Décryptage

Thorgal ou la longue et douloureuse épopée d’un viking venu des étoiles

10 novembre 2023
Par Robin Negre
Couverture de “Thorgal : le barbare” par Grzegorz Rosiński.
Couverture de “Thorgal : le barbare” par Grzegorz Rosiński. ©Le Lombard

À l’occasion de la sortie du 41e tome de la série Thorgal, L’Éclaireur revient sur la célèbre saga créée par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński en 1977. Plus de 45 ans après les premières aventures du Viking, comment l’œuvre s’est-elle imposée durablement dans le paysage de la bande dessinée européenne ?

Une cicatrice sous l’œil, un arc dans le dos, des cheveux noirs mi-longs, une fine barbe de quelques jours… Qui a déjà lu Thorgal reconnaît vite le personnage. Avec son allure et son charisme « à la Aragorn », le héros créé par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński dans la série du même nom a eu, dès le départ, toutes les raisons de marquer le lecteur et de devenir, en quelques années, une figure forte du monde de la bande dessinée.

Thorgal : l’enfant des étoiles.©Le Lombard

Thorgal surprend par sa complexité et par sa densité, mais convainc – surtout – par son appel enivrant d’aventure, au sein d’un large monde où la construction diégétique démontre une immense maîtrise narrative et où tout, absolument tout, est possible et accepté. Retour sur un monument de la culture, et sur une série qui continue, chaque année, de séduire ses lecteurs.

Savoir se réinventer

Tout débute en 1977 dans Le Journal de Tintin et la publication des premières aventures de Thorgal Aegirsson, orphelin trouvé et recueilli par un peuple viking, adopté et élevé selon ses usages. L’enfant grandit et fait autant face à l’acceptation qu’au rejet de son propre peuple, éternellement considéré comme un bâtard et un étranger. Mais Thorgal grandit bien et devient un redoutable guerrier, habile comme peu à l’arc et doté d’un esprit particulièrement aiguisé. 

La genèse de Thorgal est posée et, pendant des années, Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński vont enrichir la mythologie du personnage, en lui faisant vivre de nombreuses aventures périlleuses. En 2006, après 29 albums, Jean Van Hamme quitte la série et d’autres scénaristes prennent le relai, agrémentant un monde, déjà bien vaste, de nouvelles séries dérivées et de la suite des aventures de Thorgal. En 2019, Grzegorz Rosiński passe également la main, tout en continuant de proposer quelques couvertures inédites.

Thorgal : au-delà des ombres.©Le Lombard

La création de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński devient rapidement culte. La recette ? Une maîtrise absolue de leur univers, aussi bien visuellement que dans les thématiques proposées, et une capacité à constamment se réinventer.

De la résilience sans faille d’un héros

Les premières planches découvertes dans le 41e album, disponible à partir du 10 novembre, Thorgal : mille yeux, le montre une nouvelle fois : la caractéristique principale de la série est, et a toujours été, la résilience sans faille de son protagoniste, associée à une détermination inégalable et un esprit vif. L’objectif du personnage est des plus simples : vivre en paix avec sa famille, loin de la folie et de la violence des hommes. Seulement, le destin – et les dieux – n’épargne jamais Thorgal ou les siens et les personnages sont constamment plongés dans un cercle infernal de dangers et d’oppressions.

Les menaces sont régulières, peuvent venir de partout, d’une simple rencontre ou d’un lieu à priori idyllique. C’est l’une des forces de Thorgal : le répit est une chimère, ce monde est celui de la violence et de l’ambition. Ceux qui rejettent l’un ou l’autre seront, de fait, opprimés. 

Thorgal : la chute de Brek Zarith.©Le Lombard

Une telle description pourrait faire passer la longue saga de Thorgal pour répétitive. Le schéma étant effectivement souvent le même : Thorgal et sa famille trouvent un nouveau lieu et, d’une façon ou d’une autre, Aaricia ou l’un des enfants se fait kidnapper, obligeant Thorgal à les secourir. Mais, grâce à la construction minutieuse d’un monde constamment élargi, le lecteur n’est jamais réellement dans une sensation de redite.

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Thorgal, une fois en mission, n’abandonne jamais. Il s’acharne, se blesse, est jeté au sol, mais continue inlassablement de se relever afin de récupérer les siens. C’est le concept même du héros infaillible, mais tout de même marqué par la vie et les traumas. L’image d’un Aragorn ressurgit. Thorgal connaît ses capacités et sait les utiliser pour parvenir à ses fins. Force physique au moment opportun, agilité de l’esprit dans d’autres situations.

Avec beaucoup d’humanité, le supplice de Thorgal et de sa famille est à la fois la grande force de la série et sa grande tragédie. Le lecteur, lui aussi, aspire à ce qu’ils vivent simplement et à l’écart du monde, mais cela mettrait fin à l’aventure et à la découverte de nombreux univers.

