Il y a quelques mois, à l’occasion de sa présentation au Festival de Cannes, L’Éclaireur avait rencontré le réalisateur Jonás Trueba afin de parler de Septembre sans attendre. Présentée à la Quinzaine des cinéastes en mai dernier, cette comédie dramatique est désormais diffusée dans les salles de cinéma depuis le 28 août.
Et si plutôt que de célébrer l’union, on célébrait la séparation ? C’est ce que décident de faire Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) dans Septembre sans attendre. Après 14 ans de vie commune, le couple décide en effet de se séparer et souhaite, pour l’occasion, organiser une grande fête en réunissant ses proches qui semblent, quant à eux, assez surpris par cette idée.
Réalisé par Jonás Trueba, le film a été présenté au Festival de Cannes cette année, plus précisément à la Quinzaine des cinéastes. À cette occasion, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec le réalisateur et documentariste espagnol, à qui l’on doit notamment Eva en août (2021) et Qui à part nous (2022), afin de revenir sur son neuvième long-métrage.
Quel a été le point de départ du film et de cette idée de célébrer la séparation ?
C’est une idée que j’ai entendue quand j’étais un adolescent. Mon père m’en a parlé pour la première fois quand j’étais jeune. À l’époque, j’étais en mal d’amour et il n’arrêtait pas de me répéter que je devais penser que la séparation était une bonne chose, parce que l’on se sépare pour rester meilleur. Il pensait vraiment qu’il fallait célébrer la séparation et non l’union.
Pour lui, c’était absurde. À l’époque, j’ai pensé que c’était une bêtise, mais ça m’est finalement resté en tête. Quand j’ai commencé à voir des couples d’amis se séparer, j’ai tenté de répéter cette même phrase. Bien sûr, ils m’ont regardé bizarrement [rires], mais c’est ce regard qui m’a donné envie de faire ce film.
Le fait d’avoir réalisé ce film a-t-il changé votre perspective de la rupture ?
Oui, bien sûr ! Pour moi, c’est peut-être l’idée la plus forte du cinéma. Quand on fait un film, c’est une manière de vivre et de traverser les choses avec véracité. Il s’agit d’une vraie expérience. C’est aussi une idée assez paradoxale qui se base sur la comédie, alors que c’est une chose très triste qui arrive à mes personnages dans le film.
La comédie n’est-elle pas le meilleur moyen de parler de choses paradoxales ou tristes, justement ?
Je crois que oui ! Toutes les bonnes comédies sont finalement sérieuses. Septembre sans attendre s’est construit sur une boutade, pour ensuite aborder des choses tristes, paradoxales ou sérieuses. Puis, on peut aussi faire du cinéma avec des choses plus réduites, sans que l’histoire soit spectaculaire. On peut faire des films avec des choses beaucoup plus fragiles de notre vie quotidienne. J’aime beaucoup cette idée-là.
« Quand tu vois pour la première fois ton montage, c’est comme une espèce de miroir qui vient pour te dire ce qu’il s’est passé. »
Jonás Trueba
Le fait d’avoir fait ce film vous a-t-il a fait changer de regard sur l’amour et le couple ?
J’espère que oui. Pour moi, c’est important de défendre les films de cette manière. C’est vrai qu’aujourd’hui je sens que l’idée du couple tel qu’on le conçoit communément est démodée, parce qu’il y a de plus en plus d’amours différents et une fluidité des genres. Pour moi, montrer le couple ainsi est un geste provocateur. Certes, il ressemble aux couples du XXe siècle, mais Ale et Alex ont leur propre manière de voir les choses. C’est en cela, peut-être, que j’aborde les différents genres d’amour que l’on voit aujourd’hui. Ça fait forcément réfléchir.
Vous avez écrit le scénario avec vos acteurs. Quel genre de processus cela a-t-il été ? Qu’ont-ils apporté à l’histoire ?
J’avais besoin de comédie et Itsaso Arana ainsi que Vito Sanz sont des comédiens que j’admire beaucoup. J’avais déjà travaillé avec eux par le passé, et je pense que cela a pu nourrir le film, d’autant plus qu’ils avaient déjà incarné un couple dans Eva en août. C’est super d’écrire avec ses comédiens, car ce sont aussi des scénaristes. C’était assez évident pour moi de procéder ainsi.
Si je peux travailler avec eux depuis le début, dès l’écriture du scénario, c’est une manière aussi de les impliquer davantage dans le film. Leur travail n’est pas seulement de trouver le personnage. Au contraire, ils se sont révélés être des complices très importants pendant le tournage. Le scénario a toujours été très ouvert aussi, et on l’a beaucoup modifié pendant le tournage. C’est un film très écrit et, en même temps, cette écriture a évolué pendant tout le processus, jusqu’au montage. Le long-métrage est d’ailleurs un film sur le montage aussi !
Justement, le film propose une mise en abyme du cinéma lui-même. Pourquoi avoir fait ce choix de placer vos personnages dans le monde du 7e art ?
On montre souvent les coulisses du cinéma, on montre des scènes de cinéma, mais on ne montre jamais le montage ou des séances d’équipe. Pourtant, le processus du montage est beaucoup plus antique, car ce sont peut-être les moments les plus forts, les plus conflictuels aussi, parce que, selon mon expérience, c’est le moment durant lequel je réfléchis le plus, et durant lequel je prends conscience de ce que j’ai fait. Normalement, c’est un choc, c’est presque traumatique. Quand tu vois pour la première fois ton montage, c’est comme une espèce de miroir qui vient pour te dire ce qu’il s’est passé.
Dans le film, on voit le personnage d’Itsaso dans la salle de montage, on peut voir qu’elle réalise quelque chose. Elle réalise en voyant les images de son ex-compagnon dans la salle de montage que quelque chose va les séparer, qu’ils vont commencer à prendre des chemins différents. Le film mélange la réalité avec la fiction que monte Itsaso. Il faut savoir aussi que je viens du documentaire, donc souvent, avec les comédiens et comédiennes, je travaille à partir de nous-mêmes, de notre vie quotidienne, de notre subjectivité, de nos rues, de nos bars et des lieux que l’on connaît. On part d’une manière presque documentaire pour arriver à la fiction.
Le film a été présenté au Festival de Cannes cette année. Qu’avez-vous ressenti ?
Être à Cannes, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas un objectif que je poursuis. Mais c’est génial d’être au Festival, car c’est beau de voir que des programmateurs comprennent et partagent notre vision du cinéma. La Quinzaine des cinéastes est très proche de ma philosophie, sur la façon de faire du cinéma en pleine indépendance. C’est important !
Septembre sans attendre, de Jonás Trueba avec Itsaso Arana et Vito Sanz, 1h54, depuis le 28 août au cinéma.