À grands coups d’expositions, les femmes artistes jaillissent des méandres de l’histoire de l’art où on les avait longtemps confinées. Ce mois-ci, cinq expositions participent à cette mouvance de redécouverte de leurs œuvres.
Les femmes artistes prennent leur revanche. Après avoir été effacées de l’histoire de l’art, elles sortent progressivement des réserves et des collections privées pour s’exposer dans les musées du monde entier. Les accrochages 100 % féminins se multiplient : Elles font l’abstraction au Centre Pompidou en 2021, Pionnières au musée du Luxembourg en 2022 ou encore Surréalisme au féminin au musée de Montmartre en 2023. Des rétrospectives, aussi : les peintres Georgia O’Keeffe, exposée au Centre Pompidou en 2021, ou Rosa Bonheur, à l’occasion de son bicentenaire en 2023 lors d’une double exposition à Bordeaux et Paris, pour n’en citer que quelques-unes.
Simple effet de mode ? « Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas un phénomène nouveau. Cela fait 50 ans que les historiens et historiennes de l’art travaillent à déterrer les noms et les histoires des artistes femmes “oubliées” et à interroger les raisons de leur invisibilisation », rectifie Matylda Taszycka, responsable des programmes scientifiques de l’association Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) qui œuvre à la réhabilitation des femmes dans l’histoire de l’art.
Elle poursuit : « Dès les années 1980 aux États-Unis, des expositions cherchaient à présenter une autre vision de cette histoire. En 2009, nouvelle percée : le projet Elles au Centre Pompidou, porté par la fondatrice d’Aware, Camille Morineau, avait permis de valoriser les fonds du centre d’art avec un accrochage 100 % féminin. Mais la prise de conscience des institutions culturelles prend du temps… »
Si ce travail de fond commence à peine à porter ses fruits, les femmes artistes restent minoritaires dans les collections permanentes des musées, le véritable sésame de la reconnaissance. Au Louvre, sur les 35 000 œuvres exposées, seulement une trentaine sont signées par des femmes. « Les collections des musées sont des lieux de patrimonialisation, estime Matylda Taszycka. Ces expositions qui montrent exclusivement des artistes femmes sont importantes et encore nécessaires. Cependant, il ne faut pas que les institutions qui les organisent s’en servent comme d’un étendard pour ne pas engager un véritable travail de recherche sur ces femmes. »
Ces expositions se multiplient et elles attirent aussi massivement le public, curieux de découvrir ces artistes. La preuve : l’exposition consacrée à Rosa Bonheur en 2023 a attiré plus de 400 000 visiteurs. Cet engouement pour ces artistes « oubliées » serait aussi l’opportunité de poser un nouveau regard sur l’histoire de l’art : « La “redécouverte” de ces artistes et de leurs contributions au marché de l’art à toutes les époques pousse les chercheurs et chercheuses à revoir le récit collectif établi, à étudier les courants différemment et peut-être même à en découvrir de nouveaux. » Au mois de novembre, la programmation des différents musées illustre le phénomène à l’œuvre. On vous conseille cinq expositions qui participent à cette minirévolution.
| Harriet Backer – 1845-1932. La musique des couleurs, au musée d’Orsay
Des femmes, des pianos, des salons cosy et des paysages champêtres… La peinture intimiste et délicate d’Harriet Backer est à découvrir jusqu’au 12 janvier 2025 au musée d’Orsay, à Paris. Cette peintre norvégienne du début du XIXe siècle est représentative de cette peinture venue du Nord : un travail fin et exquis sur la lumière et une palette de couleurs froides, mais puissantes.
