Il a fait son grand retour, comme les soldes ou les premières chutes de neige le font chaque année. Impossible de ne pas l’avoir remarqué à l’entrée des grandes surfaces. Vendu par centaines au milieu d’un festif et imposant stand, il est encore là : le cahier de vacances.
Comme chaque été, cet ouvrage s’apprête à se glisser dans le sac ou la valise de milliers d’enfants, qui auront comme « devoirs » de le compléter le plus possible sous le regard bienveillant d’un membre de sa famille. Mathématiques, français, géographie ou encore anglais : l’intégrale du programme scolaire de l’année suivante attend ces écoliers en maillot de bain, pas toujours ravis de se replonger dans leur scolarité après lui avoir tout juste dit au revoir, et qui préfèrent souvent replonger dans la piscine plutôt que dans celle, moins rafraîchissante, des tables de multiplication.
Une invention qui fête ses 90 ans
De là à croire que le cahier de vacances en a traumatisé plus d’un, il n’y a qu’un pas. Pourtant, cet ouvrage aussi léger qu’un magazine n’a pas toujours été perçu comme ce cauchemar de l’été que l’on veut à tout prix éviter ou perdre intentionnellement. L’histoire du cahier de vacances est liée à celle d’un homme répondant au nom de Roger Magnard, un représentant en papeterie qui avait décidé de s’installer en Creuse dans les années 1920. À 16 ans, cet originaire du Dauphiné découvre le milieu au côté d’un oncle commercial. Au décès de celui-ci, il reprend ses tournées dans tout le quart sud-est de la France, dont la Creuse, où il rencontrera sa future femme. Mais un événement mondial impacte l’ascension professionnelle de Roger Magnard : la crise économique de 1929. Tous les secteurs ou presque sont touchés, y compris la papeterie. Pendant plusieurs mois, rien ne se vend.
Pour poursuivre les ventes pendant l’été, et ainsi créer un pic de vente en parascolaire au mois de juin pour pallier celui de la rentrée des classes du mois de septembre, Roger Magnard contacte des professeurs pour créer des exercices de charades, rébus ou comptines. Le tout avec l’aide et la complicité de sa femme. Les cahiers de Loulou et Babette, surnom donné en clin d’œil à Louis et Élisabeth, les enfants de Roger Magnard, paraissent ainsi en 1933.
Ces premières versions contiennent des collages, des coloriages, des jeux de mots, des devinettes, le tout pour un programme aussi éducatif que ludique. Au départ, ils ne sont vendus qu’en Creuse et aux alentours. Mais le succès ne se fait pas attendre : alors que les éditions Magnard voient le jour en 1936, on recense 300 000 exemplaires vendus en 1938 et jusqu’à 1 million en 1948. Comment expliquer un tel succès ? Grâce à une communication pour le moins efficace. Pour attirer les plus jeunes, Roger Magnard veut les récompenser et des prix sont ainsi mis en jeu pour ceux qui sauront compléter au mieux le cahier. Parmi les lots incroyables que l’on peut remporter, on retrouve des télévisions ou même des voitures, comme la Simca Aronde, modèle emblématique des années 1950.
Du cahier simpliste, mais généreux, à une offre adaptée pour tous
Aujourd’hui, pour la plus grande tristesse des enfants (et des parents), il n’y a plus de voitures à gagner. Cela n’empêche pas le cahier de vacances de se vendre encore comme des petits pains. Plus de quatre millions d’exemplaires sont en effet vendus chaque année. Mais, comme dans de nombreux domaines, dès qu’un produit devient tendance, la concurrence devient féroce après l’invention de Roger Magnard. Plusieurs maisons d’édition se jettent sur la création de ces cahiers de vacances.
Un autre phénomène des années 1970 va d’ailleurs devenir le terrain de jeu de cette concurrence : l’apparition des hypermarchés. Ces complexes géants où l’on peut acheter de tout sont une aubaine pour les éditeurs, qui y voient une belle opportunité d’entrée sur le marché du parascolaire. Pour se démarquer les uns des autres, tous les moyens sont bons : une mise en page toujours plus attrayante pour les enfants, une ambiance estivale qu’il faut retranscrire dès la couverture, des exercices toujours plus variés, etc.
Quant à Roger Magnard, auteur d’une invention qui perdure, il délègue la gestion de la maison d’édition à son fils Louis, de 1973 à 1993. Deux ans plus tard, le groupe Albin Michel reprend les éditions Magnard. Le développement des collections scolaires, parascolaires et de littérature pour la jeunesse se poursuit en s’inscrivant progressivement dans l’ère du numérique.
Un allié toujours aussi précieux pour bien entamer l’année scolaire
Mais, au-delà d’être un moyen de stimuler un enfant même en période de vacances, le cahier de vacances a-t-il des bienfaits sur sa réussite scolaire ? Deux études françaises menées il y a quelques années ont permis d’en démontrer l’efficacité.
L’étude Rosenwald Tomasini montre d’abord que ce sont les élèves de primaire qui utilisent le plus les cahiers de vacances. Six élèves sur dix en achètent un en primaire, avec un pic en CE1 et en CE2. Par la suite, cela décline avec l’arrivée au collège. Concernant l’efficacité, une autre étude menée par l’Institut de recherche sur l’éducation met en lumière que, si l’on compare les performances scolaires de juin et celles de septembre, les enfants qui terminent leur cahier de vacances ont effectivement de meilleurs résultats que ceux qui n’ont rien fait. Pour cela, il faut avoir terminé son cahier de vacances, ce qui n’arrive que dans quatre cas sur dix. La motivation s’estompe très vite une fois les premiers exercices réalisés… Si seulement il y avait des prix à gagner !