Décryptage

La littérature Young Adult : les contours d’un phénomène

24 juillet 2023
Par Thomas Louis
La littérature Young Adult est un genre en plein expansion depuis plusieurs années.
La littérature Young Adult est un genre en plein expansion depuis plusieurs années. ©Lolostock/Shutterstock

Véritable sensation de librairie, la littérature estampillée Young Adult n’est pourtant pas toujours très bien identifiée en France. Décryptage d’un segment aux contours parfois mal dessinés.

Partons d’un chiffre : le pôle Young Adult représenterait 43 % de l’édition jeunesse, selon le compte-rendu de Marlène Foucherand à propos de La Littérature Young Adult de Laurent Bazin. Un chiffre éloquent, qui montre bien la place tout sauf anecdotique qu’occupe ce type d’ouvrages dans nos librairies et nos bibliothèques.

Une littérature générationnelle ?

Si l’on traduit littéralement le terme, le « Young Adult » (YA) semble se destiner aux « jeunes adultes ». Une dénomination assez large, qui fait référence à ce type de littérature né aux États-Unis. Selon Agnès Marot, directrice de collection YA aux éditions Scrineo et autrice, les livres Young Adult ont pris une nouvelle ampleur avec le succès de séries comme Hunger Games (2008-2010) de Suzanne Collins et Twilight (2005-2020) de Stephenie Meyer, qui sont devenues des icônes du genre, ou encore Nos étoiles contraires de John Green un peu plus tard.

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Des romans qui ont pour point commun de s’adresser à un public particulier, comme le souligne Lucie, alias @book_shadow_ sur Instagram et TikTok, qui souligne que le public visé par la littérature YA serait : « Les jeunes adultes entre 15 et 25 ans. [Les sujets] abordés sont ceux dans lesquels ils peuvent se retrouver. » Parmi ces sujets, la créatrice de contenu littéraire précise : « Ça passe du harcèlement scolaire au cyberharcèlement, à la dépendance à la drogue, en passant par la grossophobie, l’homophobie : tout est abordé ! »

Ces questions semblent donc ancrées dans une certaine réalité, mais aussi associées à une certaine tranche d’âge, voire à une génération. Entre ainsi en jeu la question de l’identification. Pour Agnès Marot : « La littérature Young Adult est une littérature qui met en scène des personnages qui ne sont plus tout à fait des enfants, mais pas encore vraiment des adultes. Ils sont à ce moment de leur vie où ils ont assez d’expérience et de confiance en eux pour savoir ce qu’ils veulent ou pas, mais où tout est encore possible. En somme, ils sèment les graines de l’adulte qu’ils s’apprêtent à devenir. »

« On donne une grande importance aux personnages et à l’intrigue, parce qu’on veut avant tout divertir nos lecteurs et leur donner des émotions, comme dans la littérature jeunesse. »

Agnés Marot

La directrice de collection d’ajouter qu’au-delà d’être une « mode », le Young Adult « a véritablement apporté quelque chose de nouveau à la littérature, un espace de liberté et de diversité bien plus vivace que dans les autres genres. » C’est peut-être cette liberté et cette diversité qui font qu’aujourd’hui, des romans comme Heartstopper (Hachette, 2019-2023), ou Nous les menteurs (Gallimard Jeunesse, 2014) sont des succès du genre.

Une façon d’écrire le monde

« Les intrigues de Young Adult sont à la fois complexes et efficaces, tout y est utile et nécessaire. On donne une grande importance aux personnages et à l’intrigue, parce qu’on veut avant tout divertir nos lecteurs et leur donner des émotions, comme dans la littérature jeunesse. Mais, derrière cette apparente simplicité, on donne à réfléchir, on évoque des sujets essentiels, on ouvre des portes et on incite le lecteur à s’y engouffrer pour se forger sa propre opinion. »

C’est ainsi qu’Agnès Marot évoque la littérature Young Adult. Une littérature dont l’accès semble facilité par une vision du plaisir de la lecture, sans céder à la facilité. Dans cette perspective, on comprend très vite que tous les thèmes peuvent y être traités.

Couverture du livre Nous les menteurs d’E. Lockhart. ©Gallimard Jeunesse

Pour Lucie, alias @book_shadow_, il faut toutefois se méfier de la limite avec d’autres genres littéraires. C’est la raison pour laquelle, si la sexualité peut être évoquée, une certaine idée de la retenue se devrait d’être mise en place : « Il ne doit y avoir aucune scène de sexe explicite, car sinon, on tombe dans la New Adult ou la Romantasy, qui sont encore deux autres types de littérature différents. Au niveau de la violence, tout est accepté, mais, bien entendu, il ne faut pas tomber dans le gore poussé à l’extrême, car on passerait sur de l’horreur. »

« Pour moi, c’est une littérature qui permet de s’interroger sur le monde qui nous entoure sans en ressortir déprimé, comme c’est bien souvent le cas à cet âge. »

Agnés Marot

Et si, comme le précise Agnès Marot, « la littérature YA n’est pas soumise à la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, on peut donc y parler absolument de tout et on ne s’en prive pas », la porosité entre les genres appuie ce que cette dernière semble penser de la littérature Young Adult. « Pour moi, c’est une littérature qui permet de s’interroger sur le monde qui nous entoure sans en ressortir déprimé, comme c’est bien souvent le cas à cet âge. Plus simplement, les personnages forts construits dans les romans de YA deviennent des icônes auxquelles les jeunes s’identifient, parce qu’ils leur ressemblent. »

L’identification. Un autre élément de réponse, qui nous éclaire autant qu’il nous perd. Car quiconque peut s’identifier à un personnage, quel que soit le genre littéraire. Où situer concrètement la Young Adult dans cette réflexion ?

Une absence de codes ?