Dans ses tableaux, beaucoup de femmes, celles de sa famille. Issue d’une fratrie de quatre sœurs, dont la pianiste Agathe Backer Grøndahl, Harriet Backer puise l’inspiration dans cette bulle féminine et créative. Pour retranscrire cette effervescence dans laquelle la peintre s’est mue tout au long de sa vie, les compositions de sa sœur accompagnent la déambulation dans l’exposition. Une immersion sensible dans le quotidien de cette peintre, l’une des plus reconnues dans son pays d’origine, et qui nous parvient enfin en France.
| Chantal Akerman. Travelling, au Jeu de paume
De Bruxelles, sa ville de naissance, à Paris, en passant par New York ou encore le Mexique, Chantal Akerman a documenté les tourments des vies ordinaires. Le musée du Jeu de paume à Paris retrace l’itinéraire créatif de la cinéaste dans une courte exposition, visible jusqu’au 19 janvier 2025. Le parcours s’ouvre sur une installation qui nous ramène un demi-siècle en arrière : sept postes de télévision diffusent simultanément une scène du film Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975), avec l’actrice Delphine Seyrig en veuve et mère d’un adolescent.
Dans la dernière salle de l’exposition, pas d’écran, mais une multitude d’archives tirées de ses différents films et tournages : scénarios, photos, notes d’intention et coupures de presse laissées à disposition des visiteurs. Cette vue d’ensemble sur son travail est une bonne entrée en matière pour qui voudrait découvrir la cinéaste et son univers marqué par l’engagement féministe.
| Janine Niépce, regard sur les femmes et le travail, à la Cité de l’Économie
Si son nom reste trop peu connu du grand public, la photographe Janine Niépce a marqué le courant humaniste. À une époque où les femmes devaient jouer des coudes pour se faire une place comme photoreporter, elle est parvenue à imaginer une œuvre engagée, poignante et sensible. Jusqu’au 5 janvier 2025, la Cité de l’Économie (Citéco), à Paris, propose une belle mise en lumière de son travail au prisme de la condition féminine au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
Sur ses photos : des femmes au foyer, préposées aux tâches ménagères ou le bébé dans les bras. Janine Niépce lève le voile sur le travail gratuit fourni par les femmes depuis toujours, assignées à ce rôle et à la sphère de l’intime. Mais la photographe témoigne également du tournant des Trente Glorieuses et des luttes menées par les femmes pour s’émanciper. Janine Niépce se faufile parmi les étudiantes en chimie, sur les chantiers aux côtés des femmes ingénieures ou même d’une copilote chez Air France. Une courte exposition, mais qui vaut le détour !
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| Elles. Les élèves de Jean-Jacques Henner, au musée Jean-Jacques Henner
La sororité est à l’honneur dans cette exposition ! Elles. Les élèves de Jean-Jacques Henner, imaginée par le musée Jean-Jacques Henner, à Paris, recrée l’atelier féminin dirigé par le peintre qui a donné son nom au musée. À la fin du XIXe siècle, les femmes restent exclues des formations artistiques reconnues. Mais cela ne freine en rien leur créativité.
Elles empruntent des chemins alternatifs et sont nombreuses à suivre les enseignements de Jean-Jacques Henner. À travers 80 tableaux exposés, 17 noms d’artistes oubliées sont ainsi exhumés : Louise Abbéma, Marie Petiet, Marie Cayron-Vasselon ou encore Ida Deurbergue. Une passionnante exposition à découvrir à partir du 28 novembre 2024 et jusqu’au 28 avril 2025.
| Nadia Léger. Une femme d’avant-garde, au musée Maillol
Les peintures saisissantes et engagées de Nadia Léger s’exposent au musée Maillol jusqu’au 23 mars 2025. Au fil de cette grande rétrospective, 150 œuvres ouvrent une fenêtre sur l’univers de la peintre. À travers ses toiles, on découvre le courant du suprématisme, aux couleurs vives et contrastées, mais également le réalisme socialiste, outil de propagande communiste.
Au cours de sa vie, Nadia Léger fut également éditrice de revues, résistante, bâtisseuse de musées et militante communiste. Et cela se retrouve dans son œuvre, habitée par une attention portée sur le monde et ses inégalités. Cette exposition rend hommage à cet engagement total et propose un beau voyage initiatique artistique, de la Russie à Paris, à la découverte de Nadia Léger.