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La littérature à l’épreuve du réel, nouvelle obsession française

16 octobre 2024
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Mathieu PALAIN
Mathieu PALAIN ©S.Remael pour les éditions L’Iconoclaste

Chronique d’une littérature émergente qui se construit dans la confrontation au monde.

Quand la réalité dépasse la fiction. Un vieil adage qui ne s’est jamais aussi mieux porté qu’aujourd’hui alors que le monde entier est devenu le théâtre d’une absurdité généralisée, que l’humanité semble avoir perdu pied et se surpasse chaque jour un peu plus pour proposer une nouvelle folie qu’on aurait eu bien du mal à imaginer. Dans ce chaos ambiant, la littérature s’adapte et le roman mute. À l’imaginaire, nombreux sont les auteurs qui préfèrent désormais le réel comme matière première à la construction de leur récit.

Appelez ça roman vrai, littérature du réel ou même non-fiction narrative… Dans la lignée du Nouveau Journalisme américain, de ses apôtres comme Tom Wolfe, Truman Capote ou Norman Mailer et de ses héritiers hexagonaux, au premier rang desquels Florence Aubenas et Emmanuel Carrère, de nombreux auteurs français et étrangers se construisent aujourd’hui à l’épreuve d’histoires vraies dans lesquelles ils se mettent en scène. Comment imbriquer fiction et réalité ? Comment être à la fois auteur et personnage ? Coup de projecteur sur cinq livres de la rentrée littéraire qui symbolise cette mutation.

| Les Hommes manquent de courage, de Mathieu Palain

Le costume de romancier du réel, celui qui s’empare des histoires des autres pour en faire le terreau d’un récit universel, est parfois lourd à porter. Parce qu’il fait de vous le réceptacle idéal de confessions inavouables et inavouées. Depuis longtemps déjà, Mathieu Palain mobilise sa plume de journaliste et d’écrivain pour un combat acharné : déterrer les racines profondes de la violence masculine. On se souvient du podcast Des hommes violents (2019), relatant une immersion aux côtés de 12 condamnés pour violences conjugales, contraints par la justice de participer à un groupe de parole, une enquête transformée en livre dans Nos pères, nos frères, nos amis.

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Peu de temps après la diffusion de son récit, il est contacté par une auditrice : « Est-ce que c’est vous le Mathieu Palain du podcast ? » Leur discussion durera un an. Un an pour qu’elle lui raconte une histoire d’abus, de traumatisme et de filiation. Mère célibataire, ancienne femme battue, Jessie ne parvient plus à juguler la rage qui habite son fils Marco, ado incontrôlable et impulsif, réfugié dans la drogue. Et un jour, le drame survient. Au cours d’une soirée, il reproduit ce que le système lui a appris, ce qu’on ne lui a pas donné, il l’a pris. Leur existence bascule, leur relation aussi. Ils embarquent pour une virée où la parole se libère. Un dialogue à cœur, à corps et à cri dans l’espoir d’en finir avec cette longue nuit.

| La Désinvolture est une bien belle chose, de Philipe Jaenada

En 1953, Jacqueline Harispe, dite Kaki, 20 ans, tombe de la fenêtre d’un hôtel miteux de Montparnasse. Il y a évidemment un mystère à élucider dans le nouveau livre de Philippe Jaenada. Après tout, on a affaire au pape du true crime à la française. Voilà en tout cas comment depuis La Petite femelle (2015) et surtout La Serpe, Prix Femina 2017, on aime à décrire la partition jouée par le romancier dans l’orchestre littéraire hexagonal. Partir d’un fait divers morbide, non élucidé, qui interroge la société elle-même ; se mettre en scène tout au long de l’enquête, s’autoriser des parenthèses personnelles et des divagations intimes au cœur de l’histoire ; être à la fois auteur et acteur du récit : voilà la recette d’un bon Jaenada.

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Mais son œuvre est bien plus qu’un catalogue de morts sanglantes. Elle propose une radioscopie minutieuse, obsessionnelle, d’une époque qui, sous couvert de croissance galopante, dissimule son lot de secrets et de victimes silencieuses : les malnommées Trente Glorieuses. La Désinvolture est une bien belle chose est une immersion hypnotique dans le Saint-Germain-des-Prés d’Après-Guerre, refuge d’une jeunesse perdue dont Kaki est l’incarnation tragique, une génération sacrifiée qui doit réapprendre à vivre et à aimer.

| Le Voleur d’art, de Michael Finkel

Longtemps journaliste émérite pour le New York Times avant d’être accusé en 2002 d’avoir inventé le personnage d’un de ses reportages – illustration parfaite de la frontière poreuse qui existe désormais entre réalité et fiction, entre journaliste et romancier –, Michael Finkel a pris sa revanche en devenant ces dernières années l’une des plumes les plus passionnantes de la non-fiction ou de ce qu’on appelle plus vulgairement le reportage littéraire.

