Entretien

Cannes 2023, Julie Gayet : “Il ne devrait plus être possible qu’une jeune femme arrête de faire son métier parce qu’elle s’est trouvée en danger”

26 mai 2023
Par Lisa Muratore
Julie Gayet.
Julie Gayet. ©Shutterstock/Denis Makarenko

Habituée du Festival, Juliet Gayet est revenue auprès de L’Éclaireur sur son travail et son engagement féministe en tant qu’actrice, productrice et écrivaine à l’occasion d’une séance de dédicace sur la Croisette, à la Fnac de Cannes. Rencontre.

Qu’est-ce que le Festival de Cannes représente pour vous ? 

C’est tout le cinéma que j’aime. J’ai été à Cannes la première fois, je devais avoir 17 ans ou 18 ans. Je suis arrivée en train de nuit, j’ai dormi sur la plage et je suis repartie avec un train de nuit. Il s’agissait, une fois sur place, de rentrer dans les projections. Puis, je suis revenue en tant qu’actrice avec Agnès Varda pour un de mes premiers grands rôles au cinéma.

Julie Gayet et Alain Delon dans Les Cent et une nuits de Simon Cinéma d’Agnès Varda. ©Ciné-Tamaris

C’est une femme très importante dans ma carrière. J’ai monté les marches pour le film au bras de Michel Piccoli. À l’époque, le film qui était distribué devant les portes avait mis une photo de nous en disant “Michel Piccoli et Jessica Lange ?” C’était pas mal comme référence [rires]. Je viens au Festival de Cannes depuis 30 ans, tous les ans. J’y ai présenté des films en tant que productrice aussi. C’est une autre étape, c’est extrêmement émouvant. 

En quoi la production a-t-elle un côté émouvant ? 

Je mets beaucoup d’émotions dans mon jeu, mais c’est plus rare de recevoir un scénario qui est exactement ce à quoi on pense, ce à quoi on est en train de réfléchir, les questions qui vous travaillent. Il y a vraiment eu des périodes dans ma vie où je me suis posée des questions, et où je recevais des scénarios qui étaient en phase avec cela. Productrice, c’est l’inverse. J’ai envie de traiter un sujet dont on ne parle pas, de l’initier et de se dire, quand arrive le premier jour de tournage, qu’on l’a fait. Après, il faut le faire tourner, le montrer ; il faut le vendre [rires]. Il faut que tout le monde le voit. Se dire que c’est venu d’une envie et avoir réussi à le faire, c’est un petit miracle, parce qu’on le porte au même titre qu’un réalisateur ou une réalisatrice. 

Vous semblez avoir de nombreux souvenirs à Cannes. Y-en-a-t-il un que vous retenez particulièrement ? 

Je dirai que c’est sûrement ma première fois avec Michel Piccoli et Mathieu Demy. Je pourrais aussi citer le tournage avec Mathieu Demy de notre court-métrage pendant le Festival Cannes. On avait réussi à tourner ça, mais tourner à Cannes, c’est quelque chose. On volait les images, on a beaucoup ri. Je me souviens aussi d’avoir vu Madonna, d’avoir trouvé qu’elle était toute petite [rires], de croiser les grands acteurs et actrices, de voir Hippolyte Girardot dans un film qui s’appelait Hors la vie, ou la claque de Xavier Dolan.

Xavier Dolan au Festival de Cannes.©Shutterstock/Denis Makarenko

Je me souviens des claques de cinéma où on met deux heures à s’en remettre, et de pleurer à la projection de 8 heure du matin en sortant de la salle. Je dois aussi mentionner les soirées, car Cannes c’est aussi ce business informel, les rencontres improbables qui font qu’on travaille même à 1 heure du matin sur la piste de danse.

Vous évoquez Agnès Varda ; quel regard portez-vous sur la sélection des réalisatrices au Festival de Cannes cette année ? 

Pour l’instant, ce n’est pas assez. Ce pourcentage est tout de même très faible, du moins pour la sélection officielle, car du côté de la Quinzaine des Cinéastes, on a une parité ; comme quoi on peut y arriver dans les sections parallèles. Je pense aussi à Julia Ducournau qui a eu la Palme d’or. Il y a aussi Ramata-Toulaye Sy qui vient présenter son premier long-métrage en compétition officielle. Je me dis que ça s’ouvre, mais il y a encore du chemin. Le sujet, c’est aussi de produire plus les femmes pour qu’elles aient des plus gros budgets.

C’est une volonté en tant que productrice d’aller vers ce genre d’engagement ? 

Oui, c’est une priorité de mettre les femmes en avant dans l’industrie, de les mettre en réseau, de les aider, de les soutenir. Je trouve qu’entre Agnès Varda – qui a été ma maman de cinéma, qui était quelqu’un de très engagé sur la question des femmes – et aujourd’hui, les femmes se mettent plus en association ensemble ; elles témoignent de plus de sororité. Je pense que c’est positif. 

Est-ce qu’il y a une réalisatrice que vous attendez particulièrement cette année au Festival ?

J’adore Justine Triet. Depuis Victoria (2016), j’ai une vraie passion pour elle. Je suis très curieuse de découvrir Anatomie d’une chute. 

Virginie Efira et Melvil Poupaud dans Victoria de Justine Triet.©Ecce Films

Vous êtes passée par le documentaire en tant que réalisatrice. Avez-vous comme projet de vous tourner vers la fiction ? 

Le prochain, c’est une fiction sur Olympe de Gouges. Je ne sais pas si j’ai des choses à dire comme réalisatrice, mais c’est vraiment une femme inspirante. J’ai envie de raconter aussi comment l’engagement des femmes est né depuis la Révolution française. Elle a fait beaucoup de choses, elle était sur le droit des femmes, elle a écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle était contre l’esclavage ; c’est-à-dire vraiment les droits de l’homme dans l’humanisme, dans toute sa complexité.

Je me dis que ça, je peux le raconter parce que j’ai un point de vue, mais j’ai toujours eu une grande pudeur. C’est tellement féminin de ne pas oser ! J’ai mis dix ans à monter ma société de production. Donc ce que je dirais aux jeunes filles d’aujourd’hui, c’est d’y aller et d’oser. Il ne faut pas avoir peur, ne pas trop se juger et oser être polyvalente. On est hyper polyvalentes. La preuve, j’ai été comédienne et productrice. J’aime bien l’idée maintenant de passer à la réalisation. 

Vous encouragez les femmes à décupler leurs capacités, est-ce le fondement de votre livre, Ensemble on est plus fortes ? 

Oui, complètement. L’idée, c’était de raconter comment toutes les femmes qui sont sur le terrain, qui sont des anonymes et qu’on ne connaît pas, sont des femmes fortes. Je suis très impressionnée de voir partout en France des associations, de voir comment les femmes sont solidaires et comment elles font bouger des choses. C’est ça qui me frappe. J’avais envie de les mettre en avant et de raconter des parcours dans une période où tout se polarise.

À partir de
19€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Il y a parfois des terrains de violence et de rage, peut-être nécessaires, mais moi je ne suis pas là-dedans. J’ai envie de montrer des chemins positifs, concrets ; que chaque pas est une victoire. 

Entre écrire, réaliser, produire, jouer, qu’est-ce qui est le plus dur finalement ? 

Ce sont des endroits différents. Jouer, c’est la base de mon métier. J’adore ça, c’est ma passion. Ce qui est dur, ce n’est pas tellement de jouer, c’est d’avoir des rôles, et des rôles à la hauteur. Produire, c’est passionnant parce qu’on choisit et on développe. Après, ce qui est très dur, c’est de trouver l’argent pour des projets très différents. Dans chaque spécificité, il y a des choses intéressantes, mais ça s’enrichit. Le fait d’avoir produit, ça a enrichi mon jeu, qui a par la suite enrichi ma curiosité. Tout cela m’a permis de m’autoriser. Je dirais que tout est à prendre.

Récemment, Adèle Haenel s’est exprimée sur le milieu du cinéma dans une lettre ouverte. Étant donné votre engagement féministe, qu’avez-vous pensé de cette prise de position ?

J’ai signé une tribune avec une centaine d’actrices et d’acteurs, parce qu’il ne s’agit pas d’opposer les femmes et les hommes, bien au contraire. On est tous conscients qu’on ne peut plus faire comme avant. Je crois qu’Adèle Haenel a été, à un moment donné, le révélateur de tout cela. C’est vraiment elle, dans sa première interview qui était absolument incroyable, qui a parlé de cette idée de culture du viol et qui a dit aussi cette chose très juste : “Ce ne sont pas des monstres, c’est autour de nous, c’est la société qui crée ça.” La société ne s’occupe pas assez de régler cette problématique de la violence faite aux femmes.

La dernière apparition d’Adèle Haenel dans une fiction remonte à 2019.©Denis Makarenko / Shutterstock.com

Depuis que notre industrie a déclenché la vague #MeToo à la suite de l’affaire Weinstein, ce sont les actrices qui ont été les premières à témoigner. Meryl Streep l’a dit très justement, on le savait. Il faut changer les choses. Depuis 2017, on essaie de faire bouger les choses pour qu’il y ait des référents sur les tournages, des formations pour les producteurs, de l’éducation et des protocoles pour protéger tout le monde.

C’est impossible aujourd’hui de faire comme avant. Je crois qu’on a une responsabilité. Le Festival de Cannes a une responsabilité et l’industrie a une responsabilité vis-à-vis de cela. 

À lire aussi

On sent quand même une grande tristesse, une crispation. Il y a eu une incompréhension sur le sujet. L’idée, ce n’est pas de balancer des noms, c’est de changer le système. Aujourd’hui, c’est ce que l’on cherche à faire. C’est pour cela que c’est dur de se dire qu’Adèle Haenel a subi des pressions et qu’elle est partie, mais chacun a son propre cheminement. Certainement qu’elle est partie sur d’autres engagements et d’autres parcours. Dans notre industrie, il ne devrait plus être possible qu’une jeune femme arrête de faire son métier parce qu’elle s’est trouvée en danger. On connaît trop d’acteurs et d’actrices dans cette situation-là, il faut les protéger et être fermes sur ces questions-là, sur les violences en l’occurrence, et après trouver des mécanismes pour plus de justice. 

On sera toujours intransigeants. Je pense aussi à la protection des enfants, car Adèle Haenel était mineure, et c’est la question aussi des mineurs sur un tournage. Cette affaire a changé notre perception. On se bat pour que ça change, et vous pouvez compter sur nous. 

Ensemble, on est plus fortes, de Julie Gayet, aux éditions Stock, depuis le 8 mars 2023 en librairie.

À lire aussi

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste