Mettre en avant les nouveaux talents de la culture, c’est la mission que s’est donnée L’Éclaireur. Ce mois-ci, coup de projecteur sur la vidéaste et journaliste cinéma Mélanie Toubeau, qui se cache derrière la chaîne YouTube La Manie du cinéma, afin de parler de son parcours, son travail, mais surtout d’une passion pour le septième art qui l’anime depuis l’enfance.
La Manie du cinéma. C’est avec cet astucieux jeu de mots et une chaîne YouTube réunissant plus de 48 000 abonnés que Mélanie Toubeau partage chaque jour sa passion pour le septième art et les secrets du grand écran. Grâce à cette page créée en 2016, cette cinéphile entend raconter des anecdotes, décrypter les coulisses, mais aussi fouiller dans les références cachées des longs-métrages.
Mélanie Toubeau a également compilé sa passion dans un livre intitulé T’as la ref ? (2022, Hors Collection), signe des nombreuses casquettes que la vidéaste et journaliste cinéma s’emploie à porter chaque jour. On lui doit également la série documentaire CinémAccessible dans laquelle elle dépeint l’accessibilité des personnes handicapées aux salles de cinéma.
Mélanie Toubeau a donc plusieurs cordes à son arc et entend partager son engouement pour le septième art à travers une variété de moyens et de manies. Entre tous ces projets, la youtubeuse a tout de même pris le temps de rencontrer L’Éclaireur afin de discuter de sa trajectoire et de sa passion. Rencontre avec notre talent du mois.
Comment est né votre amour pour le cinéma ?
Je dirais que ça commence de manière assez matérielle. Je me souviens, quand j’avais 8 ou 9 ans, on allait beaucoup au cinéma avec ma famille, sauf que je ne me souvenais jamais des films que je voyais. En revanche, on allait voir le projectionniste, car on a toujours eu avec mon frère cette curiosité. On se retournait pendant les séances pour regarder le projecteur et la lumière. Puis, le projectionniste nous montrait la pellicule, la bobine et le projecteur.
Quand on y allait, il nous donnait les bobines de bande-annonce, ce qui fait que j’ai une collection d’une quarantaine de bandes-annonces de films des années 2000. C’est comme ça que j’ai découvert le cinéma. Ce n’est pas forcément à travers l’écran, mais plutôt grâce aux projectionnistes et à ce qu’ils nous offraient à chaque fois. C’est ça qui m’a fait aimer le cinéma, surtout l’objet cinématographique en tant que tel. C’est vraiment le toucher de la pellicule et l’intérêt de la salle. Ça n’a jamais été juste les films qui m’intéressaient, mais l’ensemble.
Pouvez-vous nous décrire votre rapport à la salle de cinéma ?
Cet amour de la salle, il est venu de plusieurs manières, avec justement cette découverte de la cabine de projection. La salle de cinéma, je ne la visualisais pas qu’à travers le grand écran. J’ai fait le lycée Bristol à Cannes avec option cinéma et on pouvait faire un stage durant le Festival de Cannes en devenant des doublures lumière pour les répétitions des cérémonies d’ouverture et de clôture. Pendant deux jours, on faisait semblant d’être des stars et le jury. On avançait sur la scène pour que l’équipe lumière puisse faire des tests en amont. Grâce à ça, j’ai rencontré Tim Roth, Michel Hazanavicius, Kyan Khojandi, j’ai pu parler avec Beth Ditto et Ewan McGregor…
J’ai découvert le côté grandiose du Festival de Cannes. Puis, j’ai fait un BTS audiovisuel en montage, toujours à Cannes, et ça nous as permis de faire des stages durant le Festival. J’ai travaillé avec la CST (Commission supérieure des techniques de l’image et du son), qui, pendant la Quinzaine, gère les projectionnistes. Donc j’étais sans arrêt dans les salles à leur contact et plus largement avec des gens qui travaillaient sur la salle de cinéma en tant que lieu. Cela m’a vraiment fait aimer encore plus l’endroit.
J’ai rencontré plein de gens qui travaillaient d’un point de vue technique, mais aussi économique par rapport à la salle. La salle, je l’aime autant pour le côté caverne de Platon et l’évasion que ça propose que pour les gens qui y travaillent. Quand on va voir un film en salles, ce n’est pas juste une question d’émotion, c’est aussi une aide aux entreprises et aux réalisateurs. Le premier film de Julia Ducourneau, Grave (2016), a été aidé par ces premières salles. Elle a ensuite gagné une Palme d’or. Dans les salles, ce qui est intéressant, ce sont les gens qui en font un endroit important pour la cinématographie.
Comment êtes-vous arrivée dans l’univers des réseaux sociaux et de YouTube après votre parcours scolaire en cinéma ?