Mondes tangibles et étoiles infinies

Thorgal se présente, au début, comme une histoire de Vikings dans les pays du nord. Très – très – vite, la vérité est dévoilée et donne à la saga une autre dimension, hautement plus symbolique et libérée d’un quelconque carcan narratif. Thorgal est le fils d’un peuple venu des étoiles, échoué sur Terre et recueilli par les Vikings. C’est le mythe de Superman.

Thorgal : les archers.©Le Lombard

Là où la bande dessinée réalise un tour de force prodigieux, c’est dans sa capacité à faire coexister tous les mondes qu’elle présente : le Nord et les Vikings – avec sa propre ambiance –, le monde des étoiles beaucoup plus porté par la science-fiction – avec un design rappelant par moments l’œuvre de Moebius – et enfin l’héroic fantasy, qui jonche l’œuvre au fil des royaumes visités par Thorgal. L’univers médiéval est omniprésent et toutes les inspirations coexistent sans jamais se marcher dessus pour proposer une mythologie propre à Thorgal, cohérente de bout en bout et authentique, tangible, crédible.

Les mondes se succèdent et ne se ressemblent pas, font intervenir de mémorables personnages – Kriss de Valinor ou la Gardienne des Clés pour ne citer qu’elles – et alimentent le sentiment de danger permanent qui pèse sur Thorgal. La mer, la terre… et même le ciel sont source de dangers et abritent de nouveaux lieux.

Thorgal : entre Terre et lumière.©Le Lombard

Le dessin de Grzegorz Rosiński – et l’écriture de Jean Van Hamme, forcément – permet ce tour de force : les propositions graphiques jaillissent du même trait, donnent une couleur identique et reconnaissable à la saga, mais prennent en compte la mythologie convoquée sur le moment. Les albums traitant des étoiles sont différents de ceux se passant chez les Vikings ou d’autres plus terre à terre dans les forêts et les châteaux forts. À chaque fois, le dépaysement est total et l’immersion remarquable.

Une formule inépuisable ?

Tous ces ingrédients expliquent la longévité de la saga. Thorgal ne fait pas de surplace. Chaque album enrichit la mythologie et développe les relations entre les personnages. Thorgal et Aaricia avancent, ont des enfants, connaissent des hauts et des bas, rencontrent puis retrouvent de nouveaux personnages, avant que leurs enfants eux-mêmes prennent une part plus importante dans l’histoire et en deviennent autant les protagonistes. Ce faisant, la série est dans une évolution constante. 

Un avantage, indéniablement, mais aussi un défaut. Avec le départ des premiers auteurs, Thorgal a connu un ventre mou et le risque de voir une forme de routine s’installer commence à émerger. Une formule originale, lors de la première époque, répliquée à outrance par la suite ? C’est l’un des risques et l’un des enjeux pour la nouvelle génération d’artistes à l’œuvre sur Thorgal. L’album Mille Yeux, écrit par Yann et dessiné par Frédéric Vignaux débute alors que Thorgal est mordu par une vipère rouge et doit trouver une pierre tombée d’Asgard pour sauver son fils…

Thorgal : les trois vieillards du pays d’Aran.©Le Lombard

Après tout, Thorgal a toujours été une histoire de transmission et d’héritage (dans les pages comme en dehors). Du peuple des étoiles à Jolan et Louve, et, pourquoi pas… encore plus loin, avec les enfants des enfants. La question de la fin de pose également. Thorgal – le personnage, pas la série – devra forcément, à un moment, s’éteindre.

C’est la promesse posée dès le départ : si l’histoire avance continuellement dans un monde empli de gravité et de violence, Thorgal devra faire face à sa (véritable) mort et ce sujet se ressent régulièrement, en filigrane, dans les questionnements thématiques de la saga.

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En attendant l’heure fatidique, le fils des étoiles est toujours là, armé de la même détermination et de la même force, malgré les échecs (aussi) et les nombreux traumatismes de son passé. Le Thorgal de ce 41e tome n’est pas le même que celui du tout premier. Il s’en est passé des choses, entre horreur et émerveillement, découvertes et pertes, joie et tristesse. Thorgal et Aaricia, quittant avec optimisme et crainte leur village, désireux de construire un foyer paisible, pions au sein d’un jeu cruel des dieux – car destin et divinité ont aussi leur place au sein de la série –, ont toujours la même part de bienveillance et d’innocence, mais doivent aussi concilier le poids de leur voyage et de leur vie. En cela, même si Thorgal vient des étoiles, il est particulièrement humain.

Thorgal – Tome 41 – Mille Yeux de Yann et Frédéric Vignaux, Le Lombard, le 10 novembre 2023 en librairie.

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