Depuis plus d’une décennie, Tsume Art propose des statues de collection tirées des plus grandes licences manga. Avec ses produits haut de gamme, la société luxembourgeoise a trouvé son public et fait des émules.
23 mai 2021. Après des semaines d’attente, le concours d’anecdotes de McFly et Carlito enregistré avec Emmanuel Macron est enfin en ligne et bat des records d’audience. Au-delà du buzz et du caractère quelque peu incongru de la scène, un élément dans le décor attire le regard : derrière le chef de l’État, au milieu des dorures du Palais de l’Élysée, les deux youtubeurs ont installé une statue de Nico Robin, personnage phare de One Piece, réalisée par Tsume. « Cette image, c’est un peu l’aboutissement de tout ce pour quoi je me bats depuis que j’ai créé la société, résume Cyril Marchiol, fondateur de la PME luxembourgeoise. J’en avais marre que les fans de manga ou de jeux vidéo soient vus comme des geeks, j’avais envie de prouver à tout le monde qu’il était possible de faire des produits beaux, luxueux, même, à partir de cette passion. Il aura fallu plus de dix ans pour y arriver, mais c’est en partie fait. »
L’art de la guerre commerciale
Retour en arrière. Au début des années 2000, Cyril Marchiol travaille dans une boutique de jeu vidéo de l’est de la France. Pour se démarquer de la concurrence et proposer des concepts originaux à ses clients, le jeune homme décide de se tourner vers les produits dérivés. À l’époque, le choix est plutôt restreint et le marché tourne essentiellement autour de figurines en PVC de qualité assez médiocre. Mais une société japonaise, Art of War, se démarque avec des statuettes en résine produites en très petites quantités – notamment de la série Berserk. Le natif de Thionville en Moselle monte alors sa première société et devient le distributeur de la marque en Europe pendant plusieurs années, avant que leurs chemins ne se séparent et que le concept de Tsume ne germe dans sa tête . « L’envie de faire de la figurine de qualité était déjà là, mais je voulais apporter quelque chose de vraiment nouveau et d’ambitieux. »
Sur le papier, ce concept tient en trois mots : High Quality Statue. Derrière ce nom qui deviendra celui de la première gamme Tsume, Cyril Marchiol imagine des statues en résine, inspirées des scènes emblématiques des classiques du manga. De vrais objets de collection, toujours en tirage limité et peints à la main. La rencontre de l’artisanat et de la pop culture, en quelque sorte. Mais encore faut-il convaincre le monde entier que le modèle est économiquement viable et surtout qu’il y a un public pour ce genre de produits.
« On a passé des mois à négocier les licences avec les ayants droit au Japon, à leur faire accepter de valider des concepts en 3D, se souvient celui qui est aussi le directeur artistique de la plupart des projets. Ensuite, il a fallu trouver les usines capables de réaliser les produits, former les équipes sur place, nous former nous-mêmes… Et enfin, il a fallu convaincre le public de nous suivre. »
La revanche des geeks
Contre toute attente, Tsume arrive à persuader suffisamment de fans d’investir plusieurs centaines d’euros pour précommander un produit qui ne sera disponible que 18 mois plus tard. Résultat, la première statue Tsume, Gaara Shukaku’s Hand, issue de la licence Naruto et réalisée à l’échelle 1/6e, sort à l’été 2011. Le succès est immédiat, les 400 exemplaires trouvent preneurs et la machine est lancée. Dans la foulée, la société décroche toutes les plus grosses licences du shônen (le phénomène One Piece, Dragon Ball, Saint Seiya, Bleach…) et repousse petit à petit les limites techniques : résine transparente pour les effets d’attaque, textures pour les vêtements, visages alternatifs, personnages toujours plus grands (échelle 1/4 ou même taille réelle pour les bustes)… Le paysage de la figurine ne sera plus jamais le même.
