En parallèle de la série classique Lucky Luke, une nouvelle collection initiée par Matthieu Bonhomme avec L’Homme qui tua Lucky Luke a vu le jour en 2016. Après Bouzard, Mawil ou Ralph Köni, c’est au tour de Blutch de rendre un hommage personnel à l’homme qui tire plus vite que son ombre dans Les Indomptés. L’occasion pour L’Éclaireur de revenir avec lui sur ce personnage aussi populaire que mystérieux.
En 2016 paraissait L’Homme qui tua Lucky Luke (Lucky Comics), une bande dessinée signée Matthieu Bonhomme. Le titre mettait en émoi plusieurs générations de fans. Ils furent rassurés en apprenant que l’artiste initiait une nouvelle collection convoquant plusieurs auteurs pour rendre hommage à ce personnage mythique. Depuis, Bouzard, Mawil ou Ralph Köni ont relevé le défi.
Aujourd’hui, c’est au tour de Christian Hincker alias Blutch de se mettre à la tâche. L’auteur est resté fidèle à l’esprit de ses mentors, Morris et René Goscinny, parents de Lucky Luke, même si ce dernier n’a rejoint l’aventure qu’en 1955, neuf ans après que Morris l’a mis au monde.
« Lucky Luke me fascine depuis l’enfance. Je l’ai recopié un nombre incalculable de fois. Son côté mystérieux m’intrigue. Il nous est inconnu et pourtant familier. Nous ne savons rien de lui. Il n’a pas de famille, pas d’attache. Il n’a pas de passé ni avenir. Dans les dernières cases, nous savons juste qu’il se dirige vers une nouvelle aventure, c’est tout. C’est une personnalité opaque, dotée d’une psychologie assez mince, autour de laquelle le lecteur peut fantasmer. Il se situe à l’opposé d’Astérix et de Tintin, qui sont entourés de proches. »
De ce fait, Lucky Luke est une page blanche, un terrain de jeu idéal pour les auteurs. Pour composer son album, Blutch lui a mis ses propres enfants dans les pattes : une idée ingénieuse et inédite. Le cowboy n’a jamais été confronté aux enfants, excepté dans Le Desperado à la dent de lait, un court récit publié pour la première fois en 1974 dans Le Journal Lucky Luke. Quant à Billy the Kid, qui a donné son nom à la 35e histoire de la série en 1961, il est davantage un jeune adulte.
Retomber en enfance
Dans Les Indomptés (Lucky Comics/Dargaud), Rose, Casper et Rufus Kinker sont les portraits crachés de Lino, Lucas et Juliette Hincker. « Mes enfants font partie de ce projet depuis le début. Je les observe depuis longtemps. Je souhaitais dresser leur portrait, mais d’une manière qui ne soit pas autobiographique ni naturaliste. Je voulais les mettre en scène. J’en ai alors fait des personnages de fiction ; on y retrouve plus ou moins leurs caractéristiques physiques, leur agitation et leur verve. C’était une de mes grandes ambitions pour cet album ».
Ici, pas de gros méchants. En tant que perturbateur, ce trio de garnements tient parfaitement ce rôle. Il apporte de la nouveauté et de la fraîcheur à la série, mais globalement, Blutch a souhaité rester fidèle à l’esprit de Morris et René Goscinny.
« Globalement, je suis allé chercher l’inspiration dans l’enfant que j’étais, je lui ai tendu la main. »
Blutch
Il reprend un grand nombre de motifs qu’ils ont imaginés : « Dans les albums originaux, la description des villes du Far West et de sa population est assez fouillée. J’ai repris le shérif paresseux, la danseuse au grand cœur, les panneaux à l’entrée des villes… Je me suis calqué sur cette misanthropie détachée qu’on retrouve dans les récits de Goscinny, comme dans Jesse James (1969) ou L’Empereur Smith (1976). Les bonnes gens et les bourgeois n’y sont pas très recommandables, toujours prêts à se lier avec des despotes. Opportunistes, ils sont d’une grande ingratitude et ne méritent pas tout ce que Lucky Luke fait pour eux. »
À travers le personnage du shérif, préférant rester au bureau à gérer des tâches administratives en empilant des fiches de hors-la-loi les unes sur les autres, se cache une moquerie envers la police et l’administration française, mais Blutch se défend d’être un porte-drapeau : « Avec son costume noir et sa moustache, le shérif de cet album est surtout proche des Dupond et Dupont, de ce motif de la police inefficace qu’ils incarnent parfaitement. »
Parmi les autres motifs emblématiques de Lucky Luke, on retrouve le saloon. Depuis 1947, les personnages de la BD y sèment la zizanie et ont tout particulièrement marqué Blutch. « La bagarre de saloon est indissociable des aventures de Lucky Luke. Je ne pouvais pas passer à côté, d’autant que j’en dessinais beaucoup étant enfant, après la lecture d’un album. Ces scènes de tumulte et de désordre me mettaient en joie. Pour celle des Indomptés, je me suis même inspiré de mes dessins d’enfant. Globalement, je suis allé chercher l’inspiration dans l’enfant que j’étais, je lui ai tendu la main. »
Personnage fétiche de Blutch, Rantanplan ne figure pourtant pas au générique des Indomptés. « Je le regrette énormément, mais il fonctionne avec les Dalton qui n’y figurent pas non plus. » Les trois garnements leur ont volé la vedette.
« En dehors de Lucky Luke, Rantanplan est le personnage de la série que je préfère. Il est lunaire : un concentré de poésie. J’avais même imaginé quelques scènes entre lui et Rose », mais, finalement, le lecteur le retrouve en partie dans le personnage du shérif. À la manière du chien attendrissant, il brille par son inefficacité et commente l’action qui ne manque pas de rebondissements et de fantaisie. Comme dans un vaudeville, les personnages se cherchent le long d’un récit en zigzag truculent.
On retrouve dans Les Indomptés tout l’esprit originel de Lucky Luke, revu à la sauce Blutch. Le sien a des lèvres plus épaisses qui lui ont permis de gommer à la fois la cigarette et la paille, et de souligner son exaspération face aux chenapans, mais tous les ingrédients de la recette à succès du tandem Morris-Goscinny sont là et particulièrement bien exploités. Un bel hommage !
Les Indomptés, de Blutch et Daniel Blancou, aux éditions Lucky Comics et Dargaud, 48 pages, en librairie depuis le 1er décembre 2023.