Entretien

Suzy Bemba pour Le Retour : “Ça fait du bien de se dire que des gens se reconnaîtront dans ce film”

24 mai 2023
Par Lisa Muratore
“Le Retour” de Catherine Corsini a été présenté en sélection officielle du Festival de Cannes.
“Le Retour” de Catherine Corsini a été présenté en sélection officielle du Festival de Cannes. ©Emmylou Mai/Chaz Productions

À l’occasion de sa présentation en sélection officielle au Festival de Cannes 2023, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec Esther Gohourou et Suzy Bemba, les deux actrices principales du Retour, réalisé par Catherine Corsini.

Cette année, la réalisatrice Catherine Corsini a fait son retour au Festival de Cannes, deux ans après La Fracture. Après avoir filmé des urgences hospitalières sous le prisme du couple et de la crise des gilets jaunes, la cinéaste française a choisi de raconter dans son nouveau long-métrage, Le Retour, la trajectoire de Khédidja (Aïssatou Diallo Sagna) et de ses deux filles, Jessica (Suzy Bemba) et Farah (Esther Gohourou).

Venues passées l’été en Corse, île qu’elles ont quitté il y a 15 ans, ces trois femmes vont se reconnecter à leur passé. Une quête de vérité qui les mènera sur le chemin de leurs premiers émois et de leur identité, dans un film aussi beau qu’étonnement drôle, et sur lequel L’Éclaireur est revenu avec ses actrices principales, Suzy Bemba et Esther Gohourou.

Qu’est-ce que ça vous fait d’être à Cannes pour présenter Le Retour ? 

Esther Gohourou : Je kiffe, étant donné que c’est ma première fois au Festival. J’aime bien l’ambiance. C’est bien, on s’y sent bien. Je pense que l’on mérite d’être là après tout ce travail.

Suzy Bemba : Pour moi, c’est très agréable d’avoir un peu de reconnaissance et de se sentir légitime. Cannes permet de reconnaître le travail et, vu qu’on a beaucoup travaillé sur ce film, ça fait du bien. 

Suzy, qu’est-ce qui vous a intéressé dans le projet en tant qu’actrice ?

S.B. : Ce qui m’intéressait, c’était que c’est un scénario qui met en exergue trois femmes noires qui étaient les personnages principaux du film, sans en faire un sujet ; c’est-à-dire que l’on ne se concentre pas sur le racisme ou l’expérience du racisme en France. On parle d’identité et de la recherche de vérité. En fait, je pense que les filles que l’on interprète sont tournées vers un moment de leur vie où elles peuvent se poser certaines questions et qu’elles vont chercher les réponses elles-mêmes. 

Pour mon personnage, ce qui m’a touché et ce pourquoi j’ai voulu le rôle, c’est que c’est une femme noire qui excelle et qui, en apparence, ne souffre pas ; en tout cas elle ne souffre pas de sa condition. Elle essaie même de s’en affranchir ; je veux dire par là qu’elle veut plus. Elle n’est pas dans une souffrance absolue au quotidien, mais elle ne se contente pas non plus de ce qu’elle a. 

Suzy Bemba et Lomane De Dietrich dans Le Retour.©Chaz Productions

C’est toujours jouissif de jouer un personnage qui est ambitieux et qui a une rage à l’intérieur. En plus de ça, elle aime les filles. On est sur un niveau de représentation à peu près excellent. Ce sont des sujets qui nous concernent tous. En France, je n’ai jamais vu un film avec une jeune fille noire et lesbienne. Ça fait du bien de se dire que potentiellement des gens se reconnaîtront dans ce film.

Esther, le levier que représente le cinéma dans la question de diversité et de représentation, c’était primordial pour accepter le rôle de Farah ? 

E.G. : Oui, la diversité est importante et le fait que le film se base sur trois femmes en tant que personnages principaux, c’est quelque chose qu’on ne voit pas souvent au cinéma. Je suis quelqu’un qui va beaucoup au cinéma et je n’ai jamais vu une telle représentation. 

J’ai bien aimé le challenge, c’était bien, que ça soit par rapport à mon rôle ou à celui des autres. J’ai beaucoup observé celui de Jessica : c’est une femme noir qui veut toujours aller plus haut, et qui est lesbienne. C’est vrai que la représentation ici, elle est intacte et c’est important. Les étoiles se sont enfin alignées.

Esther Gohourou et Cédric Appietto dans Le Retour.©Chaz Productions

Vous reconnaissez-vous dans vos personnages ? 

E.G. : Mon personnage, c’est le contraire de sa sœur, elle se fout de tout, elle a de la spontanéité, elle vit, elle ne réfléchit pas. Je me reconnais totalement dans Farah. On me fait remarquer je lui ressemble dans ma façon d’être, d’ailleurs. Pour autant, mon personnage n’a été pas été facile à composer. Il y a des scènes lourdes et des moments difficiles. Malgré ça, j’ai adoré jouer le rôle de Farah, car il y aussi des scènes très amusantes dans le film. 