« Dès le départ, j’avais l’idée de proposer non pas des personnages seuls, mais de vrais dioramas, une composition avec des décors, des effets d’attaque… Bref, je voulais raconter une histoire à travers mes produits, se souvient Cyril Marchiol. La première statue pour laquelle on a réussi ça, c’est Zoro de One Piece, avec une gigantesque tornade emportant plusieurs ennemis. Tout le monde nous disait que c’était techniquement impossible mais on l’a fait. On a perdu de l’argent dessus mais ça a tout changé. Curieusement, après, tout le monde s’est mis à faire du diorama. »
Dans les années qui suivent, chaque précommande lancée par Tsume se termine par un sold-out instantané. Tous les personnages les plus populaires de la culture manga y passent : Vegeta, Shiryu, Sasuke, Zoro, Ichigo… La marque à la griffe de tigre séduit autant les quadras nostalgiques du Club Dorothée avec des licences comme Hokuto no Ken, Sailor Moon et Ranma ½, que les plus jeunes avec Fairy Tail ou My Hero Academia. De nombreux collectionneurs délaissent les figurines articulées ou les PVC à 30 euros pour ces produits certes 10 à 15 fois plus cher, mais au rendu incomparable. Rien ne semble arrêter l’entreprise luxembourgeoise qui étend son terrain de jeu à l’univers des comics (Batman) ou aux jeux vidéo (Final Fantasy), lance sa marque de vêtements, ses jeux de société, ses mangas…
Tomber pour mieux se relever
Pourtant, comme dans tout bon shônen qui se respecte, les obstacles ne tardent pas à arriver. Au fil du temps, Tsume engrange les succès mais finit aussi par s’éparpiller. Les prix et les tirages augmentent, les délais de livraison s’allongent, et l’entreprise est désormais challengée par des dizaines de sociétés françaises, américaines ou chinoises qui lui ont emboîté le pas. Après des années à faire la pluie et le beau temps, l’heure est à la remise en question. Assez ironiquement, la période d’arrêt imposée par la pandémie offrira une pause bienvenue au précurseur.
« À un moment, on a surestimé notre capacité à mener de front tous les projets simultanément, assume Cyril Marchiol. On a mis l’accent sur le côté créatif mais on a oublié que les gens nous suivaient avant tout pour leurs licences de cœur. Et puis, la réalité économique s’est aussi imposée à nous : le prix des matières premières explose, celui du transport aussi, les gens n’ont ni une place ni des fonds illimités. Aujourd’hui, Tsume, c’est 40 personnes au Luxembourg, 120 en Chine… La passion est notre moteur, mais on doit aussi avoir une entreprise qui tourne. »
Ikigai : sa raison d’être
On le sait, c’est dans l’adversité que les vrais héros se révèlent et, en 2021, Tsume a fait son grand retour avec de nouveaux concepts et de nouvelles ambitions. La nouvelle gamme Ikigai, lancée au printemps, vise à séduire un nouveau public en proposant des statues « qualité Tsume », à l’échelle 1/6e comme la gamme HQS, mais sur un socle plus petit et à un prix parmi les plus bas du marché (moins de 400 euros en moyenne). La société mobilise une usine complète en Chine pour cette seule gamme, avec un objectif de livraison en 18 mois maximum.
Parallèlement, Cyril Marchiol met la touche finale à deux projets qui lui tiennent à cœur depuis des années : la statue de son personnage fétiche de Dragon Ball, Freezer, et surtout la plus grosse statue de l’histoire de Tsume – une Ultra HQS+ dédiée à One Piece, « une folie de plus d’un mètre de haut qui viendra clôturer l’année ». Une manière de prouver que la marque n’a rien perdu de sa folie des grandeurs, même si elle s’exprime désormais différemment. « C’est plus fort que moi, je ne supporte pas de faire comme les autres, conclut le créatif. Mon but, c’est de faire rêver les gens et d’ouvrir notre univers à un maximum de personnes. Je ne veux pas rester enfermé dans un marché de niche, aussi confortable soit-il. On a plein de projets fous sous le coude pour les prochains mois et, comme toujours, on sera là où on ne nous attend pas. »