Enquête

Peut-on être écolo et continuer d’acheter des livres papier ?

27 novembre 2021
Par Milo Penicaut
Peut-on être écolo et continuer d’acheter des livres papier ?
©Bruno Deniel-Laurent

À l’heure où les questions écologiques prennent de plus en plus d’ampleur, il devient difficile d’ignorer l’impact écologique de la fabrication et de la distribution de livres papier. Enquête auprès de celles et ceux qui se battent pour rendre le livre plus écologique, au Festival du livre et de la presse d’écologie.

Le nombre de livres traitant d’écologie a explosé depuis dix ans. Libraires comme maisons d’éditions tablent sur ce juteux secteur en expansion. Mais « ce n’est pas parce qu’un livre parle d’écologie qu’il est écologique », explique Anouchka Toulemonde, professionnelle du livre et bénévole au Festival. Si le monde du livre est celui de l’imaginaire, des émotions et de la pensée, il reste une industrie – nécessairement polluante. Pour cette spécialiste de la question de l’écologie du livre, à laquelle elle a consacré son mémoire de recherche, il est plus que jamais crucial de s’interroger sur l’écologie de l’objet-livre.

Et c’est précisément le but du Festival du livre et de la presse d’écologie. Créé en 2003 par des professionnels du livre et des militants écologistes, il a lieu chaque automne à Paris. Il rassemble des éditeurs et des maisons de presse indépendantes accordant une place importante à l’écologie dans leur catalogue, ainsi que des associations engagées pour l’environnement. Tables rondes, rencontres et animations permettent au public de s’informer sur les dernières réflexions autour d’une thématique choisie avec soin : « Le vivant : s’émerveiller et agir ! » pour cette 19ème édition.

©Festival du livre et de la presse d’écologie, 2021.

L’aberration du pilon

En pleine crise du Covid, Marion Carvalho et Charles Hédouin, fondateurs de la petite maison d’édition indépendante La Maison des Pas Perdus, décident de créer un collectif de maisons d’éditions éco-responsables. Livre&Co, le comptoir des lectures durables naît en juillet 2020. Il rassemble vingt-neuf maisons d’édition indépendantes aux pratiques éco-responsables. « L’idée, c’est de montrer quels sont les leviers d’action d’un livre éco-conçu. Ça va passer par un choix de papier responsable – labellisé ou recyclé – mais aussi par des formats rationnels. C’est-à-dire qu’on tire en petite quantité. On travaille avec des éditeurs qui impriment à 100, 200 exemplaires, et surtout qui ne pratiquent pas le pilon » explique Marion Carvalho, que l’on retrouve parmi les exposants. Le pilonnage consiste à détruire les livres invendus, abîmés, ou défectueux (« défraichis »). Cela coûte moins cher que de tirer en plus petite quantité, de les stocker ou de les donner. 20 % des livres publiés sont ainsi détruits avant même d’être lus. Cela peut même monter jusqu’à 60 à 80 %, pour les manuels scolaires par exemple. Un gâchis immense, reflet de notre économie du gaspillage, auquel Bruno Deniel-Laurent a consacré un documentaire. Une perte matérielle, mais aussi symbolique et « psychologique », ajoute l’éditeur Frédéric Cambourakis : « Tu as travaillé sur quelque chose qui disparaît, c’est toujours complexe… ». Car un livre, ne l’oublions pas, reste avant tout une œuvre.

À noter cependant que 100% des livres pilonnés sont recyclés. Un chiffre qui a de quoi laisser Marion Carvalho sceptique : « Dire que le pilon c’est 100% recyclé, c’est de l’écoblanchissement. 100% du livre est recyclé, super, mais le papier, il a été créé, il a coûté en énergie, en eau, en électricité. Et puis ce papier recyclé, il ne redevient quasi jamais du livre. Il est transformé en papier hygiénique ou en cartons d’emballage ». La crise actuelle de l’industrie papetière serait en partie liée à l’augmentation exponentielle des besoins en cartons d’emballage, afin notamment de satisfaire la demande de livraison à domicile.

Un livre écologique, social et solidaire

Quand on parle d’écologie du livre, il s’agit aussi d’en considérer les enjeux humains. « Faire un livre, ce n’est pas que l’auteur ou l’autrice, c’est l’éditeur, c’est l’imprimeur, c’est le papetier, c’est la personne qui a dessiné les caractères, l’illustrateur, le graphiste, le maquettiste, le correcteur… Plein de personnes travaillent à la conception d’un livre. Et donc écologique oui, mais aussi social et solidaire. C’est indissociable, si on veut être cohérent. L’écologie, ce n’est pas seulement une question d’être plus vert, c’est une question d’être plus humain » ajoute Marion.

Alternatiba, mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, fait lui aussi le pari de l’écologie humaine avec la publication d’une réflexion collective illustrée sur les défis environnementaux actuels, Et si… le monde d’après ne ressemblait pas au monde d’avant ? (Alternatiba, 2021). Nous avons rencontré deux de leurs bénévoles, Gaïa Mugler et Afaf Lahlou : « Et si…, c’est un livre écologique dans sa fabrication mais aussi dans sa durée. Un livre en moyenne a trois semaines de vie en librairie. Nous, on a une stratégie de vente à long terme, on préfère un long-seller à un block-buster. Et si…, c’est un livre engagé, vendu à un prix militant. L’équipe a travaillé de manière bénévole pour pouvoir proposer ce prix-là. Pour que l’écologie, ça reste pas un truc de bobo ».

©Alternatiba

Quel avenir pour le livre papier ?

Les livres nous font nous émerveiller, voyager, rêver. Qu’on soit un grand ou un petit lecteur, ils occupent une place importante dans nos vies. Et nous aimerions tant pouvoir affirmer qu’ils ne sont pas prêts de disparaître. L’urgence écologique nous force pourtant à imaginer l’inenvisageable : un monde sans livres. Non pas du fait d’une puissance totalitaire qui bannirait la lecture, à l’instar du monde dystopique imaginé par Ray Bradbury dans Fahrenheit 451, mais par épuisement des ressources. D’où la nécessité d’exiger des acteurs du monde du livre – papetiers, imprimeurs, éditeurs, distributeurs, libraires – des pratiques plus responsables encore et davantage de transparence. À nous aussi, lecteurs et lectrices, de nous engager à notre petite échelle : en regardant aussi du côté des maisons d’édition indépendantes et éco-responsables ; en apprenant à lire les informations sur la fabrication d’un livre à l’intérieur des jaquettes (préférer des ouvrages imprimés en France, sur du papier recyclé ou labellisé Imprim’vert, FSC ou PEFC) ; ou encore en se rendant aussi à la bibliothèque du quartier, même lorsque l’on continue à s’offrir les bouquins que l’on souhaite conserver.

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Article rédigé par
Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste