La sortie de The Buccaneers ce 8 novembre sur Apple TV+ nous prouve une nouvelle fois que la société victorienne passionne autant les spectateurs que les producteurs. Mais quelles sont les raisons de cette popularité récente, et pourquoi les succès d’audience se multiplient-ils ? Décryptage.
Méconnu en France, le roman The Buccaneers d’Edith Wharton est un best-seller dans le monde anglo-saxon. Il met en scène une bande de jeunes et riches Américaines tentant de trouver l’amour au sein de l’aristocratie anglaise dans les années 1870. Mariages, ambitions, adultères, trahisons et codes cruels de la haute société sur fond de robes à crinoline : la recette parfaite du récit victorien par excellence. Après une minisérie assez décriée de la BBC en 1995, ce roman culte se retrouve adapté une nouvelle fois dans un feuilleton à gros budget. Et c’est tout sauf un hasard : les fresques costumées britanniques et, dans une moindre mesure, américaines n’ont jamais eu autant de succès à l’écran.
Un genre en plein renouveau depuis dix ans
Le phénomène n’est pas récent : dès l’invention du cinéma, des sagas victoriennes en costume faisaient le bonheur des spectateurs et des feuilletons télévisés (particulièrement en Angleterre) ont toujours décrit, souvent de manière poétique et fantasmée, les sociétés de la seconde moitié du XIXᵉ siècle. Mais la tendance semble s’être brutalement accélérée récemment, après le succès spectaculaire de Downton Abbey, diffusé de 2010 à 2015.
Ce récit choral, qui met en scène la vie d’une maison noble faisant face à son déclin, ainsi que la vie de leurs domestiques, est devenu immédiatement culte. Un fan de la série, Sébastien, nous confie que « c’était la première fois qu'[il] voyai[t] une série historique aussi haletante, qui arrivait aussi bien à poser ses enjeux et à décrire cette époque ». Le show l’a même « poussé à faire des études d’histoire », ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Depuis ce triomphe, des dizaines de séries à succès évoluant dans cette période ont été produites. Le site TV Show Pilot a fait un classement des meilleures productions du genre et souligne que plus de la moitié d’entre elles sont sorties entre 2010 et 2023.
Ce foisonnement concerne aussi bien les feuilletons romantiques et adaptés de livres de la littérature classique britannique, que des récits plus fantasmés. Fantastique (Penny Dreadful), polar (Ripper Street), drame historique (Victoria)… Les séries néo-victoriennes se sont immiscées dans tous les genres.
Les raisons du succès
Pour la chercheuse Marine Le Bail, qui décrypte ce sujet dans un article récent pour la Société des études romantiques et dix-neuviémiste, ce phénomène n’est pas surprenant. La période permet de raconter des histoires très variées, assez transgressives et se prête parfaitement à la réinterprétation par un regard moderne.
Elle rappelle à quel point la littérature victorienne était, elle aussi, souvent expérimentale et progressiste, n’hésitant pas à poser des questions de justice sociale ou de représentation des genres qui restent absolument pertinentes en 2023.
Pour les fans, les raisons de ce plaisir de visionnage sont multiples. Caro affirme que « parfois, c’est juste le plaisir de voir de très beaux costumes. Par exemple, La Chronique des Bridgerton n’est finalement qu’une romance assez niaise et classique, mais les vêtements, les décors et la mise en scène sont époustouflants ! »
Son ami Éric abonde dans son sens : « Même si les scénarios ne sont pas réalistes ou historiquement très ancrés, il y a un côté théâtral dans la réalisation, une manière de parler et de filmer qui me plaisent énormément. On voit aussi souvent des petites vieilles qui envoient des piques, et j’adore ça ! »
Certains shows néo-victoriens utilisent en effet le décorum du XIXᵉ siècle britannique comme un outil pour mettre en scène des problématiques modernes ou comme un théâtre permettant de raconter à peu près n’importe quoi. Cependant, d’autres se distinguent par la précision et la qualité bluffante de leur reconstitution d’époques méconnues.
C’est aussi ce que nous dit Louise, une autre amatrice interrogée sur le sujet. « J’ai appris énormément de choses en regardant ces séries. Certaines sont très précises et documentées, loin des fantaisies façon Chronique des Bridgerton. Des émissions comme The Knick ou Mr. Selfridge mettent en scène le monde du travail d’une manière très pointue. »
Des raisons esthétiques, mais également thématiques ou historiques, donc, qui laissent le champ libre aux auteurs pour placer énormément d’ambitions et de problématiques dans leurs créations, et conduisent à des séries à la fois sublimes et étonnamment variées. Aujourd’hui, le genre néo-victorien à la télévision a acquis une base suffisante pour que la production se poursuive de plus belle.
Miss Scarlet, detective privée vient notamment d’être renouvelée pour une quatrième saison, The Gilded Age voit sa seconde saison rencontrer un immense succès critique, et, côté 2024, le nombre d’œuvres du genre en production ne cesse de croître. Une chose est sûre : les séries télévisées n’ont pas fini de scruter la société victorienne sous toutes ses coutures.