J’ai toujours su que je voulais faire quelque chose de pragmatique. J’adore faire des recherches, mais j’adore aussi faire des choses avec mes mains. C’est pour ça que la maîtrise du montage est apparue comme une évidence. Pour moi, le montage, c’est la dernière étape, et du coup si tu en es à la dernière étape, tu es obligée de connaître tout ce qu’il y a avant. C’est toi qui signes la fin du projet, donc il faut que tu le connaisses. Puis, le hasard s’est invité. J’ai travaillé en stage au service vidéo de Madmoizelle à Paris. Il leur fallait quelqu’un pour cadrer, mais qui connaisse aussi les réseaux sociaux. Puis, j’ai continué chez eux en CDD tout en étant déjà dans le milieu de YouTube. C’était aussi l’époque où La Nuit originale a été créée par Thomas Hercouët. Il s’agit d’une nuit entière de live où plusieurs créateurs de YouTube venaient parler. C’est là que j’ai commencé à rencontrer tout le « YouTube Game » français culturel et humoristique. C’était un vivier formidable.
J’imagine que ça vient aussi d’un constat qu’il y avait peu de femmes sur YouTube qui parlent de cinéma…
Oui ! À l’époque, j’ai rencontré plein d’autres femmes qui étaient dans le milieu d’Internet. En 2016, il y a eu une convention YouTube : il n’y avait que cinq créatrices féminines sur 60 personnes ! C’était un constat hyper décevant. Du coup, on s’est dit que ce n’était plus possible, qu’on avait nous aussi notre place. Auparavant, on n’osait pas, à cause du sexisme. C’est la raison pour laquelle on a décidé à cette époque de créer une association qui s’appelle Les Internettes. C’est une association qui a pour vocation d’aider les femmes à se lancer sur YouTube, pour libérer la parole, prouver qu’elles sont créatrices, qu’elles ont des choses à dire et qu’elles sont aussi talentueuses que n’importe quel homme. On était dix quand on a créé cette association. On a fait des masterclass avec des créateurs et créatrices, on a créé un concours qui s’appelait les Pouces d’or… Au fur et à mesure, il y a eu des dotations de plus en plus grosses. On a vraiment aidé des femmes à se lancer sur YouTube.
À l’époque, à sa création, j’étais secrétaire de l’association. Ça faisait longtemps que je voulais me lancer. Je me suis dit que c’était dommage de monter cette association sans le faire moi-même. Donc, je me suis lancée et c’est comme ça qu’en octobre 2017, j’ai sorti ma première vidéo sur la chaîne La Manie du cinéma, une vidéo de recommandations cinéma. Vu que je veux aider les autres, autant me lancer aussi. Et puis, j’ai été entourée de personne du milieu. Maintenant, c’est mon métier depuis cinq ans.
Quand vous vous êtes lancée, avez-vous subi des remarques sexistes malgré la présence de l’association et le fait que vous ayez été entourée ?
Par rapport à d’autres youtubeuses, j’ai été épargnée, mais oui j’en ai eu, beaucoup, y compris de la part de créateurs cinéma. Celle qui revenait le plus souvent c’était : une femme ne sait pas parler de cinéma. Sur les chaînes cinéma, soit les gens font des choses très grand public, soit très « niche ». Moi, au début, je n’osais pas trop me lancer sur des choses niches comme l’histoire du cinéma, la technique, car j’avais peur des remarques. Maintenant, c’est passé. Ça arrive encore parfois aujourd’hui, mais ça reste rare. Le côté sexiste, je le vois dans l’aspect paternaliste, mais j’essaie de ne pas le relever. Même si ça fait mal, j’essaie de passer à autre chose, d’autant plus qu’à côté j’ai une communauté bienveillante. Je pense aussi que quand on est une femme créatrice, on prend plus à cœur les remarques, car on a été habituée à être comparée.
Comment passe-t-on d’une chaîne YouTube à l’écriture d’un livre comme T’as la ref ?
J’ai toujours voulu écrire un livre, mais je ne savais pas trop sur quoi. Le 6 janvier 2022, on m’a envoyé un mail. C’est un peu un signe du destin, car je venais de faire une grosse remise en question sur l’avenir de ma chaîne YouTube. J’ai reçu ce mail d’une éditrice de chez Hors Collection qui avait découvert mon compte Tik Tok, qui aimait bien mon ton et mes anecdotes. Elle me proposait d’écrire un livre, et je lui ai proposé d’adapter mon concept vidéo T’as la Ref ?
