Critique

Hellboy vit bien l’enfer de la trentaine

14 mai 2024
Par Michaël Ducousso
Même s'il n'est pas très souriant, Hellboy peut passer la trentaine en gardant le moral grâce à ses fans toujours aussi nombreux et passionnés.
Même s'il n'est pas très souriant, Hellboy peut passer la trentaine en gardant le moral grâce à ses fans toujours aussi nombreux et passionnés. ©Delcourt

Le démon célèbre ses 30 ans de chasse aux monstres avec une édition spéciale offrant une excellente entrée en matière à l’univers du maestro Mike Mignola.

Avec trois films au compteur, Hellboy n’est plus un inconnu pour le grand public. Il suffit de décrire un grand costaud tout rouge, avec des cornes poncées et une gueule renfrognée (que ce soit celle de Ron Perlman ou de David Harbour) pour déclencher un « Aaaah, oui » de prise de conscience.

Hellboy, ou Anung Un Rama, pour les intimes, c’est un héros à part, avec un grand cœur caché sous un look de grand méchant, qui, en 30 ans de carrière, a su se faire une place dans la pop culture et notamment dans le monde des comic books, dominé par des personnages bien plus photogéniques. Le démon aux poings de pierre est également devenu l’emblème de son créateur, Mike Mignola, qui, loin de rejeter son fiston diabolique, ne peut s’empêcher d’éprouver un élan de fierté paternelle lorsqu’il voit ce qu’il est devenu.

Un démon humaniste

Il faut dire que l’artiste a grandi avec sa créature. Après dix ans à manipuler les héros des autres chez Marvel ou DC Comics, Mike Mignola a donné vie à ce qui n’était jusqu’alors qu’un simple croquis et, ce faisant, il a créé tout un univers dans lequel exprimer son art et expérimenter. Trente ans plus tard, et alors que la trame principale des aventures de Hellboy a pris fin, Delcourt propose donc une redécouverte de ce héros et du cheminement de l’artiste dans une édition spéciale, sortie ce 15 mai et faite avec amour pour le public francophone.

Voir débarquer tout un tas d’indésirables diablotins à sa fête d’anniversaire a visiblement foutu le héros de Mignola en rogne.©Delcourt

Les suppôts du diable trentenaires, amateurs de gros calibres et évoluant en marge des créations Marvel ou DC, c’est presque devenu la spécialité de Delcourt. L’an dernier, la maison d’édition française fêtait déjà en grande pompe les 30 ans de Spawn, le bébé de Todd McFarlane et Image Comics. Rebelote avec le rejeton de Mike Mignola qui a vu le jour chez Dark Horse en 1994. Mais les similitudes entre les deux héros s’arrêtent là.

Si le premier est un pur produit des années 1990, bourré de testostérone et tirant à tout-va dans un monde gangrené par la corruption, le cynisme et la violence, son cadet est avant tout un humaniste. Étonnant pour un démon, certes, mais c’est bien là le drame de Hellboy : il est né du mauvais côté de la porte des enfers. Un monstre qui chasse d’autres monstres pour protéger les hommes parmi lesquels il aimerait avoir une place et être accepté.

Même si le noir domine dans cette œuvre peuplée de monstres, l’univers de Hellboy reste étonnamment positif et laisse entrapercevoir des touches de lumière et d’espoir.©Delcourt

Voilà ce qui fait le charme de l’univers imaginé par Mike Mignola et qui est mis en lumière dans cet album spécial regroupant la première aventure de la série régulière Hellboy et plus d’une vingtaine d’histoires courtes consacrées au héros.

Une personnalité à part

Ce sont d’ailleurs ces dernières qui font tout l’intérêt de cet ouvrage, puisque Les Germes de la destruction n’est autre que le premier tome de la série, aisément accessible en librairie. Les autres récits, en revanche, ont été disséminés par l’auteur dans différentes publications, comme des petits bonus, au fil des années. Pourtant, rassemblés dans ces 416 pages, ils forment une formidable introduction à Hellboy.

En effet, dans ces histoires de quelques planches se dessine toute la personnalité du héros : un gros dur au cœur tendre, doté d’un humour aussi noir que celui des détectives hard boiled auxquels il emprunte le trench-coat.

