Il a écrit deux des histoires les plus emblématiques de l’histoire de Batman avec Un long Halloween et Silence, scénarisé un film culte des années 1980 avec Michael J. Fox et des épisodes de Smallville, avant d’officier chez Marvel Television pour Daredevil, Jessica Jones ou encore Legion. Scénariste de génie, Jeph Loeb s’est prêté au jeu de l’interview pour L’Éclaireur Fnac.
Jeph Loeb fera partie des invités du Paris Fan Festival ce week-end aux côtés de Kat Graham (The Vampire Diaries), d’Erica Durance (Smallville) ou encore Taz Skylar (connu pour son rôle dans le live action de One Piece). À cette occasion, l’artiste nous a accordé une interview sincère et touchante.
On dit aujourd’hui que “les geeks ont hérité de la Terre”. Considérée hier comme une sous-culture geek, la pop culture est devenue accessible au grand public. Cependant, ce n’était pas encore le cas à l’arrivée de Smallville sur le petit écran…
C’était une période intéressante ! D’ailleurs, mon amie Erica, qui jouait Loïs Lane dans la série et que j’ai toujours considérée comme étant LA Loïs Lane, sera au Paris Fan Festival ce week-end. Ce sera l’occasion de rattraper tout ce temps perdu avec elle. Elle est toujours aussi intelligente, drôle et classe qu’à l’époque, et… Arrêtez de me poser des questions, et allez directement parler à Erica, en fait (rires) !
Elle a ce quelque chose qui nous rappelle toute l’histoire de Loïs Lane. Cette sorte de badinage dans sa manière de parler qui nous renvoie aux débuts du personnage dans les années 1930, mais aussi la façon qu’elle avait de charrier constamment Clark en l’appelant “Smallville” à la façon du dessin animé des années 1990.
Et c’est comme ça qu’elle a eu le rôle ! Nous lui avons fait passer une audition avec Tom [Welling, ndlr] pour voir s’ils avaient l’alchimie nécessaire. En entendant la rapidité de son débit de parole et en voyant sa manière de terminer les phrases de son partenaire, on s’est tout de suite dit : “C’est elle, on l’a trouvée !”
Beaucoup attribuent la normalisation de la culture geek au succès des films Marvel. Cependant, Smallville avait, en son temps, ouvert une brèche. Pour la première fois, toutes les connaissances que les nerds pouvaient avoir sur l’univers de Superman ou DC commençaient subitement à susciter l’intérêt des “cool kids”…
Oui, c’était vraiment une période surprenante ! Tim [Sale, dessinateur de talent avec lequel Loeb avait collaboré sur Un long Halloween et de nombreuses œuvres majeures de DC Comics, décédé en 2022, ndlr] et moi venions d’achever notre travail sur Superman for all Seasons et ce comics a pris pas mal d’ampleur après sa sortie. Un jour, j’ai reçu un appel des créateurs de Smallville qui m’ont dit : ”Écoute, on a plus ou moins repiqué ton boulot sur Superman pour faire notre nouvelle série, t’as envie de jeter un œil au pilote ?” (rires)
Ce n’était évidemment pas tout à fait vrai, mais c’était une bien belle entrée en matière. Il y avait dans leur travail l’équilibre parfait entre l’émotion, l’action, la comédie et la romance. À ce moment-là, les spectateurs zappaient souvent en voyant des shows, parfois au beau milieu d’un épisode. Smallville est parvenu à se démarquer, car, contrairement aux autres productions, le public s’arrêtait dessus en zappant et restait jusqu’à la fin de l’épisode.
Vous aviez déjà écrit des scénarios pour le cinéma, notamment des films comme Teen Wolf (avec Michael J. Fox) ou Commando (avec Arnold Schwarzenegger). Votre expérience de spectateur a-t-elle influencé votre travail ?
J’avais passé 20 ans à écrire des films avant de me lancer dans des projets pour la télévision. Il m’était déjà arrivé de travailler plus d’un an sur un long-métrage, persuadé qu’il était sur le point d’être développé, avant d’apprendre qu’il ne verrait jamais le jour. À l’inverse, tout est très rapide sur le petit écran. Vous écriviez votre histoire, le tournage débute le jeudi suivant, et elle est diffusée trois jeudis plus tard !
J’avais déjà bossé sur Buffy avec Joss Whedon et un groupe de scénaristes incroyables, Al et Miles [les créateurs de Smallville ou plus récemment Mercredi, ndlr] étaient à bien des égards mes mentors, mais je n’étais pas réellement influencé par ce que j’ai pu regarder ou écrire par le passé, car la majorité de mon expérience venait du cinéma.
D’une certaine façon, j’ai dû réapprendre le métier, un peu comme pour les comics. J’en lisais depuis mon enfance, mais lorsque nous avons commencé à travailler sur Challengers of the Unknown avec Tim Sale, je ne savais pas comment on écrivait de BD. Tim m’appelait et me disait : ”Je crois qu’il y a beaucoup de texte pour une seule page !” (rires)
Il faut dire que ce comics marquait le début d’une grande collaboration !
