Après Klimt, Van Gogh, Dalí, Tintin, et Cézanne, L’Atelier des Lumières met ses projecteurs sur Chagall, en se focalisant sur ses années parisiennes et new-yorkaises, à travers l’exposition immersive Chagall, Paris-New York.
Avec Cézanne, lumières de Provence et Kandinsky, l’odyssée de l’abstrait, son dernier programme, L’Atelier des Lumières avait atteint le sommet de son art, qui pour ses détracteurs n’en est pas. À L’Éclaireur, nous ne sommes pas de cet avis. Les expositions immersives proposées par Culturespaces sont généralement de bonne facture et permettent aux visiteurs d’expérimenter l’art d’une manière émotionnelle. Leur environnement sensoriel, musical et visuel sied particulièrement bien à l’œuvre de Moishe Zakharovich Shagalo, surnommé Marc Chagall (1887-1985).
Une œuvre rythmée par la musique
Grand mélomane, le peintre d’origine biélorusse a toujours eu un lien particulier avec la musique. En 2015, la philharmonie de Paris lui avait d’ailleurs consacré une exposition, Marc Chagall, le triomphe de la musique. Les artistes numériques et metteurs en scène de L’Atelier des Lumières se sont eux concentrés sur ses années passées entre Paris et New York, capitales en leur temps emblématiques de l’art moderne.
Le spectacle commence donc par la musique. Des cordes vibrent sur les murs de l’ancienne fonderie de la rue Saint-Maur. À chaque pulsation, des couleurs propres à Chagall jaillissent et remplissent tout l’espace. Effrénée, l’introduction happe le visiteur et le plonge dans l’univers mouvementé et flamboyant du peintre. Le parcours chronologique débute dans la Ville Lumière, où il arrive en 1911, à l’âge de 24 ans, et se termine à Nice par les 17 compositions monumentales qui ornent les cimaises du Musée national de Nice, qui lui est consacré.
Entre-temps, la projection retrace la majeure partie de sa carrière et met l’accent sur son retour à Vitebsk, sa ville natale, son attrait pour le cirque et les Fables de La Fontaine que lui contait sa femme, son anxiété et sa terreur face la découverte de la Shoah, ses années d’exil à New York, et son chemin vers le sacré.
Difficile de résumer une carrière aussi variée et longue (le peintre très prolifique s’étant éteint à l’âge de 91 ans) en 40 minutes, mais le show y arrive plutôt bien, à l’aide de 300 tableaux, dessins, sculptures, céramiques, mosaïques, vitraux, costumes, vidéos et photographies, le tout animé sur les 3 000 m2 de l’intérieur du centre d’art numérique qui s’élève à près de 10 mètres de hauteur. Le chapitre Peinture de lumière, peinture de matière dévoile son exploration, moins connue, de la mosaïque et du verre dans les années 1950. La séquence axée sur son travail pour les vitraux de la Cathédrale de Reims et de la synagogue du Centre médical Hadassah à Jérusalem, est particulièrement bien réussie. Le visiteur a vraiment l’impression de voir la lumière traverser les vitraux, projetées sur les murs, pour se refléter sur le sol.
Un cœur qui bat
Au rythme de morceaux klezmers et de standards de jazz, des gros plans sur la matière picturale permettent notamment de s’immerger dans quelques-unes de ses toiles les plus emblématiques de son travail comme Paris par la fenêtre (1913), L’Anniversaire (1915), La Maison bleue (1920), La Chute de l’ange (1923-1933-1947), ou encore Le Songe d’une nuit d’été (1939).
Ce tourbillon d’images, véritable ascenseur émotionnel, élève le spectateur et le plonge dans l’univers surréaliste et poétique de cet artiste singulier. La projection culmine avec le chapitre intitulé Le Message biblique, un final bouleversant dans lequel Culturespaces fait preuve d’un grand savoir-faire. Sur Shin Sekai, une musique poignante de Para One, le cylindre situé au centre de la bâtisse devient un point d’impact, à partir duquel une vague impressionnante d’images déferle, dévoilant sur le sol toute une humanité et sur les murs Le Cantique des Cantiques. L’effet est immédiat, l’émotion à son comble. Cette séquence, qui prend aux tripes, évoque un cœur qui bat et rappelle que l’œuvre de Chagall, aussi tourmentée que joyeuse, est avant tout pleine de vie.
De l’Opéra Garnier au Metropolitan Opera
Durant toute la projection, le visiteur virevolte dans les airs en compagnie des personnages allégoriques de Chagall, jusqu’au plafond de l’Opéra Garnier, autre chapitre enivrant et point d’orgue de cette exposition immersive. Chagall a réalisé un grand nombre de créations pour la scène et répondu favorablement à des commandes décoratives et architecturales liées à la musique. En 1964, sollicité par le ministre de la Culture André Malraux, il repeint le plafond de l’édifice, d’une surface de 220 m2.
Quelques années plus tard, il renouvelle l’expérience à New York en réalisant, pour le hall du mythique Metropolitan Opera, deux fresques monumentales et le rideau de scène pour la première représentation de La Flûte enchantée au Lincoln Center, en 1967. L’Atelier des Lumières n’a évidemment pas fait l’impasse sur cet aspect décoratif de l’œuvre de l’artiste, qui lui permet de faire le lien avec sa seconde exposition immersive, Paul Klee, peindre la musique. Les images de ce programme court défilent sur le rythme de ce fameux opéra de Mozart, dont le peintre, fils d’un pianiste-violoniste et d’une cantatrice, s’est largement inspiré. La boucle est bouclée.
Chagall, Paris-New York, à L’Atelier des Lumières (Paris) jusqu’au janvier 2024.