d’être internée pour s’en sortir.
Munie d’un simple stylo bille, sa particularité graphique qu’elle perfectionne de BD en BD, elle documente son enfermement et sa nouvelle routine : le pyjama bleu porté par tous les patients, les repas à la cantine, les activités proposées. Elle dévoile sans détour son diagnostic, les évolutions de son traitement et ses effets secondaires, expose ses fêlures personnelles et celles de ses camarades qui lui partagent leur histoire.
Loin des clichés, l’hôpital psychiatrique se révèle un espace où une solidarité quasi instantanée se noue entre internés. Qu’est-ce qu’un « fou » ? Ça veut dire quoi être « normal » ? Blandine Denis pulvérise les cases imposées par la société et celles de la BD traditionnelle, qu’elle réinvente à coups de stylo quatre couleurs.
| Se rétablir, de Lisa Mandel
Après HP et Une année exemplaire, la dessinatrice Lisa Mandel poursuit sa grande fresque sur la santé mentale en bande dessinée avec Se rétablir (Éditions Exemplaire). Il faut dire que son histoire familiale est marquée par les troubles psychiques : une tante qui entend des voix, un oncle qui subit un traitement aux électrochocs et des arrières-grands-parents qui se sont suicidés. Si le tableau est de premier abord plutôt sombre, Lisa Mandel, elle, en extrait le positif et parvient à nous convaincre qu’une vie épanouie avec la maladie est possible. Ainsi, la dessinatrice évite l’écueil de l’injonction à la guérison et défend plutôt l’idée du rétablissement.
À travers quatre personnages aux troubles psychiques et mentaux différents, elle esquisse des pistes pour y parvenir. Tous alternent entre crises et périodes d’apaisement. Tous sont éprouvés par l’errance médicale avant l’annonce du diagnostic, une acceptation difficile pour certains, libératrice pour d’autres. Sans embellir la réalité, la dessinatrice s’appuie sur une documentation foisonnante pour en finir avec la méconnaissance des troubles et maladies mentales, sans pour autant faire l’impasse sur les vannes qui rythment ses planches. Un tour de force dont seule Lisa Mandel a le secret.
| L’envers du divan ! Dans la vie de ma psy, de Delphine Py et Stomie Busy
Lorsqu’on parle de santé mentale, on pense aux patients. Mais qu’en est-il des soignants ? Dans L’envers du divan ! Dans la vie de ma psy (Leduc), la psychologue Delphine Py lève le voile sur la réalité de sa profession. Loin de l’image du psy impassible et un peu barbant, l’autrice dégomme tous les clichés. Le but ? Démystifier l’expérience : le déroulé de la première séance, l’atmosphère de la salle d’attente, le choix de la disposition des meubles dans son cabinet, la relation patient-psy, la création d’un environnement d’écoute bienveillant… La responsabilité est grande : avant de consulter psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste ou psychopraticien, le psychologue est le premier expert consulté dans la longue chaîne de la santé mentale.
Une BD ludique, généreuse en conseils, qui colle à la douceur du coup de crayon de la dessinatrice Juliette Mercier, animatrice du compte Instagram Stomie Busy sur lequel elle illustre son quotidien avec la maladie de Crohn. Main dans la main avec le lecteur, Delphine Py éclaire les parts d’ombre de la psychothérapie, du côté du patient comme de celui du professionnel. Parce qu’une libération de la parole doit être accompagnée d’une libération de l’écoute.
| Je suis leur silence, de Jordi Lafebre
Parler de santé mentale en BD peut aussi s’imaginer par le biais d’un polar haletant ! C’est le pari réussi du dessinateur espagnol Jordi Lafebre dans Je suis leur silence (Dargaud). Les rôles s’inversent pour Eva, une jeune psychiatre fantasque et fonceuse, qui se retrouve sur le divan du docteur Llull après que sa licence d’exercer vient de lui être retirée. « Pouvez-vous me raconter votre semaine ? », l’interroge-t-il.
S’ouvre alors un récit rocambolesque rythmé par des flashbacks. Sur la piste d’un complot familial obscur et d’un possible meurtre, la psychiatre s’improvise enquêtrice… et bien sûr ça tourne vinaigre ! À mesure qu’Eva enquête, sa schizophrénie se dévoile peu à peu. Un polar décalé à la Sherlock Holmes dans la ville solaire et colorée de Barcelone, sur fond de questionnement sur la santé mentale. Une lecture euphorisante.
| Ma vie en TOC, de Jason Adam Katzenstein
Depuis plus de dix ans, Jason Adam Katzenstein, alias J.A.K., croque avec humour les absurdités de notre société dans ses dessins, publiés notamment dans le magazine The New Yorker. Mais la palette du dessinateur s’étend aussi en bande dessinée. Envahi de « tocs » (troubles obsessionnels compulsifs) depuis son enfance, le dessinateur se livre dans Ma vie en TOC (Dunod Graphic).
La couleur des gobelets qui influence la tournure des prochaines 24 heures, le ramassage frénétique des ordures dans la rue et une obsession pour l’éradication des germes et de la saleté… Détails anodins pour certains, ils sont déclencheurs d’une angoisse immense chez Jason, qui ne peut s’empêcher de succomber à ses troubles obsessionnels compulsifs. Ça lui a longtemps gâché la vie ! Ses relations amicales, amoureuses et professionnelles sont conditionnées par ses obsessions, ce qui le mène parfois dans des situations plus ou moins loufoques… L’errance médicale n’arrange rien. Sa chance ? Depuis petit, le dessin est son échappatoire, une manière de reprendre le contrôle, la parfaite catharsis. Avec cette BD, le dessinateur troque ses dessins humoristiques pour un récit intime, franc, plein d’espoir, mais qui ne manque pas d’autodérision.