S.B. : Je me reconnais beaucoup dans mon rôle ; en tout cas, il y a une partie de moi plus jeune que je reconnais. J’étais très bonne élève à l’école et je n’arrivais pas à me contenter. Je voulais avoir toujours plus, ce qui parfois peut être contreproductif. Je pense qu’il faut savoir le mettre au bon endroit aussi, et c’est ce que Jessica est en train d’apprendre dans ce film ; comment réguler son désir, son désir de vérité, son désir de “non-contentement” ?

C’est très intéressant, car on se pose nous-mêmes la question : comment est-ce que je me positionne par rapport à ce désir de succès, par rapport à ce désir de dépassement des classes ? Pendant tout le film, mon jeu a été guidé par le fait de savoir pourquoi elle veut plus. Pourquoi elle a cette soif de vérité ? Pourquoi fait-elle Sciences Po ? Est-ce parce qu’elle veut absolument s’affranchir des codes ? Parce qu’elle a un complexe d’infériorité ? Parce qu’elle est carriériste ? Je n’ai pas du tout la réponse.

Comment avez-vous travaillé votre dynamique toutes les deux, mais aussi avec Aïssatou Diallo Sagna et Lomane De Dietrich ?

S.B. : Cela s’est fait en amont du tournage. Les filles ont eu un mois de préparation. Pour ma part, je suis arrivée plus tard sur le projet, donc j’ai eu deux semaines. Pendant celles-ci, ça a été de la préparation non-stop. On était constamment ensemble, que ce soit Esther et moi, Aïssatou et moi, ou encore Lomane, qui joue Gaya, et moi. On a travaillé sur la “physicalité”, sur les habitudes et sur les automatismes qu’on pouvait avoir en tant que famille.

Ça s’est créé petit à petit, et pendant ces deux semaines c’est arrivé assez vite avec Esther et Lomane notamment, puis avec Aïssatou. C’est vraiment une grande tarte avec des couches : on a commencé avec la fabrication pendant les répétitions, maintenant, on est en train de la faire cuire.

Est-ce que durant le tournage il y a eu des parties improvisées ? Le film témoigne d’une grande spontanéité.

E.G. : On avait des textes et il y avait des scènes clés dans lesquelles nous n’étions pas obligées de nous cantonner au texte, même si on avait une trame solide. On avait surtout des situations improvisées pendant les répétitions. Catherine Corsini nous donnait des situations et nous laissait vivre les situations de nous-mêmes, puis on réajustait. 

S.B. : Ce travail d’improvisation a créé des choses au scénario. Cette capacité d’improvisation que l’on a débloquée pendant les répétitions, ça nous a permis pendant le tournage d’avoir, encore une fois, ces automatismes. On se connaît, on a des regards particuliers, et on sait ce que ça veut dire. Donc, inconsciemment, je pense que l’improvisation, même si elle n’était pas toujours présente sur le plateau, nous a permis de nous affranchir de certains cadres.

Comment décririez-vous le cinéma de Catherine Corsini ? 

S.B. : C’est difficile, car je pense qu’il y a autant de genre de cinéma que de films. Ce qui est captivant chez elle, c’est son scénario. Elle a à cœur de faire des représentations qui ne vont pas être des clichés ou des sujets en soi. Par exemple, quand elle parle d’homosexualité, ça ne va pas être un sujet de société, c’est juste une donnée. En revanche, elle puise dans la vérité pour faire une image de fiction qui est représentative de la société à un instant donné ou en tout cas d’une certaine partie de la population. 

Catherine Corsini. ©Shutterstock/Denis Makarenko

C’est très intéressant de se dire que l’on peut faire des photos qui sont exhaustives ou non, et que l’on peut aider à la représentation de ces photos. Après, ce qui me touche dans son cinéma, c’est vraiment la pureté de ses histoires et la limpidité de sa direction. 

E.G. : Je dois avouer qu’avant le film, je ne connaissais pas le cinéma de Catherne Corsini. J’ai découvert son univers et je dois aussi souligner le scénario. Encore aujourd’hui, alors qu’on a fini le tournage, je relis le scénario. J’ai adoré le relire, ça me rappelait les scènes, les moments de tournage. C’est vraiment ce qui définit son sujet, la manière dont elle s’empare des sujets. Elle ne se focalise pas que sur un sujet et elle n’est jamais moralisatrice. Il y a le sujet et, quand il est là, on le comprend, mais ça glisse. 

Comment pourriez-vous décrire Le Retour 

S.B. : C’est une photo non exhaustive de trois femmes noires et leur rapport à l’identité, au secret et à la famille. 

E.G : Je dirais que c’est avant tout une comédie dramatique. Du moins, disons que ce n’est pas une comédie, mais quand c’est drôle, c’est très fin. Quant au drame, il réside avant tout dans le secret. 

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Lisa Muratore
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Journaliste