Connu pour être, lui aussi, un amoureux des créatures monstrueuses peuplant la pop culture, Guillermo del Toro a été le premier à adapter les aventures du héros de Mignola sur grand écran.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Thierry Mornet, qui a composé l’anthologie, a choisi de les inclure dans cette édition. Il n’a fait que suivre les conseils de lecture de Mike Mignola lui-même : « Ce sont les récits qu’il conseille de lire en priorité aux artistes qui collaborent avec lui et qui viennent travailler sur Hellboy, explique ainsi l’éditeur de Delcourt. Selon lui, ce sont ces histoires qui renferment l’essence même du personnage et qui permettent de bien comprendre comment il fonctionne, ce qu’il est vraiment, comment est-ce qu’il réagit face aux événements. La densité de chacun de ces petits récits fait qu’on a très vite accès à la manière dont le personnage pense, dont il réagit, y compris du point de vue graphique. »

Et ce dernier point n’est pas anodin, car l’intérêt de la saga tient en grande partie au talent de dessinateur de Mike Mignola, un artiste unique au style aussi clivant qu’envoûtant.

La patte Mignola

Bien sûr, Hellboy a conquis le cœur des fans grâce à sa gouaille, ses talents de bagarreur et aux monstres de foire issus des meilleurs récits pulp qui peuplent ses aventures. Mais s’il a acquis une place à part dans le 9e art, c’est surtout grâce au talent de son créateur. Avec sa ligne claire et nerveuse et ses grands aplats de noir qui se sont de plus en plus étalés sur ses planches au fil du temps, Mike Mignola a développé un style reconnaissable entre tous.

S’il s’exprimait déjà, avec un peu plus de discrétion, dans ses premières créations pour Marvel et DC – notamment avec Batman –, son trait s’est affirmé grâce à Hellboy. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette série indépendante a été encensée par d’autres grands noms des comics comme Alan Moore ou Neil Gaiman et valu plus d’une douzaine d’Eisner Awards à son créateur. Et il n’a pas non plus été étonnant de voir des milliers de quidams réunir plus de 500 000 dollars, en 2021, pour financer un documentaire sur l’artiste et son monstre.

Si l’on ne sait pas encore quand ni où le public français pourra retrouver ce documentaire – pour l’instant surtout diffusé dans des conventions américaines –, son acquisition par la Nacelle Company laisse présager un bel avenir dans le monde entier.

Comme le résument Kevin Konrad Hanna et Jim Demonakos, les réalisateurs de Mike Mignola : Drawing Monster : « Ce film nous a ouvert les yeux sur le nombre de personnes qui ont été touchées par le travail de Mike qui a eu une résonance que peu d’autres artistes ont eue. Qu’il s’agisse de son influence sur d’autres artistes, de son style de narration ou de l’univers grandiose qu’il a conçu et construit et que les fans adorent, il est vraiment un artiste et un créateur unique en son genre, à l’influence presque inégalée. »

Les récits indépendants, parus à différentes époques et regroupés dans le recueil de Delcourt, aideront sans doute les lecteurs à comprendre pourquoi, tant ils offrent un bel aperçu de l’évolution du style Mignola et de sa sensibilité. Accompagnées des premiers croquis des personnages phares de l’univers, ainsi que d’une galerie de peintures de l’artiste, ces œuvres composent une belle déclaration d’amour à Mike Mignola, son coup de pinceau et son imaginaire. Idéal pour charmer les nouveaux lecteurs qui auraient envie de découvrir les comics par un autre biais que les super-héros, sans pour autant s’attaquer à un univers totalement inconnu.

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Mais c’est également un bel objet pour les fans de la première heure qui en apprendront plus sur le processus de création de l’artiste et qui pourront relire les aventures de leur démon favori en attendant la sortie d’un quatrième film, annoncé pour cette année, même si le projet ne donne plus signe de vie. Que les passionnés se rassurent, ils auront quand même leur dose de Hellboy : la Nacelle Company – à qui l’on doit le documentaire The Toys That Made Us, sur Netflix – a récemment acquis Mike Mignola : Drawing Monsters, pour assurer sa diffusion à grande échelle. Si aucune date n’est annoncée pour le moment, on peut être rassurés pour le héros de Mike Mignola, dont la trentaine s’annonce radieuse.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste