Cet automne, Jo Nesbo, Michael Connelly et Harlan Coben ont délaissé leurs séries principales pour faire paraître trois romans surprenants.
Rythme de parution effréné, séries haletantes, personnages récurrents et codes facilement reconnaissables : dans le monde de la littérature, le polar est un continent à part. Les maîtres du genre que sont Jo Nesbo, Michael Connelly et Harlan Coben ont tous les trois publié un nouveau roman cet automne. Ces trois noms qui sentent bon le tabac froid et le whisky glace ont ainsi signé de nouveaux livres qui prouvent leur capacité toujours renouvelée à se réinventer et à surprendre.
Leur domaine, de Jo Nesbo
Star du polar scandinave, souvent considéré comme l’égal du suédois Henning Mankell, l’écrivain norvégien Jo Nesbo délaisse, avec Leur domaine, son génial inspecteur Harry Hole et ses enquêtes glaciales pour s’essayer au rural noir à la sauce David Joy en dessinant au cœur des montagnes un huis clos diabolique.
Quand Carl Opgard revient soudainement dans son village natal après vingt ans d’absence, c’est tout un passé qui ressurgit pour son frère Roy. D’abord cet effroyable accident de voiture qui a coûté la vie à leurs parents quand ils étaient adolescents, mais surtout le gouffre abyssal qui le sépare, lui le mécano bourru et mutique, de son cadet, la star du village parti au Canada mener de brillantes études d’économie. Au bras de Shannon, sa femme fatale, aussi belle que dangereuse, Carl le flambeur annonce à qui veut l’entendre le lancement d’un projet fou. Il va bâtir un hôtel de luxe sur les terres familiales. Au cœur de cette communauté rongée par la misère et l’alcool, isolée et pleine de secrets, ce chantier gigantesque va raviver les rancœurs et réveiller certains fantômes qu’on croyait disparus.
Entre le poids de l’héritage familial, les ravages du déterminisme social et un dangereux triangle amoureux, les personnages s’empêtrent dans un roman noir salissant, où l’angoisse se mêle à une inquiétante étrangeté. Avec brio, Jo Nesbo explore d’autres horizons littéraires. Au style direct et tranchant succède une écriture plus ample et un rythme lancinant qui fait monter la tension crescendo. Cette poésie noire aussi envoutante qu’effrayante n’est pas sans rappeler Stephen King et prouve, s’il le fallait, que Jo Nesbo est bien plus qu’un simple auteur de polars.
Jo Nesbo, Leur domaine, Gallimard, 640p, 22€.
L’Innocence et la loi, de Michael Connelly
Depuis La Défense Lincoln, en 2006, Michael Connelly aime parfois faire un pas de côté et braquer les projecteurs non pas sur l’inspecteur Harry Bosch, son héros fétiche, mais sur son demi-frère, l’avocat Mickey Haller. C’est justement dans le coffre de voiture de ce ténor du barreau que débute son nouveau roman – une scène d’anthologie comme l’écrivain américain en a le secret.
Lorsqu’il est arrêté pour un défaut de plaque d’immatriculation, il pense s’en tirer avec un simple rappel à l’ordre mais c’était sans compter sur le cadavre dissimulé dans son véhicule. D’autant que pour les autorités, c’est du pain béni : le corps est celui d’un ancien client qu’il a défendu avant que celui-ci ne finisse par l’escroquer. Accusé de meurtre et incarcéré, Mickey réalise qu’il est victime d’un terrible coup monté et décide d’assurer lui-même sa défense au procès. Michael Connelly inverse ainsi les rôles et met l’avocat intraitable sur le banc de l’accusé qui doit sauver sa peau.
Depuis sa cellule où il mène l’enquête et prépare sa défense, Mickey se jette à corps perdu dans l’affaire de sa vie jusqu’à ce moment fatidique où il prend place, et le lecteur avec lui, dans la cour du tribunal pour un huis clos ébouriffant. Comme toujours, ce qui frappe chez Connelly, c’est l’alliance parfaite entre le suspense haletant et la précision dans la description des rouages de la loi. Mi-thriller, mi-documentaire, ce roman nous emmène caméra embarquée au cœur de l’univers impitoyable qu’est le système judiciaire américain.
Michael Connelly, L’Innocence et la loi, Calmann-Levy, 450p, 21€90.
Gagner n’est pas jouer, de Harlan Coben
Harlan Coben tisse lui aussi sa toile romanesque en confiant parfois la vedette à des personnages secondaires issus de sa série principale. Si d’habitude c’est Myrion Bolitar, agent sportif et ancien du FBI, qui tient le haut de l’affiche, c’est aujourd’hui Windsor “Win” Horne Lockwood III, meilleur ami de Myron, qui endosse le rôle du justicier solitaire. Ce riche héritier, égocentrique, sociopathe et brutal a tout de l’anti-héros détestable ; et pourtant, son charme opère dès les premières pages, alors qu’il est soudainement entraîné au cœur d’une bien étrange affaire. La découverte du corps d’un milliardaire, assassiné dans son appartement new-yorkais, va réveiller chez Win de vieux traumatismes. Sur la scène de crime, le FBI découvre un tableau de Vermeer ainsi qu’une valise ayant appartenue aux Lockwood. Deux précieux objets de famille dérobés il y a plus de vingt ans dans un cambriolage au cours duquel sa cousine avait été kidnappée avant de parvenir miraculeusement à s’échapper sans que jamais les ravisseurs soient interpellés. Impulsif, et avec un sens bien à lui de la justice, Win se met alors en tête que les deux affaires sont liées et décide de mener l’enquête à sa manière.
Avec ses dialogues savoureux, son intrigue aux ramifications multiples et son tableau caustique de l’Upper class New-Yorkaise, Gagner n’est pas jouer est sans conteste le meilleur roman de l’auteur depuis plusieurs années. Galvanisé par ce nouveau héros étonnant – voire rafraichissant, dans un genre du polar parfois un peu stéréotypé – Harlen Coben parvient à se réinventer et à surprendre. Le début d’une nouvelle série ? Oh Win !
Harlan Coben, Gagner n’est pas jouer, Belfond, 400p, 22€50.