Lorsqu’on lui demande des ouvrages typiques de la littérature Young Adult, Lucie évoque des incontournables, comme la saga Le Prince cruel, écrite par Holly Black, la saga Ashes Falling for the Sky, Heartstopper, My Dear Fucking Prince, ou encore La Vie invisible d’Addy Larue. Tous ces livres ont pour point commun… de ne pas réellement en avoir ! La créatrice de contenu précise : « Il n’y a pas forcément de style d’écriture propre à la YA, car on retrouve aussi bien des romans que de la poésie, voire des romans épistolaires. Au niveau des genres littéraires, on retrouve principalement de la romance, du fantastique, de la dystopie ou de la fantasy. »

Couverture du livre Le Prince cruel de Holly Black. ©Rageot

Romance ou fantastique, notre cœur balance. Pour Agnès Marot, qui évoque une grande époque des trilogies, désormais moindre face aux one-shots, « il n’y a pas de codes au sens strict, comme il peut y en avoir dans la romance ou le polar, par exemple. En réalité, c’est une littérature très libre, et c’est justement ce que j’apprécie chez elle : on peut y parler de tout, et de toutes les façons possibles. On note cependant des tendances, comme l’âge des personnages, entre 15 et 25 ans en général, ou encore une narration rythmée au présent et à la première personne du singulier ».

Pour tenter de décrypter ce qui fait le succès de la littérature Young Adult, peut-être pourrait-on également se pencher sur l’objet-livre qui, la plupart du temps, a de quoi attirer l’œil en librairie. La couverture semble, en effet, s’imposer comme un élément distinctif de ce type de littérature.

Couverture du livre La vie invisible d’Addie Larue de V.E Schwab. ©Lumen

Comme le souligne Lucie : « Rien qu’en regardant la couverture on sait plus ou moins à quoi s’attendre comme sujets abordés. » Le livre typique du Young Adult serait donc une promesse claire, lisible, qui ne laisse pas de place à la surprise. Pour Agnès Marot, cela varie selon les genres : « On a souvent soit un personnage en premier plan, soit des couvertures plus graphiques où le titre prend une place importante, surtout ces dernières années. [On utilise] plutôt de l’illustré que de la photo, sauf pour la romance. » Quoi qu’il en soit, la dynamique des couvertures unies ne semble pas toucher le Young Adult, peut-être pour toucher un public particulier, dont les envies se modèlent à travers les images.

Les réseaux sociaux, clé de voûte d’un succès

Si l’on reprend la tranche d’âge à laquelle pourrait se destiner la littérature Young Adult, en réalité, cette dernière n’est qu’une indication approximative. Dans les faits, les lecteurs et les lectrices d’Harry Potter de J. K. Rowling comme d’Et ils meurent tous les deux à la fin d’Adam Silvera sont bien plus différents. En parlant de l’âge du lectorat, Agnès Marot souligne que « celui-ci peut être aussi bien constitué d’enfants qui lisent beaucoup que d’adultes confirmés qui aiment retrouver les codes du genre, et, bien sûr, d’adolescents et de jeunes adultes, comme son nom le suggère ».

Et si le YA touche une génération en particulier, il semble inévitable d’évoquer les réseaux sociaux, qui ont largement contribué au succès croissant de ce genre ces dernières années. Avec TikTok en première ligne, les influenceurs et les influenceuses ont remis au goût du jour certains ouvrages, ou tout simplement fait exploser d’autres, à l’instar des romans de Colleen Hover, À tout jamais et Jamais plus, qui ont permis à l’autrice américaine d’être connue et reconnue dans le monde entier.

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On pourrait également citer Nous les menteurs d’E. Lockhart, qui a précédé Famille de menteurs, ou encore Un palais d’épines et de roses de Sarah J. Maas. Les exemples ne manquent pas. C’est peut-être aussi l’une des raisons qui fait qu’entre l’offre et la demande, Agnès Marot remarque que « toutes les maisons d’édition s’y sont mises, en traduction comme en francophonie ; la tendance semble ralentir au profit des 10-12 ans, mais ça pourrait bien revenir en force avec la mode de la romantasy ».

Indéniablement, les réseaux sociaux ont permis de faire émerger de nouveaux types de partages, comme en témoigne l’activité de Lucie alias @book_shadow_ sur Instagram et TikTok : « Le booksta et le booktok permettent aux maisons d’éditions de faire connaître au plus grand nombre et à moindre coût leurs romans, en passant par les envois de service presse aux influenceurs afin qu’ils présentent à leurs abonnés les nouvelles parutions. Un lien de confiance entre influenceurs et followers est présent, parce qu’on donne notre avis de manière sincère. On a aimé ou on n’a pas aimé pour telle ou telle raison. On met en avant les romans à travers différents supports qui sont faciles d’utilisation. » Une définition classique de cette simplicité avec laquelle quiconque peut évoquer le livre comme objet d’échange, de partage. 

Et ils meurent tous les deux à la fin d’Adam Silvera. ©R Jeunes Adultes

Et lorsqu’on se penche davantage sur la littérature Young Adult, Agnès Marot précise que « Booktube, Instagram et Tiktok notamment sont particulièrement appréciés par les lecteurs de YA, et beaucoup des chroniqueurs et chroniqueuses de livres postent leur retour sur ces réseaux-là. Chaque publication fait l’objet d’un envoi des services de presse aux différents acteurs des réseaux sociaux ; on crée des booktrailers, ou des opérations marketing et soirées de lancement diffusées sur les réseaux… Beaucoup d’auteurs y sont actifs et échangent au quotidien avec leurs lecteurs. C’est un public qui est à l’aise avec les réseaux et qui apprécie d’y trouver une communauté partageant son goût pour la lecture. » Et au fond, c’est peut-être bien ça, le plus important !

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