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Black Box Diaries : le documentaire #MeToo qui dérange le Japon arrive au cinéma

12 mars 2025
Par Sarah Dupont
“Black Box Diaries” sera diffusé dans les cinémas français à partir du 12 mars.
“Black Box Diaries” sera diffusé dans les cinémas français à partir du 12 mars. ©HanasH Film/BBC

Victime de viol, la japonaise Shiori Itō a osé briser l’omerta. Son documentaire, Black Box Diaries, retrace son combat face à un système qui protège les agresseurs et réduit les victimes au silence. Salué à l’international, le film reste pourtant censuré dans son pays d’origine.

Un cri de vérité. Le 12 mars, Black Box Diaries, documentaire réalisé par la journaliste Shiori Itō, arrive dans les salles de cinéma françaises. Ce film d’1h45 revient sur l’affaire qui a bouleversé un pays et révélé les failles profondes de son système judiciaire face aux violences sexuelles.

En 2015, stagiaire, Itō rencontre Noriyuki Yamaguchi, un journaliste influent et proche du pouvoir, pour discuter d’opportunités professionnelles. Elle se réveille le lendemain dans une chambre d’hôtel, violée. L’enquête, entravée par des pressions politiques, ne débouche sur aucune poursuite. C’est par la parole publique qu’elle a décidé d’obtenir justice, devenant l’une des premières figures du #MeToo japonais.

Bande-annonce de Black Box Diaries.

Une enquête accablante

Le film, prolongement de son livre, Black Box, publié en 2017, s’appuie sur des archives personnelles, des enregistrements et des images. Il adopte une approche immersive, mêlant journal intime, confidences face caméra et séquences d’investigation. Itō y retrace son parcours judiciaire, marqué par des humiliations répétées. « Des policiers l’ont obligée à rejouer l’incident avec un mannequin masculin », rapporte The Guardian comme exemple.

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Black Box Diaries ne se contente pas de raconter : il démontre. On y découvre des preuves accablantes, comme les images de vidéosurveillance montrant Yamaguchi traînant Itō inconsciente dans un hôtel. L’enquête met aussi en lumière les complicités en coulisses. L’homme, proche du Premier ministre de l’époque Shinzō Abe, a bénéficié d’une protection manifeste. En 2017, l’ancien chef par intérim de la police métropolitaine de Tokyo, Itaru Nakamura, a admis dans une interview avoir annulé son arrestation.

Un documentaire censuré

Présenté à Sundance en 2024, puis nommé aux Oscars, le film est unanimement salué par la critique. Télérama évoque un « documentaire d’une grande probité sur un combat incertain ». La critique de The Guardian ne tarit pas d’éloges et rend hommage à Itō, la décrivant comme « une personnalité remarquable : une journaliste intelligente et courageuse qui a peut-être changé le cours de l’histoire japonaise ».

Black Box Diaries©2023 Star Sands Cineric Creative Hanashi Films

Pourtant, au Japon, Black Box Diaries demeure invisible. Aucun diffuseur ne veut le prendre en charge, aucun cinéma ne le programme. Itō elle-même peine à trouver une explication officielle. « Nous rencontrons des difficultés, confiait-elle au quotidien britannique. Ce n’est pas une grande surprise, mais c’est regrettable. Le sujet reste politiquement sensible. » Une censure tacite qui s’explique par le maintien de Yamaguchi dans les sphères influentes et la frilosité d’une industrie japonaise réticente à traiter les scandales liés au pouvoir.

Un combat qui a marqué l’histoire

Malgré cette invisibilisation, l’affaire a secoué le pays. En 2019, Yamaguchi est condamné à lui verser 3,3 millions de yens (environ 20 300 euros) en dommages et intérêts dans le cadre d’une action civile – une victoire symbolique, mais loin d’une condamnation pénale. Son témoignage a aussi entraîné des réformes législatives : l’âge du consentement est passé de 13 à 16 ans et la définition du viol a été élargie à « tout rapport non consenti », une avancée majeure dans un pays où les victimes doivent encore prouver qu’elles se sont débattues pour être reconnues comme telles.

Pour Itō, le prix de ce combat reste immense. Harcelée en ligne, contrainte de s’exiler, elle vit aujourd’hui à Londres. « J’ai 35 ans maintenant et j’ai passé la majeure partie de ma jeunesse à gérer cela, expliquait-elle au Guardian. Je ne connais rien d’autre – je ne sais pas à quoi aurait ressemblé une ‘vie normale’ à la fin de ma vingtaine. » Un parcours qui rappelle que, malgré les avancées, la honte reste trop souvent du côté des victimes.

Une lutte mondiale

Quelques jours après la Journée internationale des droits des femmes, le combat de Shiori Itō trouve un écho dans celui de Judith Godrèche. Invitée au festival Rendez-Vous with French Cinema à New York, l’actrice française a dénoncé l’inaction des pouvoirs publics face aux violences sexuelles. En février 2024, elle a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des agressions sexuelles qu’elle aurait subies dans les années 1980, alors qu’elle était encore mineure.

« En France, à chaque fois qu’une porte s’ouvre et qu’il y a un élan, elle se referme (…). On a l’impression de devoir tout recommencer. Parce qu’au final, nous luttons contre le patriarcat, et nous luttons contre le pouvoir », a-t-elle déclaré, soulignant l’épuisement de celles qui osent briser le silence.

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