Rééditions d’albums cultes, récits historiques ou intimistes… À l’occasion de Paris 2024, la bande dessinée célèbre le sport sous toutes ses formes, avec amitié, respect, excellence, mais aussi un regard critique.
La philosophie olympique repose sur la joie dans l’effort et des valeurs éducatives, mais, depuis des siècles, le sport, oscillant entre héroïsme et politique, n’a pas toujours été une partie de plaisir, comme le rappellent certains ouvrages de bandes dessinées.
Dans Vies en Jeux – Leur flamme éclaire l’histoire (Glénat, 2024), Églantine Chesneau revient sur le destin de 16 athlètes qui ont su chacun à leur manière bousculer les codes, non sans efforts surhumains. Après une brève introduction sur la mythique création des Jeux olympiques par Héraclès, pour réconcilier les Grecs, et leur réhabilitation par le baron français Pierre de Coubertin en 1894, cette bichromie montre comment, grâce à leur courage et à leur liberté, certains athlètes ont défié la société de leur époque pour en faire évoluer les règles du jeu. De Shizō Kanakuri à Simone Biles, en passant par Nadia Comăneci et Marie-José Pérec, ces hommes et ces femmes, au-delà de leurs exploits sportifs, sont entrés dans l’histoire.
C’est aussi le cas de Jesse Owens, jeune Afro-Américain et star de l’athlétisme dans les années 1930. L’autrice dresse ici évidemment son portrait en un chapitre, mais un album tout entier n’était pas de trop pour raconter son extraordinaire ascension. Gradimir Smudja s’est attelé à la tâche sous le prisme du conte pour réaliser Jesse Owens, des miles et des miles (Futuropolis, juin 2024).
Jesse Owens face à Hitler aux JO de 1936
Plutôt habitué aux biographies de peintres, Vincent Van Gogh notamment, Gradimir Smudja raconte ici avec fougue et magie le fascinant destin de Jesse Owens, dans un style graphique qui évoque les tableaux de Norman Rockwell. L’auteur serbe insuffle à son récit une poésie bienvenue, en y apportant un personnage imaginaire, celui d’un chat noir pionnier du blues et ami de l’athlète.
Au fil des pages, il apparaît comme un enfant coursé en permanence par le danger, incarné tour à tour par le Ku Klux Klan, un crocodile du Mississippi, une tornade, des nuées de sauterelles, un grizzli… puis le policier et entraîneur Larry Snyder. Étonnamment bien intentionné, ce dernier le prend sous son aile et lui met le pied à l’étrier en lui ouvrant les portes du monde de l’athlétisme, qui, une fois franchies, le mèneront à narguer Hitler aux JO de 1936.
Pour scénariser son album, Gradimir Smudja a choisi de perpétuer la fantaisie des propos bienveillants de son héros. Ici, tout n’est pas vrai. Son rival allemand Luz Long n’a notamment pas réellement aidé Jesse Owen, comme le champion l’avouera plus tard, même si les deux athlètes se sont salués au pied du drapeau nazi, point de départ d’une véritable amitié particulièrement politique et influente !
Des courses humanistes
Preuve en est, en 2016, l’auteur allemand Reinhard Kleist s’intéresse à la tragique odyssée de la coureuse somalienne Samia Yusuf Omar, au point de lui consacrer l’album poignant : Rêve d’Olympe, (La Boîte à bulles, réédition juin 2024). En 2008, l’athlète de 17 ans représente la Somalie aux Jeux olympiques de Pékin.
Sur la piste, la jeune femme bat son propre record, mais termine bonne dernière sous les encouragements du public. Hautement politisée, sa participation apparaît aux yeux du monde comme un pied de nez aux shebabs qui l’empêchent de s’entraîner. Pour faire mieux à Londres en 2012, elle fuit son pays pour rejoindre l’Europe, en vain. Son portrait poignant fait malheureusement toujours écho à l’actualité, celle d’une immigration vers l’enfer.
Pour Paris 2024, une autre course est également mise en lumière, celle de Safia dans Le Marathon de Safia (Paquet Éditions, 2024). Pour façonner leur personnage de fiction, le scénariste Didier Quella-Guyot et le dessinateur Sébastien Verdier se sont inspirés de la vie de grandes championnes qui ont participé à l’émancipation des femmes, à travers leur double combat, marathonien et social.
Astérix toujours dans la course
Plus léger, l’album culte signé René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix aux Jeux olympiques (Hachette, juin 2024), bénéficie pour l’occasion d’une édition spéciale au tirage limité, enrichie d’une nouvelle couverture et d’un dossier documentaire actualisé sur Lutèce 2024.
Des récits intimistes
Certains auteurs osent aussi livrer leurs exploits ou expériences personnelles, avec un regard critique. Né en 1997, Maxime Schertenleib revient en BD sur les raisons qui l’ont poussé à mettre un terme à sa carrière sportive dans Arrêt de jeu, journal d’un footballeur mal dans ses baskets (La Boîte à bulles, 2024).
Il y brosse le portrait peu reluisant d’un milieu intolérant et violent, où le plaisir du jeu n’a pas sa place. Avec tendresse et sans aigreur, il raconte les joies et les déceptions qui l’ont contraint à s’orienter vers la bande dessinée. Tant mieux pour nous ! Son premier ouvrage, courageux, intimiste et nuancé, est particulièrement prometteur.
Inutile d’être accro aux salles ou aux terrains de sports pour apprécier pleinement ces différents ouvrages instructifs et distrayants, qui devraient vous éclairer et vous aider à porter un regard neuf sur les Jeux olympiques tant médiatisés.