Entourée d’un parfum de scandale, la saga fait enfin ses débuts. Une réussite sur bien des points, qui ne plaira pas à tous.
Pour parler de cette série événement, il faut avant tout revenir sur les vives réactions qu’elle a suscitées avant même sa diffusion. La famille de Bernard Tapie a en effet publiquement déclaré que l’homme d’affaires était opposé au projet, que lui avait exposé de son vivant le réalisateur Tristan Séguéla, fils de Jacques Séguéla, ami de Tapie.
Pour autant, elle ne s’est pas opposée à sa production ni à sa diffusion. Laurent Tapie en a même commenté le résultat, avec tiédeur. Ce qui dérange celui qui, comme son père, s’est lancé dans le business, réside avant tout dans l’aspect romancé du show. Pourtant, cette liberté donne un souffle supplémentaire à cette incroyable épopée.
Un format extralarge
Outre le long travail de Tristan Séguéla, qui s’est associé à Olivier Demangel au scénario (Baron Noir, Novembre), l’implication de Laurent Lafitte, pensionnaire de la Comédie-Française, a été salutaire. Le multiple nommé aux Césars pour ses brillants seconds rôles (Elle, Au revoir là-haut) a toujours nourri une fascination pour cette figure des années 1980-1990, rêvant d’interpréter son rôle.
Il aurait plutôt envisagé de le faire dans un long-métrage, mais le format sériel de grande qualité offert par le producteur Bruno Nahon (Tirailleurs) l’a convaincu – pour un budget XXL, à l’image de son modèle. La réalisation n’a effectivement rien à envier à ce qu’aurait pu être un biopic filmique, multipliant les scènes cultes, les plans brillants et parfois même étonnants.
De Wonderman à Tapie
Avec un premier épisode s’ouvrant avec ironie sur une porte de cellule qui se referme, Tapie donne le ton. Pas question d’éluder les erreurs de parcours, souvent immenses, de « Wonderman », titre de travail de la série, abandonné pour des questions de droits (liés à l’univers Marvel).
De ses débuts modestes en tant que vendeur de téléviseurs aux sommets atteints dans de multiples domaines, en passant par un portrait romancé de ce touche à tout invétéré, Tapie s’attache surtout à dépeindre le caractère de son héros.
Une façon de penser et d’être déjà largement documentée. Décrypter la psychologie de la figure de proue d’une « France qui gagne » en pleine période de crise, voilà une idée qu’il eut été impossible de tenir sans un grand Laurent Lafitte. Et le comédien n’a pas manqué ce rendez-vous.
Immense Lafitte
Subtil, évitant avec élégance la caricature, Lafitte parvient pourtant à s’approprier ce tempérament excessif, aux colères proverbiales, dénué de finesse, des fameux « codes » propres aux élites qu’il exècre, tout en lui donnant une part de mystère et même quelques failles inattendues. Focaliser ainsi sur l’aspect humain plus que sur un historique notoire donne le coup d’envoi de sept épisodes haletants, qui s’appuient sur un parcours mémorable et chaotique.
Le fils de chauffagiste, sans jamais renier ses origines, vise la réussite par son opportunisme, sa détermination, tout en payant parfois le prix d’une forme d’autopersuasion, dommage collatéral psychologique de ses talents de bonimenteur. Et… menteur ? Enjoliveur et libre selon lui, s’octroyant régulièrement un droit à la distance vis-à-vis des règles.
Japy, Tapie parfaite
Souvent perçu comme un loup solitaire mû par une force intérieure irrésistible, Tapie doit énormément à sa seconde épouse, Dominique. Dans un casting aussi riche que réussi, Joséphine Japy (Cloclo, Respire) se montre tout simplement parfaite.
Derrière son apparente délicatesse se cache une femme tout aussi déterminée que son mari, dont elle est tour à tour le soutien, le moteur et l’éminence grise, avec de faux airs de Juliette Binoche – la comparaison ne s’arrêtant pas à l’évidence des images.
Avec elle, la pléiade de seconds rôles répond parfaitement aux performances du couple d’acteurs. Un Fabrice Luchini savoureux de retenue, dans un rôle de mentor « indirect » aussi froid que cynique, une Camille Chamoux épatante en assistante dévouée à l’empire en devenir, ou encore un Samuel Labarthe absolument sidérant en François Mitterrand solennel. Seul bémol, les joueurs de l’Olympique de Marseille, assez caricaturaux. Ce sont bien les seuls.
Formica et société
Tapie s’est donné tous les moyens d’un long-métrage. Pour mettre en valeur le jeu d’un casting enthousiasmant, le remarquable travail de reconstitution des décorateurs est à souligner. Des tons orange et bruns emblématiques des années 1970-1980 aux divers véhicules et marques associés aux multiples époques traversées, Tapie offre aussi un voyage dans le temps. Sur le plan musical, la bande originale s’amuse de l’anecdote ayant lié le chanteur éconduit à un certain Michel Polnareff, en faisant un fil rouge cocasse.
Reste que dépeindre dans le détail le passé d’une France souvent fantasmée comme plus agréable à vivre sonne comme un rappel édifiant pour les jeunes générations, ou celles ayant perdu la mémoire. Non, la vie n’était ni plus simple, ni plus belle.
Oui, les problématiques d’aujourd’hui, du mépris de classe ou de l’ambition, au racisme et à la violence sociale, entre autres maux de la société actuels, étaient déjà omniprésents. Un contexte qui donne plus de force encore à l’énergie d’un « Nanar », parfois agaçant, malgré tout.
Le sens de l’affect
Difficile de parler d’une totale neutralité dans la vision donnée ici de Tapie. Si la composition de Lafitte, d’une grande richesse, laisse place à diverses interprétations, celles-ci ne pourront jamais se faire dans l’indifférence ou la binarité.
Les spectateurs touchés par cette volonté farouche de réussite d’un natif de banlieue seront régulièrement gênés par des choix contradictoires. À l’opposé, ceux qui détestent le personnage ne pourront pas lui nier un culot, une audace, mais avant tout un courage, frisant constamment l’inconscience.
Finalement, ce qui divise le plus chez Tapie, dans la série comme chez le défunt homme d’affaires, ce n’est pas tant ce qu’il était que ce qu’il a fait. Une somme de réussites et d’échecs, de qualités et d’imperfections, qui ont consacré, quoi qu’on en pense, Bernard Tapie comme l’une des figures incontestablement marquantes de ces dernières décennies. Comme un dernier clin d’œil, la date de sortie de la minisérie, le 13 de ce mois, évoque immanquablement les Bouches-du-Rhône, et Marseille. À jamais un pionnier.