True Story, publié en 2006 et adapté au cinéma en 2015 avec Jonah Hill et James Franco, racontait l’invraisemblable histoire vraie dont il fut la victime. Un meurtrier du nom de Christian Longo, parmi les criminels les plus recherchés par le FBI dans les années 2000, a usurpé son identité pendant sa cavale. Dans un livre troublant, Michael Finkel raconte cet épisode douloureux et surtout sa rencontre avec le celui qui désirait vivre sa vie. Plus récemment, en 2017, dans Le Dernier Ermite, il est parti sur les traces de Christopher Thomas Knight, un homme ayant décidé de vivre en ermite dans une forêt du Maine pendant 27 ans après la catastrophe de Tchernobyl.

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« L’Arsène Lupin des musées », voilà comment on a surnommé Stéphane Breitwieser, le protagoniste bel et bien réel du Voleur d’art, nouveau livre de Michael Finkel. Entre 1995 et 2002, l’Alsacien, fils du peintre Robert Breitwieser, aurait dérobé plus de 200 œuvres d’art à travers l’Europe, en particulier des œuvres flamandes du XVIe siècle à la seule arme de son culot, de son sang-froid et de son observation méticuleuse des systèmes de surveillance des musées. Avec son long manteau et son couteau suisse, il lui suffisait d’une seconde pour s’emparer d’une toile. Grâce à un long travail d’enquête, mais surtout en rencontrant à plusieurs reprises l’auteur des faits, Michael Finkel raconte l’histoire hors du commun d’un voleur qui dérobait non pas pour revendre, mais pour conserver chez lui, par pur goût esthétique. Un homme étrange qui justifie ses crimes par un amour débordant pour l’art.

| Le Syndrome de l’orangerie, de Grégoire Bouillier

Quand on s’appelle Grégoire Bouiller, une simple visite au musée peut suffire à stimuler votre esprit foutraque de romancier du réel. Un jour, alors qu’il décide de se confronter pour la première fois aux Nymphéas, le chef-d’œuvre de Claude Monet, l’auteur est pris d’une terrible crise d’angoisse. Le Syndrome de l’Orangerie, du nom du lieu dans laquelle le tableau est exposé, voilà comment il nomme le mal qui le ronge. Et la machine à histoires de se mettre en branle.

G.B Baltimore, le détective fictif qui lui sert d’alias et qui tenait déjà les rênes de son précédent livre, Le Cœur ne cède pas, entre à nouveau en scène pour mener l’enquête : pourquoi Monet a-t-il passé sa vie à peindre ces drôles de plantes aquatiques ?  Quels secrets, dissimulés à l’intérieur des Nymphéas, provoquent cet obscur vertige ? Notre fin limier en est persuadé, la mort rôde partout autour de ces gigantesques panneaux, offert à la France le jour de l’armistice de la Première Guerre mondiale. La mort de millions de soldats – dont de nombreux amis du peintre, Péguy, Apollinaire ou Octave Mirbeau –, la mort de son fils Jean, frappé par la maladie, celle de sa première femme Camille qu’il a peinte jusqu’aux ultimes instants, mais aussi des morts plus métaphoriques comme celle de sa vue alors qu’il devient progressivement aveugle.

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On embarque dans un voyage paradoxal, obsessionnel et morbide, mais réjouissant, dans lequel Grégoire Bouiller déploie sa redoutable mécanique narrative. Cette littérature unique, qui défie tous les codes du roman. L’auteur s’invite sans cesse à la fête, multiplie les affirmations avant de se contredire, divague, délire même, nous offrant un chapitre entièrement composé de citations, livrant une théorie fumeuse sur le professeur Tournesol. Un dédale vertigineux qui, en plus de nous plonger dans les secrets et légendes de la « Sixtine de l’Impressionnisme » pose une question passionnante : quelles forces s’éveillent en nous quand on regarde une peinture ?

| Ma mère est un fait divers, de Maria Grazia Calandrone

Les livres de l’écrivaine italienne Maria Grazia Calandrone sont un alliage subtil. Celui de la rigueur et du sens du récit propres à l’enquête – elle est journaliste pour le Corriere della serra –, et de la magie de la langue qui emporte tout sur son passage – elle est l’une des poétesses les plus acclamées de son pays. Le titre, Ma mère est un fait divers, sublime, nous met déjà sur la piste d’un livre inclassable. Si l’autrice devient un personnage, c’est parce qu’elle est au cœur de cette troublante histoire. Maria Grazia Calandrone a été sans le vouloir au centre d’un fait divers qui a bouleversé l’Italie au milieu des années 1960.

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Le 24 juin 1965, alors qu’elle n’était qu’un bébé, elle a été retrouvée, abandonnée sur la pelouse de la Villa Borghese après que ses deux parents, Lucia et Giuseppe se sont jetés dans le Tibre. Qu’est-ce qui a bien pu conduire le couple à un tel désespoir funeste ? Près de 60 ans après ce drame originel dans la vie de l’écrivaine, elle décide de remonter le fil de cet existence tragique qui a coûté la vie de ses parents biologiques. Elle raconte le mariage forcé de sa mère, la violence dont elle fut la victime, puis son adultère qui conduira à la naissance d’un enfant illégitime. En cherchant à comprendre ce geste fou, c’est toute la société italienne des années 1960 qu’elle montre du doigt, son étouffante tradition, son rigorisme religieux, sa pression sociale… Avec, en ligne de mire, une cible toute désignée : les femmes et leur liberté.

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