Avec Tim, on pensait que ce serait notre dernière BD. Cette série fait seulement huit numéros, mais c’est l’une de mes créations favorites avec lui. C’était mon ami, mon frère et mon inspiration. Je suis convaincu que le travail que j’ai réalisé avec lui est le meilleur de ma carrière. Nous étions des personnes très différentes, mais nous essayions de capturer l’esprit des choses que nous aimions tous les deux, comme les comics de Jack Kirby ou Jim Steranko.
C’est pour cette raison qu’autant de nos œuvres se situent dans le passé : nous étions plus à l’aise avec l’idée de raconter des histoires qui se passaient non pas au moment où nous avions grandi, mais qui étaient dans l’esprit de celles que nous lisions à cette époque-là.
Ça se ressent énormément sur la série “des Couleurs” que vous aviez conçue pour Marvel !
Et plus particulièrement sur Daredevil Jaune, Spider-Man Bleu et Hulk Gris. Ces histoires portaient plus sur Matt Murdock, Peter Parker et Bruce Banner que sur leurs alter ego. Elles parlaient surtout des responsabilités qui pèsent sur les épaules de ces hommes et le romantisme que cela implique. Comme dans les films des années 1940 que nous aimions tant avec Tim. Vous vous souvenez de cette réplique dans Casablanca, ”Je ne prétends pas être un héros, mais je me rends compte que les problèmes de trois pauvres êtres humains comme nous ont peu d’importance” ? C’est le genre de sentiments qu’on essayait de retrouver dans tout ce qu’on faisait. Mais, quand on travaillait sur Batman ou Superman, nos histoires étaient sur Batman ou Superman. Même si For All Seasons parle un peu de Clark…
Puisque vous le mentionnez, en tant que lecteur, Superman for all Seasons m’a fait donné un sentiment de nostalgie pour une époque que je n’avais pas connue – notamment le chapitre Printemps…
J’ai toujours pensé que la nostalgie était un désir de revenir à une époque qui n’a jamais existé. Vous avez une certaine vision de ce passé et, quand vous lisez l’histoire, vous vous dites : “Oui, cette époque ressemblait à ça !”, mais en réalité, on n’a aucune idée de ce à quoi elle ressemblait véritablement.
C’est pourquoi je suis si heureux que nous ayons écrit tant d’histoires qui se déroulent avant l’invention du smartphone. Aujourd’hui, vous pouvez juste regarder votre iPhone et vous dire : “Ça ne ressemblait pas du tout à ça !”, et je pense que ça crée une difficulté chez un scénariste ou un dessinateur pour capturer l’essence de ce moment.
Pensez-vous que le fait de travailler avec un artiste comme Tim Sale y a participé, en raison de son trait expressionniste qui n’hésite pas à rompre avec la réalité ?
Tim ne cherchait pas nécessairement à être fidèle à ce qu’il dessinait, mais à capturer l’esprit de ce qu’on racontait. Si vous regardez les croquis de ses bureaux, vous en apprenez plus sur un personnage que dans ce que je pouvais écrire à son sujet. Par exemple, le commissaire Gordon est celui qui s’amusait le plus à son travail ! D’ailleurs, Tim, qui adorait le baseball, aimait dessiner des balles de baseball sur les bureaux des personnes qu’il représentait.
Pour ma dernière question, il faut bien que je vous fasse le coup de l’incontournable : avez-vous des futurs projets dont vous pourriez nous parler ?
Évidemment, on me la pose souvent (rires) ! La raison principale pour laquelle j’ai quitté Marvel Television, c’est que j’avais déjà raconté tout ce que je voulais. Mais je sais d’expérience qu’il ne faut jamais dire jamais, et ça dépend de quel artiste est disponible. Les éditeurs m’appellent régulièrement pour me demander si je peux faire une histoire sur un personnage, mais ce n’est pas le principal argument, pour moi.
Évidemment, je dois éprouver de l’empathie envers ce protagoniste et le comprendre, mais j’ai malheureusement perdu tous mes amis avec qui je voulais à nouveau collaborer, comme Sale, Michael Turner, Carlos Pacheco, George Perez et Neal Adams. Ils sont tous partis, en seulement quelques années. J’ai eu la chance de travailler avec Gil Kane sur son dernier projet, et il est décédé sur sa planche à dessin – il est littéralement mort en dessinant.
C’est très triste. Mais pour parler de choses plus joyeuses et pour répondre à votre question, je peux vous dire que je cours après Jim Cheung depuis la sortie de Young Avengers, mais mon ami Allan Heinberg m’a dit qu’il ne dessinait quasiment plus. Le point positif, c’est que ça me laisse le temps de me rendre à des conventions (rires) !