À l’occasion du Champs-Élysées Festival, L’Éclaireur a rencontré la star de Passages, Ben Wishaw, pour revenir sur le film d’Ira Sachs ainsi que sur sa carrière.
Le film a été tourné en France, à Paris. Qu’est-ce que ça vous fait de le présenter au Champs-Élysées Festival ?
C’était super. C’était vraiment agréable de retrouver les membres de l’équipe. C’était magnifique. Paris occupe une place spéciale dans le film, j’ai le sentiment que c’est un personnage à part entière. Pouvoir partager Passages avec le public parisien était un moment spécial.
Qu’est-ce qui a motivé votre participation au film en tant qu’acteur ?
Je voulais vraiment travailler avec Ira Sachs. J’adore également le travail de Franz et d’Adèle, alors, quand j’ai vu leurs noms, j’ai sauté sur l’occasion. Puis, il y avait aussi le script. Quand je l’ai lu pour la première fois, l’histoire se déroulait à New York. Il y avait une atmosphère différente. Pour des raisons de financement, Ira a déplacé le film à Paris, ce qui a ajouté une certaine force. Le scénario est vraiment captivant, car il pose la question : “Que vont-faire ces personnages maintenant ? Comment vont-ils s’en sortir ?” C’était intéressant, parce que c’est à la fois tragique, mais aussi très drôle à lire, puis à découvrir sur un grand écran.
Comment décririez-vous l’attitude de Martin, votre personnage, face à l’adultère de Tomas (Franz Rogowski) et sa relation avec lui ?
Je pense que nous ne contrôlons pas constamment tout ce que nous faisons. D’après mes expériences et ce que j’ai pu connaître en termes de désir et de relations amoureuses, l’amour est irrationnel ; les gens font des choses étranges. Je ne pense pas que Martin soit cohérent. Il l’aime autant qu’il le déteste. Il est constamment dans le conflit, mais finalement on peut tout simplement dire qu’il a une réaction humaine.
Pensez-vous qu’il soit dans une relation toxique ?
J’ai un vrai problème avec ce mot maintenant, parce que j’ai l’impression qu’il est utilisé à tort et à travers. Je ne dis pas que ce n’est pas une chose réelle, mais est-ce que pour autant je pense que Martin et Tomas ont une relation toxique ? Peut-être.
« Pour moi, le cinéma d’Ira Sachs c’est un cinéma de l’humain, je dirais même humaniste. Il s’intéresse vraiment aux gens. »
Ben Wishaw
Je ne pense pas qu’il ait été abusé en revanche. Il pourrait partir. Il a monté son business. L’appartement lui appartient. Il choisit de rester et il choisit de le laisser rentrer. Il est humain ; il peut donc ressentir une chose et en dire une autre, ou dire une chose et en ressentir une autre. Ça peut être parfois chaotique.
Comment avez-vous travaillé avec Franz et Adèle sur le film ?
C’était une très belle collaboration. Franz Rogowski est vraiment différent de moi. Il aime bien être en désaccord – pas avec moi, bien sûr, mais parfois avec Ira. Il faisait preuve de force par son point de vue, ou à propos de quelque chose qu’il ne comprenait pas ; un peu comme son personnage, finalement. J’ai adoré ça, il avait beaucoup d’idées et Ira le laissait tout essayer. J’ai suivi cette effervescence, c’était génial. Parfois, il y avait des choses improvisées et certaines d’entre elles sont dans le film. Il proposait des choses intuitives et brillantes.
Adèle Exarchopoulos, j’ai l’impression qu’elle est assez mystérieuse. Elle n’a pas besoin de parler, de comprendre le pourquoi du comment. J’aime beaucoup cela, elle a ce “je-ne-sais-quoi” très mystérieux. C’est tellement naturel et c’est comme si elle ne jouait pas du tout.
Quel genre de réalisateur est Ira Sachs sur un tournage ?
Ce n’est pas un tyran, loin de là, et pour autant il est très fort. Il est totalement en contrôle. Une fois qu’il a mis en place le cadre de la scène et l’angle de sa caméra, il ne vous dit plus grand-chose. Il vous laisse évoluer, répéter, vous tromper ; de temps à autres, il va vous donner une indication. C’est très confortable comme exercice.
Comment pouvez-vous décrire l’univers cinématographique d’Ira Sachs en tant qu’acteur ?
Pour moi, c’est un cinéma de l’humain, je dirais même humaniste. Il s’intéresse vraiment aux gens. Cela semble tellement stupide à dire, mais en fait, beaucoup de films ne s’intéressent pas aux personnes, mais plutôt aux concepts, aux idées ou aux codes d’un genre. Ira est passionné par les êtres humains et les situations désordonnées dans lesquelles les êtres humains se retrouvent.
Il analyse une situation et laisse les complexités de celle-ci se dérouler. Tout est un peu ambigu ; le méchant peut également être le gentil. Tout est nuancé dans son cinéma.
Revenons sur votre carrière, très diverse car vous êtes passé autant par les blockbusters que les films indépendants. Pourquoi est-ce important pour vous d’avoir cette variété artistique ?
Quand j’ai commencé, je ne comprenais pas tellement ces différences. Je travaillais principalement dans de petits films indépendants dans lesquels j’avais beaucoup de liberté, parce que c’était soit des cinéastes qui tournaient pour la première fois, soit des projets complètement étranges qui n’étaient pas destinés à un large public.
J’ai toujours aimé ce sentiment de liberté, tout en suivant une personne avec une vraie vision ; que nous essayons tous de réaliser. J’aime ça. Ça a toujours été important pour moi. Quand j’ai eu 30 ans, on m’a demandé d’être dans un James Bond et je ne pouvais pas refuser cette opportunité. Je n’arrivais pas à y croire [rires].
J’ai adoré l’expérience sur cette saga, mais c’était très important de revenir à un travail indépendant. On peut utiliser les blockbusters comme une plateforme pour faire des films plus petits, d’où l’importance de cette diversité.
Vous venez également du théâtre. Est-ce plus compliqué de jouer sur scène ou devant une caméra ?
Les deux sont assez durs [rires]. La caméra voit évidemment chaque chose, même ce que vous pensez, même les choses invisibles. C’est difficile parce qu’on ne peut pas mentir, on ne peut pas merder. Le théâtre est aussi très dur, parce qu’il faut être naturel dans un cadre complètement contre nature. Il faut être dans l’instant, mais aussi projeter quelque chose pour la suite.
Passages, d’Ira Sachs, avec Franz Rogowski, Ben Wishaw et Adèle Exarchopoulos, 1h31, en salle le 28 juin.