[Rentrée littéraire 2024] En cette rentrée littéraire de janvier, David Foenkinos revient avec La Vie heureuse. Un roman dans lequel il explore la mise en scène de sa propre mort comme promesse de se réinventer.
Deux ans après Numéro deux (Gallimard), David Foenkinos fait son grand retour avec La Vie heureuse (Gallimard). Une histoire singulière entre la France et la Corée, dans laquelle le destin d’un personnage risque d’être bouleversé par l’expérience de sa propre mort. Un roman réjouissant, qui fait écho à nos questionnements contemporains de la plus belle des manières.
« Mais vient un temps où il est difficile de trouver une motivation à poursuivre ce qui existe déjà dans notre vie. »
David FoenkinosLa Vie heureuse
Tout commence, en exergue du livre, par une citation de l’artiste-peintre Charlotte Salomon (sur laquelle l’auteur a par ailleurs travaillé dans son roman Charlotte) : « On devrait même, pour aimer plus encore la vie, être mort une fois. » Tout est dit.
Comment aurions-nous projeté notre propre vie si nous en avions expérimenté la fin ? Dans La vie heureuse, David Foenkinos nous fait partir à la rencontre d’Éric Kherson, un quadragénaire dont le quotidien ne semble menacé par aucun trouble. Éric a la stabilité pour lui, il travaille chez Décathlon depuis des années, tout roule. Il n’attend plus grand-chose.
Mourir pour mieux vivre ?
À ce moment de sa vie où aucune nouvelle promesse ne semble possible, une ancienne camarade, Amélie Mortiers, directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur, le contacte. Elle lui propose de travailler dans son équipe. Pourquoi ? Comment ? Du côté des lecteurs et lectrices, c’est un premier coup de théâtre. Éric accepte et découvre sa collègue sous un jour différent. Entre eux, des liens singuliers se nouent.
Au cours d’un voyage professionnel en Corée, Éric fait un malaise, un vrai, jusqu’à louper un rendez-vous crucial. David Foenkinos construit alors une partie qui s’impose comme le cœur du sujet de La Vie heureuse. À la faveur des événements, Éric découvre le concept « Happy Life », dont l’enseigne lui a attiré le regard en pleine rue.
« De l’autre côté du boulevard, malgré une vision floutée par la pluie, Éric aperçut soudain une enseigne en néons rouge : Happy Life. »
David FoenkinosLa Vie heureuse
En deux mots, Happy Life est une forme de rituel (qui, de toute évidence, existe réellement en Corée du Sud), qui consiste très simplement à mettre en scène son propre enterrement. Sa propre mort. Éric y voit une forme d’issue, un moyen de se réapproprier sa vie. De se réinventer. Happy Life propose même des formules express d’une heure. Alors, comment résister ?
Dans son déroulé, le principe est simple : on se prépare, on rédige un mot en amont, comme une forme de lettre d’adieu, on se fait photographier une (fausse) ultime fois, on réfléchit à sa vie passée, à ses regrets, ses petites tristesses, à son incapacité à vivre, à son manque de vigueur intérieure. Et on se fait enfermer dans son cercueil. Avant de revenir à la vie.
« Le néant s’emparait de lui avec douceur, dans ce voyage statique vers l’essentiel. »
David FoenkinosLa Vie heureuse
Avec ce concept kaléidoscopique, David Foenkinos réussit à déployer des thèmes universels dans une mise en scène singulière, parfois inattendue, souvent touchante. Car il semble évident que mettre en scène sa propre mort fait appel à tout ce qu’il y a de plus humain chez nous.
Un concept comme une promesse
Mais, comme toute création comporte des paradoxes, en nous divertissant avec cette histoire, David Foenkinos nous fait précisément songer à cette notion qu’est le divertissement (au sens pascalien du terme). Une notion dont l’essence est de s’imposer comme une forme de fuite pour éviter de réfléchir à des questions plus profondes. À la manière d’Éric, le personnage d’Amélie l’incarne très bien.
Bien loin de la psychanalyse, ce type d’expérience qu’est la mise en scène de la mort semble imaginé pour donner un nouveau souffle, peut-être une secousse intérieure à ceux qui s’imaginent en avoir besoin. Car, au fond, à travers cette expérience, que cherche-t-on ? Faire le vide ? Faire table rase ? Changer son rapport à la vie ? Accepter ? Avoir une seconde chance ? Pour certains, il s’agit même d’une thérapie. D’un remède contre le suicide. Entre le poids du passé et l’angoisse de l’avenir, certains peuvent trouver une forme de projection vers l’avant en imaginant leur mort. Peut-être en sera-t-il de même pour les personnages de La Vie heureuse…
« La perte de liberté, le sentiment de l’éphémère, l’angoisse existentielle : l’expérience de ces fragilités-là poussait les humains à se redéfinir. »
David FoenkinosLa Vie heureuse
Dans son précédent roman, David Foenkinos dressait le portrait d’un « numéro deux », dont l’essence aurait pu reposer sur une question simple : quel sens donner à sa vie ? Sans surprise, comme une colonne vertébrale littéraire qui porte son auteur de rentrée littéraire en rentrée littéraire, la dynamique semble similaire. Cela est peut-être lié à sa propre expérience de la mort, dont le résultat n’est autre qu’une œuvre équilibrée dans ses réflexions. Et ce dernier-né, La Vie heureuse, porte un titre pour le moins ambitieux, mais trouvé sur-mesure pour un tel thème, à la fois immense et plus que jamais contemporain.
La Vie heureuse, de David Foenkinos, Gallimard, 208 p., 19€, le 4 janvier 2024 en librairie.