C’est vraiment tout ce que j’adore dans le cinéma, c’est-à-dire fouiller. J’ai toujours vu le cinéma comme une arborescence. En commençant par un film, généralement, tu as envie d’en voir dix autres, par rapport à un réalisateur ou à une réalisatrice, un acteur ou une actrice, vis-à-vis de la musique et du thème. C’est comme ça que j’ai pensé le format vidéo de T’as la ref ? à la base : partir d’un film très connu pour en découvrir plein d’autres. J’ai eu une totale liberté, j’ai choisi tous les films. Je voulais qu’il y ait des films français, des réalisatrices, mais aussi des films d’animation. J’ai essayé d’être la plus inclusive possible.
Comment s’est passé ce travail de recherche ?
Il y a plusieurs films dans le livre qui sont aussi dans mes vidéos. J’avais un matériel de base avec Star Wars, Toy Story… La sélection est simple, je ne parle que des films que j’aime. Après, le reste de mes recherches consistait à fouiller sur Internet, sur IMDB, à suivre les références que je trouvais dans des interviews de cinéastes et de scénaristes. Je cherchais des détails. J’ai écouté des commentaires audio, j’ai regardé des making-off. Il y a tout un vivier autour des films qui te permet d’avoir ce genre d’informations, mais il faut savoir où les chercher. Aussi, j’ai pris des films que je connaissais bien, pour savoir où aller chercher. Par exemple, je savais que dans le commentaire audio de Fight Club, il y avait les réponses à ce que je voulais. J’avais aussi des bibliographies. Je pouvais bosser 14 heures par jour en plus du reste de mon travail. Bien sûr, une grosse partie de travail a aussi consisté à bien vérifier toutes les informations que je donnais.
Une référence vous a-t-elle marquée particulièrement ?
J’ai fait plusieurs découvertes. C’est ce qui est génial dans ce travail ! Au fil des découvertes, je me suis dit si moi j’étais étonnée, c’est ça allait forcément plaire aux lecteurs et aux lectrices. Quand j’ai bossé le chapitre sur Drive – et je pense que c’est ça qui m’a le plus marquée –, j’ai découvert que Drive est inspiré de The Driver, lui-même inspiré du film Le Samouraï. J’ai trouvé ça incroyable : je pensais vraiment que c’était une création originale, alors que ce n’est que de l’inspiration tout le temps. C’est la beauté du cinéma, il y a des hommages partout. Du coup, quand j’ai vu les trois films, je me suis rendu compte que j’avais vu le même film, qu’il y avait vraiment un fil conducteur.
Pourquoi c’est important d’avoir des références ?
Le cinéma nous lie tous les uns aux autres. Après, je parle de cinéma, mais il y a des références dans toutes les formes d’art. Le cinéma et les séries nous rassemblent, car on adore voir des films ensemble, on adore voir des séries et en parler. L’épisode 3 de The Last of Us est l’exemple parfait récemment. C’est fédérateur et la référence permet de rassembler les gens, ça les met sous l’angle de la compréhension. Quelque part, l’expression de base « T’as la ref ? » signifie « Est-ce que tu fais partie de mon équipe ? »
Pour moi, un film n’existe pas en tant que tel, mais avec toute l’arborescence et tout ce qui l’entoure, la curiosité qu’il suscite chez nous. La référence, c’est de la curiosité, et la curiosité est de très loin le plus beau défaut qui existe, car tu as envie d’en chercher plus, d’en apprendre plus. Ce principe de T’as la ref ? c’est d’avoir toujours envie d’aller plus loin et d’être insatiable. C’est de la boulimie filmique. Tu as toujours envie de plus et tu ne seras jamais contenté. C’est une manie qui fait du bien. Je trouve ça formidable. On ne pourra jamais voir tous les films du monde, mais c’est déjà super d’essayer.
Quels sont vos projets après ce livre ?
Actuellement, mon gros projet, c’est une série documentaire sur l’accessibilité aux salles de cinéma pour les personnes en situation de handicap, intitulé CinémAccessible. C’est une série en trois épisodes dont le but est de montrer comment le cinéma et la salle de cinéma sont vécus par des personnes aveugles et malvoyantes, sourdes, malentendantes, ou encore atteintes de handicaps moteur. Cela s’articule autour d’interviews.
Le premier épisode concerne les personnes aveugles et malvoyantes. L’objectif de cette série, c’est de sensibiliser à ce public souvent oublié. C’est un retour d’expérience, des messages à faire passer au public et aux institutions cinématographiques pour qu’elles soient plus inclusives. C’est le plus gros projet sur lequel j’ai bossé. Cela m’a pris un an et demi et j’espère que ça sera vu. Le but c’est de donner la parole aux gens qui n’en n’ont pas et j’espère continuer à élever les consciences pour changer les choses.